Des officiers de la marine turque à la retraite intimident le cercle d’Erdogan

103 amiraux de la marine turque à la retraite ont publié un communiqué dans lequel ils ont mis en garde contre la remise en cause de l’accord international de Montreux signé en 1936 sur la navigation dans le détroit de Turquie. Les signataires de la déclaration ont exprimé leur opposition au projet du canal d’Istanbul qui enthousiasme beaucoup le président Recep Tayyip Erdogan, ils ont dénoncé ses tentatives d’introduire une nouvelle constitution dans le pays et sa décision de se retirer de l’accord d’Istanbul (la Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des femmes signé en 2011). Enfin, ils ont appelé l’armée à préserver les valeurs de la constitution. Ce communiqué a déclenché un mal aise au sein de la présidence turque et du gouvernement de la justice et du développement.

Dimanche, le parquet d’Ankara a ouvert une enquête sur la déclaration publiée tard dans la nuit de samedi à dimanche, et a déclaré dans un communiqué que les signataires de la déclaration ainsi que ceux qui sont à l’origine de sa rédaction et de sa publication feraient l’objet d’une enquête.

Les officiers retraités de la marine turque ont mis en garde le gouvernement contre la violation de l’accord de Montreux sur le trafic maritime en mer Noire, affirmant qu’il est “inquiétant que l’Accord de Montreux ait été ouvert à la discussion dans le cadre à la fois du canal d’Istanbul et des traités internationaux.” La Convention de Montreux a protégé les droits de la Turquie de la meilleure façon et lui a permis de jouer un rôle neutre dans la seconde guerre mondiale.

“Il est nécessaire que l’armée turque préserve avec ardeur les valeurs fondamentales de la constitution, qui ne peuvent ni être changées, ni être soumises à des propositions de changement”, ont ajouté les officiers dans leur communiqué. “Nous condamnons la distanciation des forces navales turques de ces valeurs et du cap contemporain tracé par le fondateur de la république turque moderne, Mustafa Kemal Atatürk … Il est nécessaire de former les éléments de la direction des forces navales, qui ont un passé glorieux émergeant de la nation turque, et qui sont les protecteurs de la patrie-mère et de la patrie-bleue, conformément aux principes de la révolution d’Atatürk … Nous nous tenons aux côtés des marins turcs qui travaillent depuis longtemps, qui travaillent avec loyauté dans tous les coins de notre pays, en mer, sur terre et dans les airs, en zone de sécurité intérieure et hors des frontières, et qui travaillent avec cœur et âme pour protéger nos droits.”

L’accord de Montreux est entré en vigueur en 1936 pour réglementer la circulation des navires à travers le détroit de Turquie vers la mer Noire, ainsi que la durée de leur séjour dans ses eaux. Il concerne les navires des pays limitrophes, à savoir l’Ukraine, la Russie, la Géorgie, la Bulgarie et la Roumanie en plus de navires turcs, ainsi que les pays non limitrophes. Les amiraux retraités ont mis en garde contre la violation de l’Accord qui vise à réduire le trafic dans le détroit d’Istanbul (le Bosphore), en particulier au moment ou le président turc travaille à peaufiner le projet du canal d’Istanbul.

Les experts estiment que l’objectif principal du canal est de contourner l’Accord de Montreux qui limite le tonnage et le nombre de navires en provenance de pays non bordant la mer Noire, pouvant entrer par le Bosphore. Un projet qui menace l’Accord que les officiers considèrent comme une “victoire militaire historique” obtenue par le fondateur de la Turquie moderne Mustafa Kemal Atatürk.

Ils estiment également que le débat qui anime les médias et les couloirs des décisionnaires survient au moment ou le pays avance dans la mise en œuvre du projet du Canal d’Istanbul qui vise à offrir une alternative de navigation au Bosphore, reliant la mer Noire et Marmara, et ce au moment où Erdogan a décidé de retirer la Turquie d’un autre accord international, en référence a l’Accord d’Istanbul. La déclaration a souligné que “les détroits turcs faisaient partie des voies de navigation les plus importantes du monde, et que l’Accord de Montreux était le meilleur garant des droits du pays dans ces eaux”.

Les signataires de la déclaration ont indiqué dans leur communiqué que les forces armées, en particulier la marine, avaient été attaquées ces dernières années par “l’organisation Gulen”, le mouvement de Fethullah Gulen accusé d’avoir organisé la tentative de coup d’État manqué du 15 juillet 2016.

La déclaration a suscité la colère dans le cercle du gouvernement d’Erdogan et a soulevé des inquiétudes face à un éventuel retour des interventions militaires dans les affaires politiques, et face à la possibilité d’une nouvelle tentative de coup d’État contre le régime d’Erdogan, qui fait face à une forte opposition depuis la mise en œuvre du système présidentiel qui lui a accordé des pouvoirs quasi absolus en 2018.

Fakhruddin Altoun, chef du département de la communication à la Présidence de la République, a déclaré sur Twitter: “Des retraités ont été à l’origine d’un communiqué qui a immédiatement suscité l’enthousiasme de la cinquième colonne. Restez à votre place, la vieille Turquie dont vous parlez appartient au passé. La Turquie est un État de droit. Qui êtes-vous et de quel droit pointez-vous du doigt la volonté légitime du peuple? La Turquie est un État de droit. N’oubliez pas cela, et les pouvoirs de la tutelle ne peuvent porter préjudice à la démocratie.”

À son tour, le président du Parlement turc, Mustafa Shantub, a déclaré sur Twitter: “Un certain nombre de retraités qui n’ont jamais pris part à la lutte du pays contre ses ennemis sur les fronts intérieur et extérieur du pays, ont élaboré un programme qui vise à semer le chaos. Le peuple héroïque a enterré tous les insurgés le 15 juillet 2016 … Exprimer une opinion est différent d’appeler à un coup d’État et d’élaborer des déclarations.”

Le chef adjoint du parti au pouvoir pour la justice et le développement, Numan Kurtulmus, a déclaré: “Les amoureux de l’ancienne Turquie et du système de tutelle cherchent, par le biais d’une déclaration, à donner des leçons de politique au peuple, mais ce temps est révolu … gardez vos limites, et sachez que le peuple a protégé sa volonté populaire, son État et sa démocratie, après en avoir payé le prix.”

Quant au ministre de l’Intérieur Suleiman Soylu, il a également déclaré sur Twitter: “Le peuple turc aime l’uniforme qu’il associe à sa dignité, et après la retraite, la dignité augmente davantage et montre son attachement à la démocratie, à l’État et au peuple. Tous ceux qui respectent cela seront toujours évoqués avec reconnaissance … qu’en est-il des autres?” Le chef du Mouvement national allié du parti au pouvoir, Dawlat Bahçeli, a appelé à déchoir les signataires de la déclaration de leurs grades militaires et à les poursuivre en justice.

Le 27 mars, le gouvernement turc a annoncé par le biais de son ministre de l’Environnement Murat Corum, l’approbation des plans de développement du canal d’Istanbul, ce qui a suscité de nombreuses critiques sur ses coûts et son impact sur l’environnement. L’opposition turque refuse la mise en œuvre du projet du canal d’Istanbul dont Erdogan a parlé pour la première fois en 2011. Le maire d’Istanbul, Akram Imamoglu, membre de l’opposition, fait partie de ceux qui ont le plus critiqué le projet après que les experts ont confirmé ses effets dangereux sur l’environnement de la ville, habitée par environ 16 millions de personnes. Il a organisé une campagne pour demander l’annulation du projet.

Erdogan est l’un des plus grands partisans du projet du canal de 45 km de long pour un coût d’environ 20 milliards de dollars, qu’il appelle “le canal fou”. Il a averti qu’il s’opposerait à tous ceux qui rejettent le projet, dont le gouvernement a ouvert l’investissement des deux côtés du canal aux investisseurs turcs et étrangers.

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