L’Arabie saoudite accusée d’avoir menacé l’enquêteuse de l’ONU sur l’affaire Khashoggi

Agnès Callamard, l’enquêteuse indépendante de l’ONU dans l’affaire Khashoggi , aurait été menacée à deux reprises par le le président saoudien de la commission des droits de l’homme du royaume, précédemment assistant du prince héritier Mohammed ben Salmane.

Une personne proche de l’enquête a affirmé qu’Awad Al-Awwad avait menacé à deux reprises de “se concentrer” sur Agnès Callamard, lors d’une réunion avec de hauts responsables des droits de l’homme en janvier 2020 à Genève.

Le journal britannique The Guardian a évoqué ces menaces pour la première fois la semaine dernière suite à un entretien avec Callamard dans lequel elle s’est souvenue avoir été alertée de ces menaces par ses collègues de l’ONU. Mercredi, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a confirmé les propos de l’enquêteuse.

“Nous confirmons que les détails rapportés par The Guardian concernant la menace d’Agnès Callamard sont exacts”, a déclaré Robert Colville, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. “Mme Callamard a elle-même informé le Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, ainsi que la sécurité des Nations Unies et le chef du Conseil des droits de l’homme, qui ont à leur tour informé les autorités compétentes”, a t-il ajouté.

Mercredi, The Guardian a informé un porte-parole de l’ambassade saoudienne à Washington de son intention de publier un article identifiant Awad comme étant l’auteur des menaces présumées, et a demandé au gouvernement saoudien de commenter l’affaire, étant donné qu’Awad est l’ancien assistant du prince héritier et a été ambassadeur du royaume en Allemagne.

Jeudi, Awad a publié une série de tweets dans lesquels il a déclaré avoir appris que Callamard et certains responsables des Nations Unies pensaient qu’il était l’auteur des menaces adressées à l’enquêteuse, ce qu’il a très fermement nié. Il a évoqué la probabilité que l’histoire soit “fabriquée” dans le but de détourner l’attention des gens du “travail important que nous accomplissons pour promouvoir les droits de l’homme dans le Royaume d’Arabie saoudite”.

“Bien que je ne me souvienne pas des conversations exactes, je n’ai jamais souhaité faire du mal ou menacer de faire du mal à quiconque travaillant pour l’ONU, ou à qui que ce soit d’ailleurs”, a-t-il écrit sur Twitter, “Je me sens frustré car tout ce que j’ai dit peut être interprété comme une menace. Je suis un défenseur des droits humains et je passe ma journée à travailler pour m’assurer de faire respecter ces valeurs.”

Il a ajouté: “En tant qu’ancien diplomate, je comprends l’importance cruciale du dialogue, même avec des personnes contre lesquelles nous pouvons fortement être en désaccord… Je vois les menaces à l’intégrité d’une personne en terme de loi morale, et elles constituent une atteinte aux principes les plus sacrés de ma religion.”

Agnès Callamard, une ressortissante française qui occupe le poste de Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires depuis 2016, assumera un nouveau rôle en tant que secrétaire général d’Amnesty International d’ici fin mars.

The Guardian a affirmé que les Nations Unies avaient pris les menaces présumées contre Agnès Callamard suffisamment au sérieux pour que les responsables français demandent à soulever la question en privé avec l’Arabie saoudite.

Selon le propre récit de d’Agnès Callamard, sur la base des informations qui lui ont été rapportées par l’ONU, d’autres responsables saoudiens présents à la réunion ont cherché à convaincre les responsables de l’ONU que les déclarations d’Awad selon lesquelles Callamard pourrait être “prise en charge” si l’ONU ne la maîtrisait pas, ne devraient pas être prises au sérieux. Ils auraient quitté la pièce un plus tard pendant qu’Awad restait derrière et aurait réitéré sa remarque en affirmant que “l’affaire” avait besoin d’attention.

Les commentaires d’Awad interprétés comme une menace, sont survenus au moment où les enquêtes de Agnès Callamard faisaient pression sur le royaume.

En juin 2019, elle a publié un rapport accompagné de “preuves tangibles” que Ben Salmane, le dirigeant de facto de l’Arabie saoudite, était responsable du meurtre du journaliste du Washington Post, Jamal Khashoggi.

Elle enquêtait également sur le piratage présumé par l’Arabie saoudite du PDG d’Amazon Jeff Bezos, propriétaire du Washington Post. Elle a publié le 22 janvier dernier avec David Kay, qui était à l’époque rapporteur spécial sur la liberté d’expression, une déclaration appelant à une enquête sur la possible implication personnelle de Ben Salmane dans la diffusion de logiciels espions sur le téléphone de Bezos. Ils ont révélé qu’ils avaient reçu informations selon lesquelles un logiciel numérique espion avait été envoyé à partir d’un compte WhatsApp appartenant au prince héritier, pour surveiller le téléphone de Bezos. Une accusation que l’Arabie saoudite a niée.

Alors que l’enquête de Callamard et Kay n’avait pas encore été rendue publique au moment des réunions d’Awad le 20 janvier avec les responsables de l’ONU à Genève, les deux enquêteurs ont envoyé une lettre aux autorités saoudiennes quelques jours plus tôt – le 17 janvier 2020 – pour les alerter des accusations portées contre eux suite aux faits découverts au cours de l’enquête, les avertissant qu’ils prévoyaient d’en publier les résultats. Il n’est pas clair encore si Awad était au courant de la lettre au moment de sa visite à Genève.

Agnès Callamard et David Kay ont écrit dans leur lettre: “Nous pourrons exprimer publiquement nos préoccupations dans un proche avenir, car les informations sur lesquelles le communiqué de presse sera basé sont, à notre avis, suffisamment fiables pour indiquer un problème nécessitant une attention immédiate, et nous pensons que le grand public devrait être alerté des implications potentielles des allégations mentionnées ci-dessus. Le communiqué de presse indiquera que nous avons été en contact avec votre gouvernement et clarifiera l’affaire ou les affaires concernées.”

L’Arabie saoudite a de son côté publié un communiqué de presse dans lequel elle soutient que Awad a rencontré les responsables des Nations Unies trois jours après l’envoi de la lettre, soit le 20 janvier 2020. Le communiqué affirme qu’Awad a souligné “le danger de politiser les droits de l’homme” et a appelé le Conseil des droits de l’homme à “unifier les efforts dans ce domaine et éviter la politisation”.

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