Historique des relations entre l’Iran et les groupes islamiques palestiniens

Bien qu’il n’y ait aucune preuve de l’implication de l’Iran dans les attentats du 7 octobre, il est de notoriété publique que la République islamique s’emploie depuis longtemps à renforcer des organisations comme le Hamas et le Jihad islamique palestinien (JIP). La conjoncture globale au Moyen-Orient a, à son tour, limité les choix de ces groupes, les incitant à chercher du soutien auprès de Téhéran. Toutefois, ces groupes ne sont pas des marionnettes entre les mains des mollahs et leurs relations avec Téhéran évoluent constamment.

Les attaques menées par le Hamas contre Israël le 7 octobre ont reflété les calculs indépendants de ces groupes. Bien que cette opération meurtrière n’aurait jamais pu avoir lieu sans le soutien de longue date de l’Iran, ces attaques ont probablement constitué une mauvaise surprise pour Téhéran qui, depuis le déclenchement de ces évènements, évite de formuler un soutien inconditionnel aux groupes palestiniens. La question de savoir si le Hamas et le JIP demeurent étroitement liés à l’Iran dépendra de l’issue de la guerre à Gaza et de la dynamique plus large de la géopolitique changeante du Moyen-Orient.

Le soutien de l’Iran à la cause palestinienne a toujours été en partie idéologique, étant donné l’importance religieuse de Jérusalem pour les musulmans. La constitution iranienne de 1979 affirmait son devoir d’exporter la révolution islamique iranienne pour venir en aide aux « dépossédés » du monde entier. Mais depuis la fin des années 1980, les intérêts de politiques ont largement pris le dessus. L’Iran en est venu progressivement à soutenir les groupes armés palestiniens dans le cadre de sa politique de sécurité régionale visant à contenir et à déstabiliser Israël. La présence ou l’absence de référence islamique au sein d’un groupe est devenu moins important que la lutte contre l’Etat juif. De ce fait, pendant des dizaines d’années, l’Iran a soutenu de nombreux groupes laïques, gauchistes et islamistes sunnites.

L’entrée de l’Iran en Palestine s’est d’abord faite par l’intermédiaire de l’Organisation laïque de libération de la Palestine (OLP) dirigée par Yasser Arafat. L’OLP a soutenu les révolutionnaires iraniens avant qu’ils ne renversent le Chah en 1979, fournissant même des gardes du corps à l’ayatollah Khomeini durant son exil à Paris. De nombreuses personnalités du corps des gardiens de la révolution iranienne ont également été formées dans les camps de l’OLP au Liban. Dans un geste hautement symbolique, Arafat a été le premier dirigeant étranger à se rendre en Iran après la révolution islamique.

La modération progressive des positions de l’OLP au cours des années 1980, notamment par l’ouverture des négociations avec Israël, l’acceptation de la partition territoriale de la Palestine historique et le renoncement à la lutte armée, a été l’un des facteurs contribuant à la rupture des relations. Certes, l’Iran a continué à apporter un certain soutien aux membres de l’OLP, mais pour maintenir son paradigme de sécurité régionale, il a redirigé l’essentiel de son soutien vers les groupes islamistes palestiniens, étant donné le manque de pertinence politique et militaire des groupes marxistes-léninistes, beaucoup plus petits, dans les territoires occupés.

De l’OLP aux organisations islamistes palestiniennes

La coopération précoce de l’Iran avec le Hamas et le JIP a été involontairement facilitée par les propres actions d’Israël. Des fonctionnaires iraniens ont pris contact pour la première fois avec des dirigeants du JIP à Beyrouth en 1987, après qu’Israël les a expulsés vers le Liban dans le cadre de ses efforts pour supprimer la direction nationale palestinienne dans la bande de Gaza et la Cisjordanie occupées. Les relations irano-palestiniennes se sont encore renforcées lorsqu’Israël a exilé des centaines d’autres membres du Hamas et du JIP à Marj al-Zuhur, au Liban, en 1992.

À ce moment-là, les groupes islamistes palestiniens avaient conclu, comme l’avait fait l’OLP, qu’ils avaient besoin d’un soutien étatique fort pour conduire leur révolution contre Israël. Cela s’est rapidement traduit par un soutien financier et militaire de l’Iran. Les militants palestiniens ont notamment reçu une formation dans la vallée de la Beqaa au Liban, dans des camps dirigés par le groupe libanais Hezbollah soutenu par l’Iran.

  En 1993, Fathi al-Shiqaqi, cofondateur et premier dirigeant du JIP, a déclaré à Newsday : « L’Iran nous donne de l’argent et nous soutient, puis nous fournissons de l’argent et des armes aux territoires occupés et soutenons les familles de notre peuple. »

Depuis, ces groupes palestiniens se sont consolidés grâce à l’armement iranien acheminé clandestinement via le Yémen et le Soudan, en passant par le désert égyptien avec l’aide de contrebandiers bédouins, et enfin à Gaza via les tunnels transfrontaliers construits par le Hamas. L’Iran a également formé des ingénieurs palestiniens à la fabrication d’armes. D’autres groupes soutenus par l’Iran à Gaza ont probablement aussi bénéficié de ces arrangements. Il est peu probable que les attentats du 7 octobre aient pu avoir lieu sans ce soutien à long terme.

Un mariage de raison

La relation du JIP et du Hamas sunnite avec l’Iran chiite a toujours été une alliance de convenance résultant d’intérêts communs sur le terrain plutôt que d’affinités idéologiques avec l’interprétation politique de l’Islam par Téhéran. Par conséquent, les groupes ajustent constamment leurs relations extérieures en fonction de leurs propres calculs stratégiques.

Le soulèvement syrien illustre la manière dont l’Iran et le Hamas ont manœuvré dans ce sens. Les dirigeants du Hamas, basés à Damas, ont tenté de servir de médiateurs entre le régime syrien et les rebelles sunnites. Mais la direction politique du groupe a rejeté les demandes iraniennes de soutien inconditionnel au président syrien Bachar el-Assad, entrainant une rupture des relations. L’Iran a réagi en réduisant de moitié son soutien financier au Hamas, qui est passé de 150 millions de dollars à moins de 75 millions de dollars. Cependant, Téhéran a conservé des liens étroits avec les dirigeants du Hamas basés à Gaza. Marwan Issa, le commandant en second de la branche armée du Hamas, les Brigades Izz al-Din al-Qassam, s’est rendu régulièrement à Téhéran après 2012.

L’Iran aurait réorienté une partie de son financement vers le JIP, qui avait maintenu une position neutre et évité de critiquer publiquement le gouvernement syrien. Cependant, quelques années plus tard, les relations du JIP avec l’Iran ont également connu des frictions, lors de la guerre civile au Yémen en 2014. Comme pour le Hamas, le refus du JIP de soutenir les rebelles Houthis, soutenus par l’Iran, ou de dénoncer l’intervention militaire de l’Arabie saoudite dans le pays, a conduit l’Iran à réduire son financement. Cette fois, l’argent a été redirigé vers le mouvement al-Sabireen à Gaza, aujourd’hui disparu, que l’Iran a parrainé dans le but de remplacer le Hamas et le JIP par un mandataire plus maléable.

Au cours de cette période, le Hamas et le JIP ont tenté de trouver d’autres sources de soutien. Après avoir officiellement rompu ses relations avec le gouvernement syrien, le Hamas a cherché à s’aligner sur « l’axe sunnite », à savoir l’Égypte et les monarchies du Golfe comme le Qatar. Dans le cadre de cette réorientation, des personnalités clés du Hamas, dont son chef de l’époque, Khaled Machaal, se sont installées à Doha. En 2017, ils ont lancé une plateforme politique plus souple, destinée à améliorer la position du groupe dans le monde arabe et en Occident.

Le JIP a tenté sa propre reconversion. Mohammed al-Hindi, l’un de ses hauts responsables, s’est rendu en Turquie et en Algérie pour tenter d’obtenir un soutien financier, avec un certain succès. En 2015, les autorités algériennes ont commencé à financer des « projets humanitaires » affiliés au groupe. Toutefois, ce financement n’a jamais été à la hauteur des relations antérieures du JIP avec l’Iran et s’est limité à des versements sporadiques. Le groupe a également établi des canaux de communication directs avec l’Arabie saoudite et s’est rapproché de l’Égypte et de la Jordanie pour atténuer ses difficultés financières.

En mai 2016, le Corps des gardiens de la révolution iranienne s’est engagé à transférer 70 millions de dollars au JIP, une décision qui semble avoir été conditionnée par un changement de position du groupe sur le Yémen : un mois plus tard, une délégation du JIP en visite à l’ambassade du Yémen à Damas a annoncé qu’elle soutenait « le peuple yéménite contre l’agression [étrangère] et que cibler le Yémen revenait à cibler la cause palestinienne ».

Les convictions idéologiques personnelles peuvent également avoir renforcé les liens entre le JIP et l’Iran. Le chef du groupe depuis 2018, Ziyad al-Nakhala, semble plus proche de l’Iran que son prédécesseur, Ramadan Shallah. Le renouvellement des relations peut également avoir reflété les conclusions du mouvement selon lesquelles il n’y avait pas d’autre alternative de financement à sa disposition. Depuis, le JIP et l’Iran semblent s’être encore rapprochés.

Au cours de l’année 2023, le Hamas a lui aussi cherché à renouer avec l’Iran. La visite de Khalil al-Hayya, un autre membre important du Hamas, à Damas en octobre 2022 en a été le premier signe. Cette visite a mis un terme à près d’une décennie d’hostilité entre le Hamas et le régime syrien, démontrant son retour dans le giron iranien et l’échec de son réalignement précédent.

Alors que les spéculations vont bon train sur la question de savoir si l’Iran était préalablement au courant des attaques menées par le Hamas le 7 octobre, Téhéran a rapidement esquivé toute responsabilité directe et a informé le chef du Hamas, Ismail Haniyeh, de son intention de ne fournir qu’un soutien politique, et non militaire, dans le cadre du conflit. Cette attitude reflète en partie le désir de l’Iran d’éviter une guerre régionale de grande ampleur qui menacerait ses intérêts stratégiques. Ce n’est pas la première fois que la réticence de l’Iran déçoit le Hamas dans le contexte d’un conflit. Leur relation s’est brièvement refroidie à la suite de l’opération « Plomb durci » en 2008-2009, qui a été considérée comme catastrophique pour les intérêts iraniens. La décision de l’Iran de prendre ses distances avec les attentats du 7 octobre s’inscrit donc dans sa stratégie de longue date qui consiste à soutenir les groupes palestiniens pour renforcer sa propre sécurité.

Echec de stratégie

Le Hamas a fait un mauvais calcul en misant sur l’axe sunnite, qui a vu l’ascension du parti islamiste Ennahda en Tunisie et des Frères musulmans en Égypte. Mais la vague politique s’est rapidement retournée contre l’islam politique à la suite de l’éviction du président islamiste égyptien, Mohammed Morsi. La décision de son successeur, le président Abdel Fattah al-Sisi, de renforcer le blocus de l’Égypte sur Gaza à partir de juillet 2013 a rendu cette réorientation éphémère politiquement et financièrement intenable pour le Hamas. N’ayant pas reçu un soutien suffisant de la part des capitales arabes, le Hamas a été contraint de se retourner vers Damas et Téhéran pour préserver ses intérêts.

Le rapprochement avec l’Iran peut également refléter en partie l’échec de l’engagement occidental auprès du Hamas en général et de sa branche modérée en particulier. Le Hamas a toujours été le produit de discussions internes entre la thèse du changement social et la thèse de la lutte armée, entre les modérés et les partisans de la ligne dure, et entre ceux qui privilégient le travail politique et ceux qui privilégient la violence. La décision du Hamas de participer au processus électoral palestinien en 2006 et de s’ouvrir à une solution à deux États dans sa plateforme de 2017 a été rendue possible par l’affaiblissement des partisans de la ligne dure après la fin de la deuxième intifada, qui a érodé le soutien à la violence armée au sein du Hamas.

Le boycott international du Hamas qui a suivi sa victoire aux élections législatives de 2006 semble n’avoir réussi qu’à affaiblir la branche modérée, qui cherchait à établir des liens diplomatiques avec les capitales occidentales. Seize ans après la fin de la seconde intifada, les modérés n’ont que peu ou pas de victoires à faire valoir. Cette situation a une fois de plus renforcé les partisans de la ligne dure, qui cherchent à resserrer les liens avec l’Iran et affirment que la lutte armée est la seule voie envisageable. Les attaques menées par le Hamas contre Israël le 7 octobre ont été le point culminant de cette dynamique changeante. Toutefois, comme le montre l’histoire, le positionnement du Hamas et du JIP est en constante évolution. Leur orientation future dépendra en partie de la capacité des États arabes et occidentaux à renforcer les voix modérées au sein de ces groupes qui souhaitent depuis longtemps s’éloigner de l’orbite de l’Iran en présentant une voie politique réaliste vers l’indépendance palestinienne.

Related articles

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here