Les relations politiques entre Washington et le mouvement afghan des talibans semblent à nouveau s’électriser en raison des “amitiés” que partagent les talibans avec les pays ennemis des Etats-Unis, en particulier l’Iran, la Russie et la Chine, qui cherchent tous à tirer parti des évènements, indépendamment du fait que le groupe soit classé ou pas “organisation terroriste” dans leur pays.
Dès le début de la prise de fonction de Joe Biden, des délégations talibanes se sont rendues en Russie puis en Iran, tenant un discours au ton ferme à l’encontre de la nouvelle administration américaine. Les talibans se sont interrogés sur le sérieux de l’accord signé au Qatar le 29 février 2020 entre eux et l’administration de Donald Trump, qui prévoyait le retrait des forces américaines du pays en échange de la garantie accordée par les talibans de couper toute relation avec al-Qaida et tout autre groupe terroriste. Ils se sont également engagés en échange à ne plus se servir de l’Afghanistan comme camp d’entrainement militaire pour terroristes et à ne plus lancer des attaques qui menaceraient les intérêts de Washington, comme cela s’était produit le 11 septembre 2001, raison pour laquelle les Etats-Unis ont envahi l’Afghanistan.
Selon le site russe “Sputnik”, une délégation talibane conduite par leur diplomate Muhammad Abbas Stanikzai s’est rendue à Moscou le 28 janvier 2021 pour discuter des relations entre les deux parties, de la paix en Afghanistan, et de l’avenir de l’accord américain. Cette démarche est similaire à celle qui avait précédé la signature de l’accord et qui a consisté a faire la tournée des pays asiatiques opposés à la politique américain, dans le but de pouvoir brandir la carte du soutien que les talibans reçoivent de la part de certaines puissances, si l’administration américaine ne répondait pas favorablement à leurs exigences.
Pendant son séjour à Moscou, Stanikzai a tenu une conférence de presse durant laquelle il a envoyé des messages à Washington, lui rappelant que le délai fixé pour l’évacuation des troupes étrangères d’Afghanistan arrivait à échéance dans 3 mois, et avertissant qu’un retour sur cet engagement serait de son point de vue synonyme d’un retour à une lutte sanglante. Il a précisé que la Russie ne subventionnait pas le mouvement dans le but de viser les soldats américains comme le New York Times l’avait prétendu en juin 2020, provocant une série de désaccords provenant en particulier des parties réfractaires à l’accord avec les talibans.
Le représentant des Talibans a appelé le président Joe Biden à respecter tous les termes de l’accord, le qualifiant d’opportunité que Washington devrait saisir pour sortir de l’Afghanistan et mettre fin à ses pertes humaines et matérielles. Il a ajouté que les déclarations de l’administration américaine à propos d’une révision des conditions de l’accord ne signifiait pas nécessairement son retrait complet, mais plutôt des ajustements qui, espère-t-il, ne nuiront pas au processus des négociations. Le 22 janvier 2021 la Maison Blanche avait en effet publié une déclaration dans laquelle le conseiller à la sécurité nationale de Biden, Jake Sullivan, avait décidé de revoir les termes de l’accord.
Le 11 janvier 2021, “Russia Today” a indiqué que les talibans étaient classés par la Russie comme organisation terroriste depuis 2003, mais que cela n’empêchait pas le gouvernement russe d’entretenir des liens avec eux. Le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, a décrit les relations entre Moscou et les talibans comme primordiales, et a affirmé que le mouvement tenait à renforcer la confiance entre lui et le gouvernement russe. Un tableau qui donne des indications claires sur l’entrecroisement des intérêts dans la région et la volonté de toutes les parties de tirer profit de la situation actuelle.
Concernant la visite en Iran, le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Saeed Khatibzadeh, a révélé qu’une délégation du bureau politique des talibans dirigée par le mollah Baradar a rencontré les responsables du pays à Téhéran le 26 janvier 2021, pour discuter de la paix en Afghanistan et de l’avenir du processus des négociations internes et externes.
Le ministère iranien des Affaires étrangères a relevé l’importance du rôle des négociations internes dans la stabilité du pays et a insisté sur la nécessité de les achever rapidement. Evoquant la position de Téhéran sur la question, il l’a décrite comme indépendante des États-Unis et visant uniquement les intérêts de l’Afghanistan, ajoutant que Téhéran exhorte Washington à mettre fin à son ingérence dans les affaires de Kaboul et aux souffrances qui en résultent pour la population de la région.
Le 31 janvier 2021, Russia Today a indiqué que le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, avait offert la contribution de son pays aux négociations internes entre les talibans et le gouvernement afghan. Une indication supplémentaire sur l’exploitation de l’Iran de la crise actuelle. Zarif suggère de former un nouveau gouvernement en Afghanistan qui réunit tous les courants politiques et ethniques afin de jeter les bases d’un pays nouveau et marquer la fin des souffrances vieilles de plusieurs décennies du peuple afghan.
Il semble que ce soit un discours unifié sur le rôle qu’on joué les États-Unis dans la chute de l’Afghanistan depuis leur entrée militaire dans le pays. Mais la formation d’un nouveau gouvernement signifie le renversement du régime de Achraf Ghan et la mise en place d’un système de quotas, ce qui exposerait le pays que des troubles civils certains.
Dans une tentative de démêler l’enchevêtrement des équations politiques de la région, Ali Bakr, chercheur spécialiste des mouvements extrémistes au Centre Al-Ahram pour Etudes politiques et stratégiques a déclaré: “Le mouvement est conscient qu’il y a encore à l’heure actuelle une volonté de l’administration américaine de quitter l’Afghanistan pour mettre fin aux pertes matérielles et humaines qui ont affligé son armée, et mettre un terme à une situation dont les pertes pour Washington sont supérieures aux bénéfices. Par conséquent, le mouvement fait pression avec tous ses moyens externes et internes pour obtenir le plus grand bénéfice politique en maintenant les termes de l’accord tels qu’ils sont.”
Le chercheur a souligné que la déclaration du gouvernement afghan selon laquelle les talibans sont chargés de mener les négociations internes à l’extérieur du pays, signifie qu’ils sont conscient de la faiblesse du gouvernement actuel, et que c’est eux qui mènent désormais les pourparlers. Ils veulent envoyer aux États-Unis le messages clair qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils jouissent d’un réseau relationnel puissant dans la région, notamment avec la Chine, la Russie et l’Iran, et que la situation en Afghanistan ou dans toute la région ne peut être réglée sans un consensus avec les dirigeants talibans. Par conséquent, Washington doit offrir plus d’avantages aux talibans et faire pression sur les autorités internes pour leur obtenir davantage de concessions, ce qui signifie une montée de leur influence à l’avenir.
Ali Bakr ajoute que les puissances régionales dont l’Iran, la Chine, la Russie et même les États-Unis, sont conscientes que le mouvement taliban est le seul capable de freiner l’influence de l’Etat islamique dans la région. Représenté dans la province du Khorasan, L’Etat islamique est considéré comme le plus dangereux des deux, dans la mesure ou il cherche à répandre son idéologie et exporter ses combats à l’échelle internationale, tandis que les talibans sont davantage préoccupés par les conditions intérieures de l’Afghanistan.