Les experts sceptiques face au nouveau plan économique de la Turquie

Le gouvernement turc a dévoilé son nouveau programme économique pour ramener l’inflation à un seul chiffre d’ici 2026, mais des questions subsistent sur sa capacité à attirer les investissements étrangers dont le pays a tant besoin.

Le programme à moyen terme, qui vise les trois prochaines années, est le premier plan économique complet d’Ankara depuis qu’une nouvelle direction économique a pris ses fonctions en juin et s’est engagée à ramener la Turquie sur un « terrain rationnel » en matière de gestion économique.

Après sa réélection fin mai, le président Recep Tayyip Erdogan a nommé Mehmet Simsek comme nouveau ministre du Trésor et des Finances et a remplacé le gouverneur et les hauts responsables de la banque centrale, tirant ainsi un trait sur ses politiques peu conventionnelles, accusées d’être à l’origine de l’inflation incontrôlable en Turquie. Les tremblements de terre dévastateurs de février dans le sud de la Turquie ont aggravé les difficultés financières du pays.

Dans la mesure ou des programmes similaires n’ont pas atteint leurs objectifs au cours des cinq dernières années, les nouveaux objectifs sont analysés de près par les experts. Lors de la présentation du plan mercredi, le vice-président Cevdet Yilmaz a déclaré que les principaux objectifs consistaient à se remettre des tremblements de terre, atteindre la stabilité macroéconomique et financière, réduire l’inflation à un chiffre et maintenir la croissance et l’emploi.

La reconstruction des 650 000 habitations et locaux commerciaux détruits par les tremblements de terre représente un défi colossal. Le coût de la reconstruction à lui seul est estimé à 100 milliards de dollars, et d’autres investissements sont nécessaires pour réduire les dommages d’une forte secousse qui, selon les scientifiques, devrait frapper Istanbul, la ville la plus peuplée et le centre économique de la Turquie, dans un avenir proche. Les dépenses entrainées par le tremblement de terre ont été la principale raison du budget supplémentaire de 1,1 trillion de lires (41 milliards de dollars) qu’Ankara a demandé en juillet, et ces besoins financiers augmenteront dans les années à venir.

Les politiques populistes menées par Erdogan de 2021 jusqu’aux élections de mai ont engendré une inflation galopante, qui a atteint un taux annuel de 59 % en août. Le nouveau programme prévoit que le taux atteindra 65 % d’ici la fin de l’année, mais de nombreux observateurs estiment qu’il est probable qu’il dépasse les 70%. Les prévisions du programme sont de 33 % pour l’année prochaine, de 15 % en 2025 et d’un ambitieux 8,5 % fin 2026.

Pour faire face à l’inflation, les pays doivent renoncer à la croissance, refroidir l’économie et maîtriser la demande intérieure. Pourtant, le programme turc entend y parvenir sans révision majeure des objectifs de croissance. La croissance du produit intérieur brut devrait atteindre 4,4 % cette année et 4 % en 2024, contre 5 % et 5,5 % précédemment. Pour 2025 et 2026, les prévisions sont respectivement de 4,5 % et 5 %. De telles ambitions pourraient entraver l’objectif de réduire de l’inflation.

Néanmoins, étant donné l’enthousiasme d’Erdogan pour la croissance, les initiateurs du programme pourraient avoir sciemment maintenu les prévisions de croissance à un niveau élevé pour éviter les discordes avec le président.

Par ailleurs, le programme prévoit que le déficit de la balance courante du pays sera ramené à 30 milliards de dollars sur trois ans. Cela parait également optimiste, notamment parce que le déficit de cette année pourrait difficilement être limité à 42,5 milliards de dollars comme le prévoit le programme. Après avoir atteint 37 milliards de dollars au premier semestre, le déficit de la balance courante a atteint 43 milliards de dollars en août et il est peu probable qu’il soit inférieur à 53 milliards de dollars à la fin de l’année.

Le déficit budgétaire atteindrait 1,6 trillion de lires en décembre et 2,6 trillions de lires en 2024, selon le programme. La façon dont le gouvernement compte lutter contre l’inflation avec des déficits budgétaires s’élevant à 6,4 % du PIB pendant deux années consécutives demeure un grand point d’interrogation.

Une autre prévision clé concerne la valeur de la lire. Selon Hakan Kara, ancien économiste en chef de la banque centrale, les chiffres indiquent que la lire devrait tomber à 29,9 contre le dollar d’ici la fin de l’année, contre 26,8 actuellement. « Le taux du dollar impliqué pour la fin de 2024 est d’environ 43 lires, ce qui signifie une augmentation annuelle de 44 % du taux dollar-lira. Et c’est là que se pose la question : Comment l’inflation va-t-elle tomber à 33 % l’année prochaine alors que le taux de change augmente de 44 % et que la croissance ne ralentit pas de manière significative ? » a-t-il posté sur Twitter.

En outre, des indicateurs clés comme l’inflation et l’écart des comptes courants devraient dépasser les prévisions du programme cette année, alors que le pays se dirige vers des élections locales le 31 mars. Soucieux de reprendre Istanbul et d’autres grandes villes à l’opposition, Erdogan hésite à s’attaquer à l’inflation et devrait à nouveau miser sur le populisme avant les élections.

Une économie sans stabilité des prix n’est certainement pas attractive pour les investisseurs étrangers. Ainsi, l’inflation en Turquie nécessite un réel resserrement des politiques monétaires et fiscales, et des mesures visant à augmenter la production agricole pour endiguer l’inflation des denrées alimentaires en particulier.

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