Washington se montre prudent face aux changements politiques en Tunisie pour préserver ses intérêts dans la région

Les États-Unis ont réaffirmé leur soutien à la Tunisie dans son processus démocratique et ses efforts pour restaurer un rythme de croissance économique, dans une démarche qui vise à renforcer les changements en cours dans le pays. Cependant, le soutien américain ne fait pas l’unanimité en Tunisie. Certains y voient une ingérence dans les affaires internes du pays en vue de protéger les intérêts américains en Afrique du nord.

Cette polémique a été déclenchée par la visite d’une délégation du Congrès américain les 4 et 5 septembre en Tunisie. Un certain nombre de parlementaires et de chefs de partis ont rejeté l’invitation de l’ambassade des États-Unis à Tunis à rencontrer la délégation du Congrès.

Le Mouvement de l’unité populaire a indiqué dans un communiqué avoir reçu une invitation de la représentante de l’ambassade américaine, Laila Haddad, pour assister à une réunion avec une délégation du Congrès américain, en visite en Tunisie. Le mouvement a indiqué avoir rejeté l’appel, réitérant sa position de principe “qui appelle à la protection de la souveraineté nationale et à ne permettre à aucune partie extérieure de s’ingérer dans les affaires internes”.

De même, l’Alliance nationale tunisienne et le Parti libéral constitutionnel ont rejeté cet appel, qualifiant également la manœuvre d’ingérence étrangère. Une prise de position relayée par l’Union générale tunisienne du travail, dont le secrétaire général adjoint, Sami al-Tahiri, a déclaré que “la question tunisienne ne peut être résolue qu’entre tunisiens”. Al-Tahri a précisé dans une publication Facebook que “le syndicat ne participera pas à l’invitation de l’ambassade américaine”.

Des observateurs estiment que certains de ces rejets sont dus à la position précédente des Etats-Unis qui avaient établi un plan visant à autonomiser les islamistes et à les aider à accéder au pouvoir dans les pays ou le printemps arabe a eu lieu après 2011, malgré la particularité de la société et de la culture tunisiennes à caractère laïc.

Les observateurs estiment que le soutien américain aux islamistes est l’une des principales raisons de l’effondrement qui a conduit à la révolte populaire du 25 juillet 2021, et aux mesures exceptionnelles prises par le président tunisien Kais Saied, notamment le gel des activités du Parlement et la destitution du premier ministre, tous deux sous le contrôle du mouvement islamiste Ennahda.

Il semble que Washington ait commencé à comprendre l’échec de cette expérience au milieu d’une conjoncture sensible de mutations régionales et internationales, ce qui explique son intérêt appuyé pour la Tunisie et l’affirmation de son soutien à la nouvelle voie sur laquelle le pays s’engage. Le secrétaire d’Etat américain, Anthony Blinken, a confirmé lors d’un entretien téléphonique avec le président tunisien le “partenariat fort” qui lie les Etats-Unis et la Tunisie.

Le président tunisien a également contacté Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale du président américain, qui a à son tour confirmé “le soutien de l’administration américaine envers la démocratie tunisienne”. Ses partisans ont envisagé une réponse indirecte au mouvement Ennahda, qui, au début du changement, a tenté en vain de gagner l’adhésion de Washington en insistant sur la théorie du coup d’État dans les médias occidentaux en général et américains en particulier. Le 13 août, le président tunisien a rencontré une délégation américaine composée de hauts responsables et de représentants de la Maison Blanche et du Département d’Etat.

Les observateurs ont exclu la possibilité que les Etats-Unis cherchent à persuader le président tunisien de rétablir la situation d’avant le gel du Parlement, ce qui reviendrait à remettre les islamistes en position de force.

La veille de la visite de la délégation, le ministre tunisien des Affaires étrangères, Othman Jerandi, a rencontré l’ambassadeur américain en Tunisie, Donald Bloom, qui a exprimé la volonté de son pays de continuer à soutenir la Tunisie pour achever la construction de sa démocratie et restaurer le rythme de sa croissance économique.

Lors de son entretien avec l’ambassadeur américain, Jerandi a expliqué que “les décisions prises par le président Kais Saied le 25 juillet, s’inscrivent dans le cadre de la constitution et corrigent la voie démocratique pour préserver la pérennité de l’État et de ses institutions.”

Il a souligné “l’engagement du Chef de l’Etat à avancer dans la consolidation de la voie démocratique dans le cadre du respect des droits de l’Homme, des libertés et de l’Etat de droit”.

Les deux parties ont également échangé sur un certain nombre de dossiers régionaux et internationaux, notamment la situation en Libye, un dossier régional délicat qui pousse Washington à traiter avec prudence la situation en Tunisie et à éviter tout affrontement avec le chef de l’Etat, la population, et les partis dont la majorité rejette la gouvernance des islamistes.

Outre le dossier libyen, les analystes soulignent que l’intérêt américain vise également à protéger l’accord de coopération militaire signé avec la Tunisie en septembre 2020. Les détails de l’accord n’avaient pas été annoncés à l’époque, mais des proches de l’ancien secrétaire américain à la Défense, Mark Esper, ont expliqué qu’il s’agissait d’une carte sur dix ans pour développer des relations à travers la formation militaire, au cas où la Tunisie déciderait d’acheter des armes américaines de précision.

Cet accord a coïncidé avec des discussions sur l’établissement d’une base américaine en Tunisie, bien que les autorités tunisiennes aient affirmé à plusieurs reprises qu’il n’y avait pas de base militaire américaine sur leur territoire et qu’il n’y en aura pas à l’avenir. D’autre part, le commandement militaire américain en Afrique (AFRICOM), a annoncé dans un communiqué en mai dernier son intention d’envoyer des équipes de soutien en Tunisie en raison de la situation sécuritaire instable en Libye.

Cette initiative a suscité de nombreuses critiques de la part de l’opinion publique tunisienne, suite à quoi AFRICOM à publié une autre déclaration pour préciser que ces équipes seront destinées à l’entraînement conjoint et non au combat.

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