La toile d’araignée tissée en Europe par le régime de Tayyip Erdogan

C’est une véritable toile d’araignée qu’a tissée dans toute l’Europe du nord le président turc Tayyip Erdogan, à travers 650 associations coordonnées par une confédération en France, en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas. Sa popularité sur le continent depuis son arrivée au pouvoir en 2003 lui a permis de relayer sa propagande, d’exercer une surveillance auprès de la communauté turque en exil et de maitriser les mouvements de l’opposition, plus a l’aise pour s’exprimer au sein des démocraties. Les autorités françaises estiment que “Ankara exerce un contrôle sur la communauté turque”. Le ministère des Affaires étrangères soutient que Erdogan “veut étouffer toute contestation dans l’œuf.”

Dans le cadre de sa stratégie, le régime turc a créé un réseau d’écoles dont les programmes correspondent aux préceptes de l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir. “Le problème est qu’il s’agit de futurs binationaux. Des Français qui sont formés par un État étranger pour être sensibles aux thèses islamistes” déplore un expert.

L’enseignement dans ces écoles est évidemment dispensé par des professeurs turcs, “tous soumis à l’AKP”, dans le cadre du dispositif des Elco (enseignements de langue et culture d’origine), que Macron souhaite annuler. Erdogan peut également compter sur la fondation Maarif qui fonctionne en coordination avec les ministères turcs de l’Education et des Affaires étrangères, et qui répond à de grandes ambitions du régime turc. Cette fondation est présentée comme un réseau d’établissements privés, officiellement voués au “rayonnement culturel de la Turquie”. Depuis sa création officielle en juin 2016, la fondation a été implantée dans 90 pays et a ouvert plus 162 écoles.

Les services de renseignement français s’intéressent de près a la Maarif. Ils voient ces écoles comme un outil de “promotion de l’idéologie islamo-nationaliste de l’AKP” et des “espaces de surveillance”, plus particulièrement en Alsace ou la communauté turque est importante. Une note adressée à l’Elysée indique que même les professeurs de ces établissements détachés par la Turquie sont “soupçonnés d’être des espions ou de procurer une couverture pour des officiers du MIT”

L’Union internationale des démocrates (UID) est une autre organisation que la France surveille de près. Sept associations issues de sa branche française créée en 2006 travaillent sur “l’image de marque” du gouvernement turc en apportant un “soutien logistique” pour organiser des manifestations pour le compte de l’AKP. L’organisation animée par un franco-turc de 32 ans est composée de membres jeunes. Elle est dotée d’une section féminine dirigée par une femme turque soupçonnée d’être en relation avec une ancienne autorité du MIT, et avec un important diplomate turc à Paris que la DGSI suspecte de lui transmettre des directives dans le cadre du soutien à Erdogan.

Outre la propagande politique, la stratégie turque cherche à diffuser un islam politique, travaillé par deux mouvements : le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF) et le Millî Görüs. Deux institutions qui visent à “peser dans les instances officielles de l’islam de France” selon les observations de la DGSI. De 2017 à 2019, le CCMTF avait réussi à nommer Ahmet Ogras, l’un de ses membres, à la tête du CFCM, le Conseil français du culte musulman qui fédère les principaux courants de l’islam. Cet ingénieur sans formation religieuse importante a nié toute subordination à Ankara mais a encensé Erdogan en le qualifiant de “modèle de démocratie”.

En décembre dernier, ces institutions avaient montré leur poids en entravant la rédaction de la “charte des valeurs”, rédigée à la demande d’Emmanuel Macron dans le cadre de sa loi contre le “séparatisme”. Bekir Altas, Le secrétaire général du Mîlli Görüs en Allemagne avait réussi à saboter les discussions du CFCM qu’il suivait au téléphone, par les directives qu’il donnait à ses représentants en France. Le CCMTF qui dirige 10% des mosquées en France est directement rattaché à la direction des affaires religieuses d’Ankara.

Selon les services spécialisés, la stratégie d’influence du gouvernement d’Erdogan touche “la vie politique française en s’appuyant sur des candidats binationaux dans les élections locales”. Lors du scrutin municipal du printemps 2020, plusieurs noms soumis au pouvoir turc auraient été “injectés minutieusement” dans les listes, notamment à Strasbourg, Colmar ou Mulhouse. Cette technique insidieuse a surtout été remarquée en Alsace, géographiquement proche de l’Allemagne, le pays européen ou la population turque est la plus nombreuse, et où le concordat de 1801 s’applique encore (par exception à la loi de 1905 sur la laïcité), offrant des facilités aux institutions religieuses rattachées à Ankara.

Un des rapports sur la question dénonce une ingérence qui a vocation à “influencer les décisions politiques” de certaines collectivités. Selon un autre rapport, “la DGSI a pu observer la mise en œuvre de stratagèmes visant à présenter des candidats franco-turcs sur le maximum de listes dans une même ville, de façon à ce que le vainqueur ait au moins un colistier turc qui puisse contribuer à défendre les intérêts d’Ankara”. “Ces manœuvres ont mené à l’élection de plusieurs conseillers municipaux connus pour leurs sympathies à l’égard du régime d’Erdogan, mais aussi pour leurs relations avec les vecteurs d’influence turcs sur notre sol”, concluent les experts du renseignement.

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