L’idéologie islamiste Barelvi : une nouvelle menace proactive atteint l’Europe

Les services de renseignement italiens ont découvert courant 2020 la présence de quelques étrangers proches du cercle relationnel immédiat de Zaheer Hassan Mahmood, le Pakistanais de 27 ans qui, le 25 septembre 2020, a grièvement blessé deux personnes avec une machette près des anciens locaux du journal satirique français Charlie Hebdo à Paris, pour se “venger” de la publication de nouvelles caricatures représentant le prophète Mahomet.

Le 29 septembre 2021, la police italienne a arrêté près de la ville de Lodi (non loin de Fabbrico) Hamza Ali, un citoyen pakistanais de 19 ans. Les autorités françaises ont indiqué qu’il était également impliqué dans l’attentat du 25 septembre 2020. Zaheer Mahmood lui avait envoyé la vidéo où il revendiquait l’attentat, lui demandant de la diffuser au cas où il ne pourrait pas le faire lui-même.

Le 6 juin 2022, la police italienne a arrêté quatorze citoyens pakistanais, tous accusés d’appartenir à un réseau djihadiste international affilié au mouvement Barelvi, actif en Italie, en France, en Espagne et en Grèce.

Le réseau était également très actif sur Facebook et TikTok ou il se donnait le pseudonyme de “Gabar”. Le 21 juillet 2020, soit deux mois avant l’attaque, le groupe a posté une photo montrant treize de ses membres posant tous alignés devant la Tour Eiffel, avec le commentaire “soyez patients, nous nous retrouverons sur le champ de bataille”. Au centre de la photo, se trouvait Zaheer Hassan Mahmood.

Après l’attentat du 25 septembre 2020, toutes les références au groupe Gabar ont été supprimées des réseaux sociaux, selon les enquêteurs italiens. Seulement, le 27 janvier 2021, un nouveau groupe appelé “United Group Paris France” a été créé, et l’homme figurant sur la photo de profil a rapidement été identifié comme étant Yassin Tahir, le chef de la cellule active du groupe Gabar en Italie. Au fil de l’enquête, il est apparu que Tahir coordonnait une cellule active dans plusieurs villes italiennes, dont la plaque tournante était Fabbrico, une petite ville où les membres du réseau Gabar se sont retrouvés à plusieurs reprises, et qui se trouve non loin de Lodi, la ville ou Hamza Ali a été arrêté.  Les activités de Tahir au sein de la cellule “italienne” consistaient à trouver de nouvelles recrues, à rechercher des cachettes potentielles, à acheter des armes et à entretenir des liens avec les principaux dirigeants du réseau à l’étranger.

Le réseau Gabar

En février 2022, la police espagnole a arrêté cinq citoyens pakistanais à Barcelone, Gérone, Ubeda et Grenade, tous accusés d’être des partisans du parti islamiste pakistanais Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP), qui pratique la propagande djihadiste en appelant à faire la guerre à tous ceux qui insultent l’islam ou le prophète. Selon les enquêteurs espagnols, Zaheer Mahmood appartenait à ce même groupe.

Parmi les cinq personnes arrêtées, il y avait Ullah Choaib, 31 ans. Outre les publications de Choaib sur les réseaux sociaux, la police espagnole a récupéré sur son téléphone mobile plusieurs photos où il tenait des machettes, des photos d’armes légères et de fusils d’assaut, ainsi qu’un cliché du président français Emmanuel Macron, accompagné de l’inscription “headshot” (balle dans la tête).

Au moins trois des individus arrêtés en Espagne étaient en contact avec des éléments du réseau Gabar démantelé par les autorités italiennes. En novembre 2020, soit seulement deux mois après l’agression près des anciens bureaux de Charlie Hebdo, la police espagnole a arrêté Yassin Tahir et Hassan Raza alors qu’ils tentaient de passer en France. Ce dernier a été arrêté et purge actuellement une peine de 21 mois à Barcelone pour atteinte à l’ordre public. Quant à Tahir, il a réussi à s’enfuir à Paris, où il a été arrêté trois mois plus tard, le 22 février 2021. Il a été retrouvé à la gare Sainte Lazare en possession d’une machette presque identique à celle utilisée par Mahmood. En avril 2021, les autorités françaises ont libéré Tahir et l’ont renvoyé par avion en Italie, où il résidait. Les écoutes téléphoniques menées plus tard par les autorités italiennes ont révélé que Tahir et ses acolytes envisageaient également de créer une cellule dans la région de Barcelone, et que Raza pratiquait d’intenses campagnes de propagande sur internet.

Le réseau Gabar, présent en France, en Italie, en Espagne et en Grèce, obéissait à une structure hiérarchique précise, avec un chef fondateur, un président, un vice-président, un secrétaire et plusieurs autres postes définis. Au sommet de la pyramide se trouvait Nadim Raan, également connu sous le nom de “Peer” (camarade). Même pendant sa détention en France, Tahir le consultait régulièrement par téléphone. Le 11 août 2021, lors d’une conversation téléphonique entre les deux hommes, Raan a dit à Tahir qu’il avait l’intention de se rendre en Italie où il ferait “toutes sortes de choses” dès sa libération.

Il a ajouté : “Je suis un homme courageux dans les moments difficiles et maintenant que mes frères sont dehors et que je le serai bientôt, vous verrez ce que nous ferons là-bas. Tous les groupes vont entendre le nom de Gabar et tous vont se mettre à genoux. Vous devez savoir que je suis une personne importante au Pakistan, je connais des gens que vous ne pouvez qu’imaginer, demain je vous enverrai une vidéo pour que vous le réalisiez”.

A d’autres occasions, les deux hommes ont discuté de la possibilité d’acheter des armes et de trouver au moins une dizaine de nouveaux membres dans chaque ville pour former des cellules Gabar en Italie et en Espagne.

Un nouveau type de structure

Le réseau Gabar ressemble à une organisation hybride qui combine une structure hiérarchique typique des organisations terroristes traditionnelles, comme une nationalité et une origine ethnique spécifiques (pakistanaise et pendjabi), avec un mode opératoire commun au “terrorisme improvisé” qui s’est propagé aux cours de la dernière décennie avec l’État islamique. Il s’agit d’un nouveau type de terrorisme qui ne nécessite pas de rejoindre une organisation terroriste traditionnelle et secrète, ni de se rendre dans un camp d’entraînement au Moyen-Orient ou en Asie du Sud. Il repose plutôt sur l’initiative individuelle d’acteurs locaux en Europe. La propagande et le recrutement se pratiquent essentiellement par le biais d’internet et les armes blanches généralement utilisées dans les attentats ne sont pas difficiles à obtenir.

A en juger par les informations disponibles à ce jour, le réseau Gabar n’a aucun lien avec des organisations terroristes importantes et bien enracinées comme Al-Qaida ou l’Etat islamique. Malgré sa structure hiérarchique, il semble lui manquer une chaine de commandement bien établie.

Par exemple, Mahmood, qui était un membre haut placé du groupe, a agi de son propre chef. Il est fort possible que les autres membres de Gabar étaient au courant de ses intentions, mais très peu probable que l’assaillant ait demandé la moindre permission à qui que ce soit avant de passer à l’acte. La fluidité du réseau rend également difficile l’utilisation de termes comme “cellule” et “réseau” pour expliquer son fonctionnement, car ses membres sont en mouvement constant, changeant sans arrêt de domicile et de lieu de rencontre.

Après l’attentat de septembre 2020, la presse européenne a souvent utilisé l’expression « loup solitaire » pour qualifier Zaheer Mahmood, seulement, un loup solitaire est supposé agir seul, sans aucun soutien, et dans le monde du terrorisme, les loups se déplacent en meute. Mahmoud en est la parfaite illustration, car il s’est avéré plus tard être un membre important d’un réseau terroriste.

L’origine du mouvement Barelvi

Le réseau Gabar est idéologiquement lié à Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP), un parti politique islamiste créé au Pakistan en 2015 par Khadim Hussein Rizvi, un religieux barelvi originaire du Pendjab, dont les discours ont été condamnés en vertu des lois antiterroristes pakistanaises, malgré le laxisme notoire du gouvernement envers les prêches extrémistes.  

Le mouvement Barelvi, également connu sous le nom de Ahl al-Sunna waal-Jamaat, est un mouvement de revitalisation sunnite aux fortes influences soufies, qui a vu le jour en Inde entre le 18e et le 19e siècle. Il a longtemps rivalisé avec un autre mouvement de revitalisation islamique, également né en Inde, appelé « Déobandisme », dont la vocation était de soutenir la guerre contre le colonialisme britannique, et plus tard, contre les Soviétiques en Afghanistan. L’idéologie déobandi est profondément enracinée au Pakistan et est également partagée par les Talibans.

Dans les années 1980, les Barelvis ont formé le Dawat e-Islami, une unité dédiée au prosélytisme, destinée à concurrencer le Tablighi Jamaat deobandi. Peu après, d’autres groupes barelvi sont apparus, comme le Sunni Tehreek et la Jamaat ahl-al-Sunnah.

Après le 11 septembre, alors que le Pakistan se trouvait dans le viseur des puissances occidentales, un certain nombre d’organisations sectaires liées à l’école déobandi ont été interdites. Partageant la même idéologie que les Talibans, ces groupes ne pouvaient plus être présentés comme des alliés agissant contre les Russes. Leur proximité était devenue embarrassante pour un État supposé être impliqué dans la lutte contre le terrorisme. L’État pakistanais et ses agences de renseignement ont cependant continué à utiliser les militants déobandi, dont les Talibans, pour des questions de politique étrangère, et même à l’intérieur du pays, de nombreux groupes ont pu continuer à agir en changeant simplement de nom.

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