Les États arabes peuvent-ils aider à désamorcer le conflit Israël-Gaza ?

Alors qu’Israël se prépare à une invasion terrestre à grande échelle de Gaza en réponse à l’attaque surprise du Hamas le 7 octobre, les États arabes de la région s’inquiètent des effets déstabilisateurs de cette guerre sur la région du Moyen-Orient. Ils craignent en particulier une implication accrue de l’Iran et de ses partenaires régionaux, qui pourrait dégénérer en une guerre ouverte entre Israël et l’Iran et provoquer des dommages collatéraux massifs pour les pays arabes qui ont reconnu l’Etat d’Israël, ou qui se sont rapprochés d’une éventuelle normalisation.

L’Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats arabes unis (EAU) et l’Égypte cherchent les moyens de désamorcer la situation, mais jusqu’à présent, ils n’ont pas réussi à convaincre Israël de lever son siège total de Gaza et de mettre un terme à ses bombardements contre les civils. Néanmoins, ces alliés et partenaires arabes des États-Unis peuvent jouer un rôle crucial de médiation lorsqu’il s’agit d’obtenir la libération des otages et des prisonniers détenus par les deux parties, de négocier un cessez-le-feu ou même d’aider à créer une direction politique alternative pour Gaza.

L’administration Biden a adopté une politique consistant à se tenir aux côtes d’Israël et à ne pas remettre en cause sa réponse sévère aux attaques du Hamas. Comme l’a rapporté le Huffington Post le 13 octobre, le Département d’État a appelé les diplomates américains à éviter trois phrases : « désescalade/cessez-le-feu », « fin de la violence/effusion de sang » et « retour au calme ».

Toutefois, les États-Unis auraient poussé Israël à reprendre l’approvisionnement en eau dans le sud de Gaza, ce qui, selon le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, Jake Sullivan, est en adéquation avec les efforts de la Maison Blanche visant à garantir que « les Palestiniens innocents aient accès à ces nécessités de base et soient protégés des bombardements ». En outre, le 15 octobre, Biden a nommé le diplomate et vétéran américain David Satterfield, en tant qu’envoyé spécial pour les questions humanitaires au Moyen-Orient. Satterfield dirigera la diplomatie américaine pour atténuer la crise humanitaire à Gaza, en coordination avec les partenaires régionaux et les Nations Unies.

La plupart des États arabes considèrent la désescalade comme la seule voie sensée et estiment que davantage de violence ne fera qu’engendrer davantage d’effusions de sang et de haine. De hauts responsables qatariens et émiratis ont eu des entretiens téléphoniques avec des hommes d’État de la région et du monde entier pour discuter de la situation, tout en cherchant à rallier la communauté internationale pour pousser les parties vers une désescalade.

Même les pays arabes qui ont normalisé leurs relations avec Israël ou flirté avec la normalisation, comme l’Arabie saoudite, ne sont pas d’accord avec Washington sur la cause profonde de cette explosion de violence. Alors que le président Biden et d’autres responsables américains se livrent à une rhétorique manichéenne du bien contre le mal, les décideurs politiques des pays arabes, y compris ceux qui ont des antécédents avec le Hamas, considèrent généralement l’occupation israélienne prolongée de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie comm

e le cœur du problème. C’est également l’opinion de leurs populations qui ont massivement participé à des manifestations de solidarité envers le peuple palestinien.

Le Qatar, qui offre un refuge aux dirigeants du Hamas et qui a joué un rôle actif pour tenter d’atténuer les souffrances économiques à Gaza, a imputé toute la responsabilité à l’occupation israélienne sans condamner la violence du Hamas. « Israël porte seul la responsabilité de l’escalade actuelle en raison de ses violations incessantes des droits du peuple palestinien, la dernière en date étant les raids répétés sur la mosquée al-Aqsa sous la protection de la police israélienne », indique un communiqué du ministère des Affaires étrangères.

L’Arabie saoudite, qui négocie avec les États-Unis et Israël sur les termes d’un accord de normalisation, a adopté la même position. Le 7 octobre, le ministère saoudien des Affaires étrangères a exigé une « cessation immédiate de la violence » et a déclaré que les responsables de Riyad « suivaient les développements sans précédent entre un certain nombre de factions palestiniennes et les forces d’occupation israéliennes, qui ont conduit à un niveau élevé de violence sur plusieurs fronts ». Le 15 octobre, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a réitéré son appel à un cessez-le-feu lors d’une réunion avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken.

L’administration Biden serait déçue par l’insistance de Riyad sur le fait que la crise aurait pu être évitée si l’Initiative de paix arabe de 2002 proposée par l’Arabie saoudite avait été mise en œuvre. Les efforts visant à convaincre Riyad de reconnaître l’Etat d’Israël semblent également compromis, car Mohammad ben Salmane compose avec la colère du monde arabe et musulman face aux représailles massives d’Israël contre Gaza. Le fait que le premier appel téléphonique entre le dirigeant saoudien et le président iranien Ebrahim Raissi depuis la normalisation des relations entre les deux parties en mars ait eu lieu au lendemain des nouveaux affrontements entre le Hamas et Israël, est plutôt révélateur. L’une des raisons pour lesquelles Riyad a cherché à rétablir ses relations avec Téhéran est d’éviter les dommages collatéraux sur le royaume en cas de conflit entre l’Iran et Israël ou les États-Unis. Les attaques d’Aramco de septembre 2019, au cours desquelles des installations pétrolières saoudiennes ont été touchées par des roquettes et des drones iraniens, ont largement contribué à éclairer la perception des responsables saoudiens quant aux menaces iraniennes.

Les Émirats arabes unis, qui ont également amélioré leurs relations avec l’Iran, ont fait preuve de plus de sympathie envers Israël. Signataire majeur des accords d’Abraham de 2020, Abu Dhabi a publié le 8 octobre une déclaration indiquant que « les attaques du Hamas contre les villes et villages israéliens proches de la bande de Gaza, notamment avec des tirs de milliers de roquettes sur les centres de population, constituent une escalade sérieuse et grave », et condamnant le Hamas pour avoir enlevé et pris en otage des civils israéliens.

Malgré les désaccords fondamentaux entre Washington et la plupart de ces États arabes alliés des États-Unis sur les causes profondes de cette effusion de sang, la coopération demeure sur des questions urgentes comme la libération des otages du Hamas et des prisonniers palestiniens détenus par Israël. Les Etats Unis ont également demandé aux pays arabes d’aider les Palestiniens déplacés à la suite des représailles massives d’Israël.

Obtenir cette assistance était l’une des principales priorités de Blinken lors de sa tournée rapide dans les capitales arabes, qui a débuté en Israël la semaine dernière. Le 13 octobre à Doha, il a rencontré l’émir du Qatar et a félicité le pays gazier pour ses efforts visant à obtenir la libération des otages détenus à Gaza. Il reste à voir si l’attaque brutale du Hamas incitera l’administration Biden à faire pression sur le Qatar pour qu’il expulse les dirigeants du Hamas de Doha. Pour l’instant, la Maison Blanche continue de valoriser le rôle du Qatar en tant que pont diplomatique vers le Hamas. En effet, Doha a une longue expérience en matière de facilitation des négociations indirectes entre les États-Unis et diverses parties, dont l’Iran et les talibans, et les Qataris investiront probablement une énergie diplomatique importante pour jouer un rôle similaire dans cette dernière crise sans précédent.

En tant qu’État riche et relativement éloigné, le Qatar a beaucoup moins à perdre que l’Égypte, le seul pays arabe partageant une frontière terrestre avec Gaza. Alors que le président Abdel Fattah al-Sissi brigue un troisième mandat à la fin de cette année, il résiste à un afflux de Gazaouis désespérés dans la péninsule égyptienne du Sinaï, craignant que cela n’exacerbe l’instabilité d’un pays déjà confronté à des problèmes économiques majeurs et au mécontentement populaire.

Malgré ses relations étroites avec Washington, le président égyptien a adopté une position pro-palestinienne ferme lors de sa rencontre avec Blinken le 15 octobre. Il a déclaré au chef de la diplomatie américaine que la violence du Hamas résultait d’un manque de progrès dans la recherche d’une solution politique à la question palestinienne et a attiré l’attention de Blinken sur la nécessité d’éviter les « punitions collectives ».

L’Égypte a joué un rôle clé dans le passé en négociant les cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, et l’administration Biden devra très probablement collaborer avec le Caire pour mettre fin à cette nouvelle crise. Il demande déjà à l’Égypte d’ouvrir sa frontière de Rafah pour permettre à quelque 500 Palestiniens, qui sont des citoyens américains, de fuir la région et pour permettre à l’aide humanitaire d’entrer dans l’enclave assiégée.

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