Pourquoi les rebelles yéménites houthis refusent l’offre saoudienne de cessez le feu

Toutes les tentatives pour ramener la paix au Yémen après plus de 6 ans de guerre semblent jusqu’à présent infructueuses. Malgré les concessions concédées récemment par la nouvelle administration américaine à l’égard des rebelles chiites houthis, ces derniers s’entêtent à refuser une coopération.

L’Arabie saoudite a tenté une sortie de crise en proposant de relancer les négociations entre le gouvernement yéménite et les rebelles pro-iraniens, d’abord sous l’égide de l’ONU puis avec l’intervention marquée des Etats-Unis depuis peu. Ces discussions durent depuis plus d’un an. Une offre de cessez le feu sous la supervision de l’ONU a été envisagée, ainsi que la réouverture de l’aéroport de Sanaa, la capitale yéménite, et la levée des restrictions commerciales dans le port de Hodeïda.

Le Royaume saoudien, en guerre contre le Yémen depuis 2015, a proposé d’apporter des allégements partiels au blocus qu’il lui a imposé et qui menace le pays d’une famine à grande échelle selon l’ONU, surtout depuis que les restrictions empêchent l’acheminement de l’aide humanitaire.

Mais les Houthis refusent de se soumettre au calendrier saoudien. Cette fois, c’est le plan de “cessez le feu global” proposé lundi unilatéralement par l’Arabie Saoudite qu’ils ont rejeté. Il exigent que les saoudiens annoncent d’abord “la fin de l’agression et la levée totale du blocus” avant d’envisager le moindre dialogue. La proposition saoudienne contient en effet une clause concernant le partage des revenus générés par le transport du pétrole et des produits pétroliers vers le port de Hodeïda, une question très sensible entre les deux pays. Evidemment, cette clause est loin de plaire aux Houthis qui accusent les saoudiens d’exploiter la crise humanitaire au Yémen. Pour Peter Salisbury, analyste expert du Yémen à l’International Crisis Group, cette clause “semble confirmer l’idée que ce sont les Houthis qui doivent faire des concessions”.

Peter Salisbury a déclaré sur son compte twitter : “Le diable se cache dans les détails… Les Saoudiens, le gouvernement yéménite et les Houthis disent tous qu’ils soutiennent cette initiative, mais ils n’ont cessé d’ergoter sur le calendrier et les détails de chaque question.”

Selon Cinzia Bianco, chercheuse spécialiste du Golfe au “European Council on Foreign Relations”, l’Arabie saoudite cherche à prouver sa bonne volonté en démontrant que ce sont les houthis et les iraniens qui tiennent à prolonger la guerre. “En proposant la réouverture de l’aéroport de Sanaa et un accès aux revenus générés par le port de Hodeïda, deux souhaits de longue date des houthis, Riyad croit qu’il les place au pied du mur face aux États-Unis et à l’ONU pour montrer qu’ils ne veulent pas de la paix au Yémen”, a analysé la chercheuse.

Les rebelles houthis qui ont récemment multiplié les attaques contre les bases pétrolières saoudiennes et plus particulièrement la ville de Marib, se sentent assez forts pour refuser les possibilités qui leur sont proposées, car même si le Royaume saoudien se retire du conflit de façon unilatérale, il craint que la frontière qu’il partage avec le Yémen ne tombe entre les mains de l’Iran, son ennemi régional.

Interrogé par France 24, Abdelmajid al-Hanash, un négociateur houthi basé à Sanaa a déclaré : “Marib est une question primordiale pour nous en raison du blocus qui prive les Yéménites d’acheter de l’essence et du gaz au prix du marché, avec l’appauvrissement de la population… Tant que ce blocus ne sera pas levé pour permettre aux régions du Nord d’avoir accès à ces produits vitaux, nous essaierons de le faire lever par la force. Ce n’est pas un fait nouveau et c’est légitime.”

Inquiet par la détérioration de la situation humanitaire au Yémen, le président américain Joe Biden a de son côté pris des mesures pour tenter d’apaiser le conflit, notamment en annonçant la fin du soutien américain à la coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite, la suspension de certaines ventes d’armes au Royaume et le retrait des houthis de la liste des organisations terroristes étrangères. Il a dépêché un émissaire dans la région à deux reprises en l’espace d’un mois, et le secrétaire d’Etat Antony Blinken a exhorté les houthis de “se joindre aux Saoudiens et au gouvernement du Yémen en agissant de manière constructive en faveur de la paix”.

Les concessions faites aux houthis par la nouvelle administration américaine sont loin de plaire à l’Arabie saoudite. Dans un contexte ou les Etats-Unis cherchent à relancer avec l’Iran l’accord sur le programme nucléaire iranien, l’Arabie saoudite estime que le régime iranien se sert des houthis pour faire pression sur les Etats-Unis dans les négociations.

De son côté, Abdelmajid al-Hanash a déclaré que les concessions de Washington envers les houthis ne changeaient rien pour eux. “Riyad et Washington essaient d’imposer par la négociation ce qu’ils n’ont pas réussi à obtenir par les armes, c’est inacceptable”, a t-il affirmé.

Le négociateur des rebelles yéménites dit se méfier de l’administration américaine qui “se fait passer pour un intermédiaire neutre et innocent alors qu’elle joue un rôle important dans le conflit, puisqu’elle est le principal soutien, et pas seulement logistique, de cette guerre”, a-t-il accusé.

Pour Peter Salisbury, “les parties sont en train d’utiliser tous les outils à leur disposition pour renforcer leur position à la table des négociations.” “La bonne nouvelle : cela signifie qu’ils négocient. La mauvaise nouvelle : beaucoup de choses peuvent mal tourner, une frappe aérienne ou un missile pourraient faire exploser tout le processus.” a ajouté l’analyste.

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