Dossier : Le Qatar ou l’art du lobbying de pointe

Ce dossier est basé sur le rapport du 30 mars 2020 de Lee Smith, auteur et journaliste politique américain.

Le Qatar, nation du Moyen-Orient, compte un peu plus de 300 000 Qataris natifs, vivant sur 11 586 kilomètres carrés de sable, majoritairement désertiques. Ainsi, le Qatar peut sembler être un point d’appui improbable pour remodeler la politique et la culture occidentales à travers des débats politiques, des groupes de réflexion, des universités et des institutions culturelles de marque. Pourtant, au cours de la dernière décennie, le Qatar a mis en œuvre l’effort le plus sophistiqué, le plus soutenu et le plus fructueux de toute nation ou groupe d’intérêt étranger pour tourner l’opinion occidentale, en particulier l’opinion américaine, en sa faveur.

le Qatar a versé des sommes d’argent insensées dans les gouvernements locaux, les universités, les écoles, les programmes éducatifs, les groupes de réflexion et les médias à travers l’Amérique, et dans un nombre d’initiatives comme le mouvement anti-israélien “Boycott”, le désinvestissement et les sanctions, pour influencer l’opinion américaine. Il est impossible de comprendre comment Washington fonctionne aujourd’hui sans comprendre la nature et la portée de la grande campagne qatari.

Le Qatar a déjà transformé une grande partie de sa richesse énergétique en un portefeuille d’investissement enviable avec des participations importantes à travers les États-Unis. Sa stratégie consiste à utiliser des fonds souverains et d’autres véhicules d’investissement comme instruments politiques, par exemple, faire jouer une influence démodée comme regrouper 1000 $ de contributions aux campagnes de candidats politiques ou faire placer des op-eds par des fonctionnaires à la retraite dans le Washington Post, semblent l’équivalent de rédiger à la main des lettres de collecte de fonds. L’année dernière seulement, le Qatar a déclaré 2,8 milliards de dollars d’investissement étranger direct dans des entreprises américaines, dont une grande partie était destinée à des États comme la Caroline du Sud, où Doha a pris une place importante dans l’industrie aérospatiale et des drones de l’État. Les représentants élus de la Caroline du Sud exercent une influence substantielle sur les comités du Congrès chargés de superviser les relations extérieures des États-Unis et les dépenses de la Défense. Le sénateur influent de la Caroline du Sud, Lindsey Graham, a appelé à une résolution de la crise qui oppose le Qatar à ses voisins l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, mais il a souvent critiqué ouvertement la cible principale du Qatar, le prince héritier saoudien et le dirigeant de facto Mohammed bin Salman.

Cependant, seul un petit pourcentage des dépenses folles du Qatar en Amérique sert à jouer avec la loyauté des politiciens. Dans un sens plus large, les stratégies d’achat d’influence du royaume sont un exemple classique de la façon de transformer l’argent en “soft power” à une époque où des institutions américaines autrefois indépendantes comme les médias de prestige ont été remplacées par des plateformes technologiques beaucoup plus plates et faciles à manier, renforcés par des alignements politiques et financés par d’importantes sommes d’argent corporate et étranger. Les efforts officiels du Qatar pour faire pression sur le gouvernement américain ont quadruplé entre 2016-2017, passant de 4,2 millions de dollars à 16,3 millions de dollars, mais cela est dérisoire par rapport au coût des investissements indirects injecté dans la culture politique américaine. Sur une période de huit ans, de 2009 à 2017, la Qatar Foundation a donné 30,6 millions de dollars à des dizaines de lycées américains de la maternelle à la 12e année. Une somme dérisoire comparée au plus d’un milliard de dollars donné aux universités américaines entre 2011 et 2017, ce qui fait du Qatar “de loin le plus grand bailleur de fonds étranger” du milieu universitaire américain, selon le groupe de surveillance non partisan Project On Government Oversight (POGO). En fait, selon POGO, le Qatar était le “seul pays à donner plus d’un milliard de dollars au cours des sept années couvertes par les données de la loi sur l’enseignement supérieur”. Le deuxième plus gros donneur étranger, l’Angleterre, accuse un retard de plus de 200 millions de dollars en comparaison. Un dernier exemple tiré d’un rapport du Congressional Research Service, indique qu’en “janvier 2018, le dialogue stratégique entre les États-Unis et le Qatar reconait l’engagement de QIA à mettre 45 milliards de dollars dans de futurs investissements dans les entreprises et l’immobilier américains.”

En plus d’être exponentiellement plus chères, les stratégies de soft power du Qatar sont aussi infiniment plus sophistiquées que celles de leurs prédécesseurs. Pour comprendre comment fonctionne le nouveau système d’influence, imaginez une salle de musée qui a été vidée de toutes les œuvres d’art ou antiquités que les visiteurs ont autrefois jugées précieuses. Cet espace vide est la sphère publique américaine, qui était autrefois peuplée d’institutions dont l’indépendance financière et les normes professionnelles leur permettaient de se renforcer mutuellement en tenant compte de la réalité d’une large partie de la population.

Maintenant que ces institutions ont pris des positions ouvertement partisanes et adopté de toxiques théories du complot comme source de revenus, elles ne sont plus capables de créer une réalité avec laquelle un grand nombre de personnes peut être d’accord. La seule façon d’obtenir un accord même éphémère dans un système aussi délabré et mercenaire est de l’acheter, en plusieurs endroits à la fois : à gauche, à droite, au centre, dans les universités, les groupes de réflexion, les acteurs politiques, les cabinets d’avocats, les marques de prestige, les principaux politiciens, de sorte que chaque morceau du miroir brisé semble refléter une réalité commune convenue. La difficulté de cette tâche, bien sûr, est que les illusions ainsi créées sont aussi éphémères que coûteuses. Le Qatar fournit un exemple classique de la façon de jouer à ce jeu, pour ceux dont les poches sont suffisamment profondes.

“C’est un endroit minuscule avec des ressources très importantes», déclare Bernard Haykel, chercheur à Princeton et spécialiste du Moyen-Orient. “Les Qataris veulent se protéger et se rendre indispensables. Ils le font en partie en faisant du Qatar un lieu de rassemblement. Par exemple, si les États-Unis veulent traiter avec les talibans, ils passent par Doha.”

Récemment, les talibans et les responsables américains ont signé un accord qui permettrait aux forces américaines de se retirer définitivement d’Afghanistan. L’accord conclurait l’un des engagements militaires les plus désastreux de l’histoire des États-Unis, tout en respectant l’un des engagements de campagne les plus importants du président Donald Trump en 2016 pour mettre fin aux guerres étrangères inutiles. cet accord représente également la dernière plume en date sur la casquette de Doha. Possible uniquement grâce à un partenariat américain avec le pays qui se considère comme l’ami de tous, disent les responsables qatariens et les admirateurs du pays. Et pour les critiques du Qatar, c’est précisément le problème.

“Le Qatar exerce une influence profondément menaçante sur les intérêts américains fondamentaux”, déclare un expert américain des affaires du Golfe sous couvert d’anonymat. “Le problème est qu’ils sont structurellement promiscuité. ils essaient d’acheter une protection partout. Ils donnent de l’argent aux ennemis américains, comme les Frères musulmans ou le Hezbollah ou le Hamas ou le Front Nusra en Syrie. Les Qataris sont censés être des alliés des États-Unis, mais ils financent et traitent avec des pays et des groupes qui sont contre les intérêts américains.

Selon les dires de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, c’est à cause du soutien du Qatar à ces groupes et pays qu’ils ont imposé le blocus au Conseil de coopération du Golfe (CCG) en juin 2017. Riyad et Abu Dhabi ont émis 13 demandes auxquelles Doha était obligé de répondre avant la levée de l’embargo. Entre autres, les Saoudiens et les Emiratis ont déclaré que le Qatar devait fermer sa chaine d’information par satellite de renommée mondiale Al-Jazeera, cesser de soutenir les Frères musulmans et les groupes islamistes armés, se retirer de l’Iran et cesser toute ingérence dans les affaires intérieures de ses voisins, à savoir l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Une autre demande obligeait le Qatar à aligner ses “politiques militaires, sociales et économiques sur les autres pays du Golfe et pays arabes”.

Du point de vue de Doha, ces demandes reviennent à demander au Qatar d’abandonner sa souveraineté. Mais du point de vue de Riyad et d’Abou Dhabi, les politiques de leur petit voisin représentent une menace stratégique, en particulier, selon les personnalités pro-saoudiennes et émiraties, les relations du Qatar avec les islamistes à travers le monde musulman, comme les talibans, le Hamas, le Hezbollah, les milices chiites d’Irak et les groupes terroristes sunnites.

Le conflit entre les deux blocs du CCG a entraîné un massif afflux de richesses du Golfe à Washington pendant que lobbyistes, consultants, experts de groupes de réflexion et journalistes occupent les bancs des deux côtés concurrents. L’ancienne membre du Congrès de Floride, Ileana Ros-Lehtinen, fait partie des derniers grands noms de Beltway à s’être enregistré comme lobbyiste des Émirats arabes unis, tandis que l’ancien chef adjoint du cabinet du sénateur de Caroline du Sud Lindsey Graham a signé avec le Qatar l’été dernier.

Bien sûr, il n’y a pas de secret autour de l’argent que les puissances étrangères répandent dans la capitale américaine. En effet, le but de dépenser de l’argent est de démontrer ouvertement son pouvoir et son influence. Le but de prendre de l’argent aux puissances étrangères, en dehors de l’argent lui-même bien sûr, est de s’aligner sur le pouvoir que procure leur argent. Tous les américains interrogés sur cette histoire se sont montrés ouverts, certains fiers de leur relation de travail avec l’une ou l’autres des parties en conflits du GCC.

En ce qui concerne Donald Trump, la guerre froide du CCG est également bonne pour l’Amérique. La Maison Blanche déclare publiquement qu’elle veut que les deux parties, toutes deux alliées des États-Unis, résolvent leurs différends, mais avant que Wall Street ne s’effondre, leur combat de plusieurs milliards de dollars a alimenté la main-d’œuvre américaine. Pour se battre pour les faveurs de Trump, les deux parties en conflit du CCG ont énormément dépensé en armes, en avions militaires, en transporteurs civils, et en investissements dans l’immobiliers et la fabrication dans tout le pays, de New York au Texas. Les emplois créés par les dépenses du Golfe expliquent en partie pourquoi en avril, les États-Unis ont connu le taux de chômage le plus bas depuis 1969.

Le président Donald Trump rencontre l’émir du Qatar, Sheikh Tamim bin Hamad Al Thani in au bureau ovale de la Maison Blanche à Washington, D.C., le 9 juillet 2019_NICHOLAS KAMM/AFP VIA GETTY IMAGES

Mais les énormes avalanches d’argent liquide du Golfe qui déferlent sur Washington et le reste du pays sont-elles réellement bonnes pour l’Amérique? Les États du Golfe, après tout, respectent un ensemble de valeurs très différent de ce que les Américains font ou ont fait dans une démocratie occidentale de libre marché. Et aussi rapidement que les partenaires des américains se modernisent sous un leadership dynamique comme celui du prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane et celui de l’émir qatari Tamim bin Hamad Al Thani, il reste encore un long chemin à parcourir. La main-d’œuvre que le Qatar a importée du sous-continent asiatique pour construire les sites de la Coupe du monde 2022 est décrite, sans grande exagération, comme une main d’œuvre esclave.

Parfois, il semble que la prise de décision en matière de politique étrangère américaine, en particulier lorsqu’il s’agit du Moyen-Orient et du monde musulman, est elle-même devenue une bataille par procuration entre les deux camps opposés dans le Golfe. L’Arabie saoudite critique les relations du Qatar avec les groupes terroristes, mais ignore sa propre relation passée avec le Hamas. Riyad et Abu Dhabi auraient tous deux tenté de jouer le rôle de médiateurs auprès des talibans.

Dans la mesure où l’accord de paix afghan peut répondre au désir ardent de l’Amérique de réduire sa présence au Moyen-Orient, il pose également un dilemme au Qatar, qui a peut-être bénéficié plus que quiconque de la présence américaine dans la région depuis les attentats du 11 septembre. Récemment, le Pentagone s’est préparé à son départ du Moyen-Orient, transférant certaines de ses opérations de drones de la base aérienne massive et ultramoderne d’Al Udeid du Qatar à la Caroline du Sud.

Alors que fera le Qatar sans les Américains dans le désert? Transférer ses avoirs en Amérique, bien sûr. La lutte brutale entre le Qatar et ses rivaux du CCG pour la suprématie à Washington représente également un effort pour façonner l’avenir du pays, et peut-être sa survie.

Les Qataris sont parvenus à leur richesse relativement tard, entre le début et le milieu des années 90. Là où la plupart de leurs voisins du Golfe comptent sur le pétrole comme source de revenus, les Qataris ont trouvé du gaz naturel dans le Golfe les séparant de l’Iran. Les deux partagent le plus grand champ de gaz naturel au monde. L’infrastructure de gaz naturel du Qatar a été construite en grande partie par Exxon, alors sous la direction du futur secrétaire d’État de Donald Trump, Rex Tillerson. Le Qatar a le revenu par habitant le plus élevé au monde, avec une population totale légèrement inférieure à 2,5 millions d’habitants, dont la plupart sont des travailleurs expatriés, y compris des avocats et des consultants européens en haut de l’échelle. Et en bas, des ouvriers sud-asiatiques. La plus communauté la plus importante est la communauté indienne avec 650 000 individus, près du double du nombre des Qataris.

Depuis la découverte du gaz naturel qui a placé le Qatar sur la carte du monde, il y a eu trois périodes clés dans l’histoire du pays: 1995-2013, le règne de Hamad bin Khalifa Al Thani, qui a vu la montée en puissance du Qatar en tant qu’acteur mondial, 2013-2017, la politique étrangère réinitialisée sous le règne de son fils Tamim, et la période de 2017 à aujourd’hui, au cours de laquelle le conflit intra-CCG à Washington a conduit la stratégie qatarie.

Le Qatar est dirigé par la famille Al Thani depuis le milieu du XIXe siècle. Le principal personnage historique de l’histoire du pays est incontestablement le cheikh Hamad, l’ancien émir qui a gouverné de 1995 à 2013 et qui a tracé l’ascension du pays grâce à de vastes ressources énergétiques et à des investissements internationaux. En construisant à la fois Al-Jazeera et la base aérienne d’Al Udeid, Hamad a institutionnalisé la politique étrangère du pays. Les Alliés décrivent cette politique comme étant l’amie de tout le monde. Les adversaires, en particulier l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, la qualifient d’insouciante et de schizophrène.

Au début du printemps arabe en 2011, Cheikh Hamad a placé les intérêts du Qatar dans la montée de l’islam politique, soutenant les partis islamistes en Égypte et en Tunisie ainsi que les groupes armés en Libye et en Syrie. Ses erreurs de calcul ont valu à Doha la colère de ses voisins plus traditionnels, à Riyad et à Abu Dhabi. En 2013, le Qatar a redémarré lorsque Hamad a démissionné en faveur de son fils de 39 ans, Tamim, le chéri de sa mère Moza bint Nasser, la plus glamour et la plus influente des quatre épouses de Hamad.

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Quatre ans après, Tamim se retrouve au coeur d’une crise, le blocus, que beaucoup disent être le résultat du soutien de son père à l’islamisme.

“L’Iran n’est pas le problème numéro un qui divise les États du CCG”, déclare l’expert du Moyen-Orient Shadi Hamid, “Dubaï a des relations commerciales plus étroites avec l’Iran que Doha.” Les relations intra-CCG, explique Hamid, “ont vraiment empiré avec le printemps arabe. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont fait pression sur le Qatar à cause de son soutien aux islamistes et cette pression a abouti au blocus.”
D’autres experts régionaux estiment qu’il était presque inévitable que le Qatar soutienne les mouvements islamistes.

“En tant que petit État à côté d’un grand État, vous nagez en contre courant”, déclare David Des Roches, analyste du Moyen-Orient. Il compare la relation du Qatar avec l’Arabie saoudite à celle du Canada avec les États-Unis. “Il semble étrange, par exemple, que les Canadiens se mettent en quatre pour accueillir Cuba”, dit-il. “Mais c’est une façon dont ils se distinguent des Américains. La contradiction vient en partie pour éviter l’assimilation.”

La stratégie politique complexe du Qatar est façonnée par sa géographie, ses relations avec un patronat superpuissant, ses ressources naturelles ainsi que le tempérament de sa famille dirigeante.

L’Arabie saoudite n’est pas le seul grand voisin avec lequel le Qatar doit compter. Sa richesse, sa sécurité et sa capacité à projeter sa puissance sont également déterminées par ses relations avec l’Iran, qui possède le champ gazier de South Pars, et le Qatar, le champ gazier frontalier du North Dome. Ce qui complique encore plus les choses, c’est que l’Arabie saoudite, chef du monde arabe sunnite, et l’Iran, dirigé par un régime religieux chiite, sont engagés dans une compétition de style guerre froide contre le monde musulman. Parfois, le conflit a éclaté en opérations militaires réelles, comme lorsque l’Iran a lancé des missiles sur les installations pétrolières saoudiennes. Avec les deux pays, Doha équilibre les arrangements et les agressions, bien que ces dernières soient généralement fictives car elle ne peut pas non plus se permettre de se transformer en poignard pointé vers son propre cœur.

Par exemple, considérez comment le Qatar a géré l’assassinat ciblé du commandant iranien Qassem Soleimani. Les détracteurs du Qatar n’ont pas tardé à noter que Cheikh Tamim était le premier chef d’État à se rendre en Iran après la frappe. Lui et le président Hassan Rohani ont convenu que la désescalade et le dialogue étaient la seule voie à suivre. Cependant, Rohani a dû grincer des dents, car les drones américains envoyés pour tuer Soleimani ont été lancés depuis une base américaine au Qatar.

Le Qatar joue un double jeu comme le prétendent ses critiques, mais Doha comprend également que Washington est son allié le plus important, son bouclier protecteur. Cette relation a été officiellement reconnue à la suite de l’opération Desert Storm, lorsqu’en 1992, Washington et Doha ont conclu un accord de coopération en matière de défense portant sur la présence de troupes américaines au Qatar, le pré-positionnement de l’équipement militaire américain et les ventes d’armes. L’accord a été renouvelé en 2013 pour encore 10 ans, une période relativement courte dans une région qui a vu disparaître de puissants empires.

En 1995, Hamad a renversé son père, Khalifa bin Hamad Al Thani lors d’un coup d’État sans effusion de sang. À l’époque, les Saoudiens et les Emiratis s’étaient rangés du côté du père et auraient tenté de le remettre sur le trône. En tant que puissances du statu quo, les deux n’aiment pas l’instabilité régionale. Et en tant que familles royales, elles froncent les sourcils face aux coups d’État familiaux, craignant que l’exemple ne puisse inspirer des tentatives similaires dans leurs propres familles. De plus, “l’Arabie se considère comme le père du Golfe, et tout le monde doit embrasser l’anneau et suivre son exemple. Les Saoudiens voient le Qatar non seulement comme une puissance locale plus petite, mais aussi comme une province saoudienne.” a déclaré le militant politique libanais Lokman Slim, tué la semaine dernière au Liban-Sud. En fait, les familles royales d’Arabie saoudite et du Qatar sont originaires de la même région de la péninsule arabique, le Nejd. Ainsi, le conflit régional est en partie tribal, un conflit entre un petit clan et un grand clan.

“L’Arabie saoudite estime que son destin manifeste est de diriger le Golfe”, déclare Sigurd Neubauer, analyste du Moyen-Orient basé à Washington, DC. “Pareil pour les EAU. L’Arabie à cause de sa taille et les Émirats arabes unis parce qu’ils pensent avoir tout compris. Ils ont construit des villes dans lesquelles les gens veulent vivre, comme Dubaï, qu’ils considèrent comme l’esprit du futur. Ils veulent que le Qatar se replie. Psychologiquement, une barrière a été franchie lorsque le Mondial-2022 a été attribué au Qatar. Les Saoudiens et les Emiratis ne comprenaient pas comment le Qatar pouvait accueillir la Coupe du monde et pas eux.”

Pour influencer l’opinion et projeter son pouvoir dans la région et à l’étranger, le Qatar utilise à la fois le soft-power à travers des instruments de puissance douce comme les médias, les sports et la culture, mais aussi des moyens plus durs, le hard-power. Les deux projets les plus anciens et les plus significatifs de Hamad illustrent la nature de l’art politique qatari – une initiative de hard-power et de soft power qui a démontré que le Qatar était l’ami des deux côtés ou jouait à un double jeu. En 1996, Doha a dépensé 1 milliard de dollars pour construire la base aérienne d’Al Udeid, qui deviendrait un nœud clé des opérations militaires américaines après les attentats du 11 septembre 2001. La même année, Hamad a dévoilé une nouvelle entreprise destinée à transformer les médias mondiaux tout en donnant la parole à l’anti-américanisme, notamment à Oussama Ben Laden: Al-Jazeera.

Après le 11 septembre et l’invasion de l’Irak par les États-Unis, la chaine d’information par satellite est devenue l’une des organisations de presse les plus célèbres au monde. Auparavant, les médias arabes étaient composés de dizaines de marchés nationaux fermés, généralement contrôlés par l’État ou par des clans politiques et des services de renseignement qui façonnaient les informations selon les prédilections du pouvoir en place. Al-Jazeera a couvert des événements dans toute la région et, peut-être le plus important pour public de la télévision arabe fatigué de la couverture conçue pour flatter leurs dirigeants, la chaine a défié les régimes au pouvoir, en particulier les puissances régionales alignées sur Washington, l’Égypte et l’Arabie saoudite, qui sans surprise étaient également des cibles du Qatar.

Le personnel de la chaine est un réseau d’arabophones provenant de l’expérience ratée de la BBC. L’orientation idéologique de Al-Jazeera était ouvertement pro-islamiste. Sa personnalité médiatique la plus célèbre était Yusuf al-Qaradawi, un érudit égyptien de l’islam sunnite qui s’est installé à Doha en 1961 pour échapper aux purges anti-Frères musulmans de Gamal Abdel Nasser. Qaradawi est devenu l’impresario universitaire et médiatique du Qatar. Son émission à al-Jazeera, “Sharia and Life”, a dispensé des conseils sur tout, de la masturbation aux attentats-suicides, tous deux autorisés, mais ce dernier uniquement contre les Israéliens.

Qaradawi était la pierre angulaire d’Al-Jazeera après le 11 septembre, lorsque le réseau a acquis une renommée mondiale pour la diffusion exclusive des messages vidéo de Ben Laden. La couverture par Al-Jazeera de l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003 était un acte fièrement favorable à la résistance. En 2004, Qaradawi a émis une fatwa affirmant qu’il était du devoir des musulmans de résister aux “forces de l’occupation.”

Au même moment, les États-Unis menaient des missions depuis Al Udeid contre les forces qu’Al-Jazeera applaudissait. La politique, disent les critiques, n’est pas impartiale mais schizophrène.

“En 2003, les États-Unis avaient quitté l’Arabie saoudite parce que des idéologues islamistes avaient dénoncé la présence américaine dans la péninsule arabique”, explique un analyste saoudien. “Les États-Unis ont déménagé à Al Udeid et maintenant les Qataris paient les mêmes islamistes saoudiens qui voulaient que les États-Unis s’en aillent. Ils rendent visite à l’émir, à une très courte distance en voiture d’Al Udeid.”

La base aérienne d’Al Udeid et Al-Jazeera sont devenues les fondations sur lesquelles le Qatar a construit sa campagne de lobbying mondiale. Vient ensuite une sélection triée sur le volet des grandes universités américaines, apparemment choisies à la fois pour leurs propres domaines d’excellence et pour leurs emplacements stratégiques aux États-Unis, et qui ont également ouvert des campus à Doha. Selon un rapport de 2016, le Qatar dépense plus de 400 millions de dollars par an pour soutenir les campus de Doha de six universités américaines : Carnegie-Mellon, Georgetown, Northwestern, Texas A&M, Weill Cornell Medical College, un avant-poste de la faculté de médecine de l’Université Cornell, et Virginia Commonwealth Campus des arts de l’université.

Le Qatar pourrait dépenser encore plus d’argent dans les établissements d’enseignement supérieur aux États-Unis. Les médias américains ont rapporté que le Qatar est l’un des nombreux pays, dont l’Arabie saoudite et la Chine, à inonder d’argent les meilleures universités comme Yale et Harvard avec plus de 6,5 milliards de dollars de financements étrangers non déclarés. Une étude de “l’Institute for the Study of Global Antisemitism and Policy” a révélé que “les exigences et les procédures fédérales de déclaration ont été inadéquates pour suivre les fonds provenant de l’étranger. Cela représente plus de 3 milliards de dollars offerts par le Qatar et les États du Golfe, qui n’ont jamais été signalés par les universités à l’IRS ou au ministère de l’Éducation.”

Le Qatar a également financé des écoles secondaires, par le biais de programmes en langue arabe. Depuis 2009, la Qatar Foundation International apporte un soutien direct aux écoles qui souhaitent créer ou développer des programmes en langue arabe aux niveaux primaire et secondaire. En 2017, selon un rapport du Wall Street Journal, la QFI a donné 30,6 millions de dollars sur une période de 8 ans, à “plusieurs dizaines d’écoles, de New York à l’Oregon, et à soutenu des initiatives visant à créer ou à encourager la création de programmes en arabe”.

L’engagement mondial de Doha à travers l’art est supervisé par Moza bint Nasser, l’un des principaux décideurs du Qatar, et en tant que mécène des arts, une envoyé non officielle en Occident qui contribue à promouvoir l’ouverture du Qatar au reste du monde.

“Le Qatar a été assez méthodique dans la création de musées”, déclare un ancien responsable américain qui a servi pendant plusieurs années à Doha et est devenu proche de la famille dirigeante. “Il s’intéresse à l’art mondial et régional. Il considère la culture et l’éducation comme des pierres angulaires.”

Les musées qataris comprennent le Musée d’art islamique, le Musée national du Qatar, Mathaf, Musée arabe d’art moderne, ALRIWAQ et Katara. On estime que le Qatar consacre plus d’un milliard de dollars par an à l’art, un chiffre peut-être largement sous-estimé. L’investissement du Qatar dans l’art, écrit un critique, “consiste à mettre en valeur et à perpétuer l’identité arabe. Le défi pour le Qatar, et la raison pour laquelle il s’est développé si différemment des Émirats arabes unis, est de savoir comment devenir un pays moderne sans adopter la culture occidentale.”

Malheureusement, l’antisionisme a été l’un des piliers centraux de l’identité arabe moderne de ces 70 dernières années, en plus du patronage des arts. Ainsi, Moza a également aidé à couver le Boycott, le Désinvestissement, et le mouvement des sanctions sur les campus universitaires américains. Un document de 2009 du ministère de la Justice montre qu’elle a employé Fenton, la société de communication basée aux États-Unis où le fondateur de J Street, Jeremy Ben Ami, avait occupé un poste de haut niveau jusqu’à son départ pour former le rival progressiste de l’AIPAC fin 2007, bien qu’il n’y ait aucune preuve liant Ben Ami à la campagne qatari. Le travail de Fenton consistait à aider à mettre sur pied Fakhoora, une organisation basée à Doha qui cible les étudiants aux États-Unis. Une déclaration publiée sur le site Web de Fakhoora annonce que l’objectif du groupe est “d’isoler l’apartheid israélien à travers des appels au boycott de la société civile palestinienne, le désinvestissement et les sanctions”. Un document de février 2010 intitulé “Contrat de communication Fenton pour la campagne Al Fakhoora” a été conservé par le ministère de la Justice dans ses archives numériques des dossiers FARA. Les activités que Fenton accepte de fournir à sa cliente, Son Altesse Sheikha Mozah Bint Nasser al-Missned, consistent à “Gérer et établir des relations continues avec les étudiants américains et travailler avec des organisations partenaires pour gérer d’autres relations étudiantes en Europe et au Moyen-Orient.” En plus de promouvoir le BDS et d’autres mesures anti-israéliennes sur les campus, Fakhoora était également impliqué dans des formes d’activisme moins académiques. Le directeur de l’organisation, Farooq Burney, était à bord du navire turc, le Mavi Marmara, qui a tenté d’organiser le blocus de Gaza en 2010.

Le même rapport qui indiquait plus de 3 milliards de dollars de financement qatarien pour l’enseignement supérieur aux États-Unis a également noté “une corrélation directe entre le financement des universités par le Qatar et les États du Golfe avec la présence de groupes tels que Students for Justice in Palestine (SJP) et un environnement en détérioration qui favorise une atmosphère antisémite et agressive.” La majeure partie des dons du Moyen-Orient émanent de donateurs qatariens (75%) et de la Fondation du Qatar qui totalisent pratiquement tous les dons du Qatar, conclut le rapport, “ces fonds ont un impact significatif sur les attitudes, la culture antisémite et les activités du BDS.”

La journaliste Lee Smith, raconte au’au milieu de l’hiver, elle déjeune avec un ancien fonctionnaire européen possédant une vaste expérience au Moyen-Orient qui a proposé d’expliquer la stratégie d’investissement du Qatar. Pour le lieu du déjeuner, il a suggéré le Conrad, le nouvel hôtel de 360 ​​chambres du centre-ville de Washington qui est le joyau des propriétés de Doha Beltway, CityCenterDC. Le projet immobilier polyvalent (résidentiel, commercial, bureau) émane de la Maison Blanche qui a débuté en 2011 avec un investissement de 620 millions de dollars de “Qatari Diar Real Estate Company”, la branche d’investissement immobilier de la “Qatar Investment Authority”. Le terrain de 10 acres accueille des marques de vente au détail comme Ferragamo, Hermès, Paul Stuart et des groupes de restauration internationaux comme DBGB et Momofuku. La salle à manger principale du Conrad est Estuary, une salle minimaliste grise et marron.

La stratégie d’investissement du Qatar, dit le responsable, “repose en partie sur l’observation de ce que leurs voisins Saoudiens et Emiratis ont fait de leur richesse”.

Il y a eu à la fois des succès et des échecs. “Les Emiratis ont créé des villes à partir de rien”, dit-il, “comme Dubaï et Abu Dhabi, qui attise l’envie d’une grande partie du reste du monde.”

Les New-Yorkais, les Parisiens, même les Cairens et les Beyrouthins peuvent se permettre de penser aux structures géantes comme à des monstruosités en acier et en verre plantées dans un désert aride. Mais en Asie, en Afrique et dans les anciens États soviétiques, Dubaï et Doha ne sont pas seulement des correspondances de voyage reliant par exemple, Mumbai à Londres, mais représentent de rares opportunités pour un père philippin ou une mère célibataire du Kazakhstan de se soustraire à la pauvreté.

“Le Qatar avait un gros avantage”, explique le responsable. “Les qataris sont parvenus à leur richesse après leurs voisins. Ils savent que leur gaz va s’épuiser à un moment donné. Leurs investissements sont tournés vers l’avenir, pour s’assurer qu’ils iront bien lorsque leurs ressources seront épuisées.”

Pour élargir le portefeuille de Doha et minimiser sa dépendance aux prix de l’énergie, Hamad a fondé en 2005 la Qatar Investment Authority, qui possède désormais près de 330 milliards de dollars d’actifs. La QIA a d’importants investissements dans toute l’Europe, avec des participations importantes dans des sociétés et des institutions financières britanniques, françaises et allemandes de marque, notamment Volkswagen, Porsche, France Télécom, Credit Suisse et Royal Dutch Shell. Ses avoirs à Londres uniquement comprennent Harrods, le village olympique, le bâtiment de l’ambassade américaine à Grosvenor Square, ainsi que 8% de la Bourse de Londres, une part similaire de Barclays et un quart de Sainsbury’s. Au total, ils possèdent plus de Londres, dit-on, que le Crown Estate.

Parmi les marques européennes les plus connues dans lesquelles les Qataris ont investi, il y a les équipes de football, ce qui leur permet également de rivaliser avec les Emiratis tout aussi fous de ce sport. Les deux y voient un moyen de promouvoir leur image de marque mondiale. En 2012, Qatar Sports Investments a racheté l’équipe de France de football, le Paris Saint-Germain. Qatar Airways, la compagnie aérienne nationale, sponsorise un certain nombre d’équipes majeures à travers le monde, notamment le club italien AS Roma, le Bayern Munich de la ligue allemande, Boca Juniors en Argentine, et anciennement le barcelonais du Barcelona FC.

ANDREAS SOLARO/AFP VIA GETTY IMAGES

Plus important encore, le Qatar est l’hôte de la Coupe du monde 2022. La construction des différents sites, comme les nouveaux stades et hôtels, dépend de la main-d’œuvre bon marché du Bangladesh et d’ailleurs du sous-continent asiatique. Un rapport de 2015 a démontré que 1200 travailleurs y étaient décédés et des estimations suggèrent qu’au moment du premier coup d’envoi en novembre 2022, il pourrait y avoir un total de 4000 morts.

Les détracteurs du Qatar utilisent le terme de “sportwashing” our désigner les efforts de Doha à blanchir ses violations des droits humains par le biais de marques de sport très connues. “La critique est juste, mais les fortunes sont généralement utilisées pour masquer les moyens peu agréables par lesquels elles ont été acquises. Ce qui était assez bon pour les Medicis et les Carnegies l’est tout autant pour l’Al Thani.

Le Qatar, d’après David Des Roches, professeur à l’Université de la Défense nationale, “a une stratégie très consciente pour gagner en influence. Il est ouvert à l’idee d’accueillir des rassemblements, des conférences internationales et des expositions.”

Selon un câble WikiLeaks de 2009, un expatrié basé à Doha a déclaré à un diplomate américain que les Qataris “lui avaient expliqué que leur volonté de tenir des conférences internationales, d’heberger des bases militaires américaines et de s’engager sans arrêt avec les autres faisait partie d’une stratégie pour protéger le Qatar. “Nous n’avons pas d’armées”, lui a dit un Qatarien, “considérez donc nos conférences comme nos porte-avions, nos bases militaires et nos armes nucléaires.”

L’expatrié était Hady Amr, un citoyen américain né à Beyrouth qui a servi dans l’administration Obama, après son mandat de directeur du Brookings Doha Center.

La relation entre l’un des principaux groupes de réflexion de Washington DC et le Qatar a commencé en 2002, lorsque l’émirat a organisé une conférence à Doha avec le ministre qatari des Affaires étrangères Hamad bin Jassem Al Thani (HBJ) et l’ancien ambassadeur des États-Unis en Israël Martin Indyk, alors directeur du Saban Center for Middle East Policy à Brookings. En 2007, Brookings a annoncé l’ouverture d’un centre à Doha.
“Le Brookings Doha Center cherchera à forger un partenariat durable entre les principaux décideurs politiques et universitaires des États-Unis et ceux du monde musulman”, a déclaré Indyk dans un communiqué de presse. “Il accueillera également des visiteurs de Brookings et du monde musulman.”
Pour certains, la combinaison d’un pouvoir étatique et d’une institution de recherche est discutable.

“Si un membre du Congrès utilise les rapports Brookings, il ne comprendra pas toute l’histoire, il doit en être conscient”, a déclaré Saleem Ali, un chercheur qui a été invité au Brookings Doha Center au Qatar et qui a déclaré qu’on lui en avait parlé lors de son entretien d’embauche. Il ne pouvait pas prendre des positions critiques à l’égard du gouvernement qatari dans les journaux. “Ils n’obtiennent peut-être pas une fausse histoire, mais ils n’obtiennent pas l’histoire complète.”

Entre 2002 et 2010, Brookings n’a pas révélé combien il avait reçu du Qatar. En 2011, le Qatar a donné à Brookings 2,9 millions de dollars, 100 000 dollars en 2012, et en 2013 une subvention de quatre ans de 14,8 millions de dollars, juste quand Indyk est devenu l’envoyé de l’administration Obama au processus de paix israélo-palestinien. En 2018 et 2019, l’ambassade du Qatar a fait don à Brookings d’au moins 2 millions de dollars.

Une grande partie de l’engagement de Doha avec le monde provient du Qatar Meeting, Incentive, Conference and Exhibition Development Institute (QMDI), qui fait du Qatar un lieu propice aux affaires. Le Forum annuel de Doha rassemble les principaux décideurs politiques du monde entier. La fille de Trump, Ivanka, le secrétaire au Trésor Steve Mnuchin et le sénateur Lindsey Graham figuraient parmi les plus grands noms de l’édition 2019. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, était également présent. En 2018, le Qatar a financé les voyages de six membres du Congrès démocrates participant au forum.

Le Forum de Doha fait également équipe avec un certain nombre de partenaires stratégiques, issus des médias américains notamment, tels que Bloomberg, le magazine Foreign Policy et BuzzFeed. Les frais de déplacements et l’hébergement des journalistes pour couvrir l’évènement en 2019 ont été couverts par le forum. Un certain nombre de groupes de réflexion basés aux États-Unis se sont engagés en tant que partenaires stratégiques pour l’édition 2019, notamment la Fondation Bill et Melinda Gates, le McCain Institute, la Rand Corporation, le Wilson Center, le Stimson Center et l’International Crisis Group. Un rapport de mars 2019 publié dans le Washington Free Beacon a montré que le Qatar avait donné 4 millions de dollars à l’ICG. Son président, Robert Malley, ancien assistant de l’administration Obama, est souvent cité comme un expert objectif des ONG du Moyen-Orient dans le New York Times.

Des analystes régionaux affirment que le rôle du Qatar en tant qu’intermédiaire peut être utile à certains, notamment en aidant à libérer des otages. En novembre, Trump a remercié le cheikh Tamim pour l’aide de son à libérer des talibans un otage américain et un autre australien. Le Qatar a également joué un rôle dans la libération du soldat américain Bowe Berghdal en 2014 en échange de cinq talibans de haut niveau détenues par les forces américaines en Afghanistan.

Selon une étude de Jonathan Schanzer, vice-président de la Fondation pour la défense des démocraties, entre 2011 et 2017, le Qatar a participé 18 fois à des pourparlers liés à des otages. Doha a payé des centaines de millions de dollars à des groupes terroristes au Yémen, en Syrie, au Liban et en Irak pour la libération d’otages arabes, occidentaux et asiatiques. Les détracteurs du Qatar, menés par l’Arabie saoudite, ont affirmé que Doha utilisait les enlèvements comme écran pour financer des groupes terroristes. C’est vrai que la différence entre payer de grosses rançons à des groupes terroristes et leur faire simplement de gros chèques n’est pas tellement significative, du moins pour les groupes terroristes.

Selon plusieurs sources, le blocus du CCG contre le Qatar a été imposé en partie, en raison du paiement d’une rançon colossale aux groupes terroristes sunnites et chiites pour libérer des dizaines d’otages Qataris, y compris des membres de la famille royale, enlevés en Irak lors d’une expédition de chasse. Les négociations pour les libérer ont duré plus d’un an et demi et se sont terminées en avril 2017 lorsque les Qataris ont payé des centaines de millions de dollars aux groupes terroristes sunnites ainsi qu’aux milices affiliées à l’Iran et au CGRI lui-même. À lui seul, Qassem Soleimani aurait dégagé 50 millions de dollars grâce à cet accord.

Les Saoudiens étaient furieux. “Il est compréhensible qu’ils veuillent libérer leurs compatriotes”, déclare un analyste saoudien lié au palais royal. “Mais cet argent est utilisé pour combattre l’Arabie saoudite. Chaque jour, Riyad doit combattre al-Qaida. Les Iraniens tirent des missiles sur nos aéroports. Le Qatar n’a pas ces inquiétudes.”

Doha dit qu’elle lutte contre le terrorisme. Les responsables qatariens avec lesquels Lee Smith a parlé ont fièrement rappelé le mémorandum d’accord américano-qatarien sur le financement du terrorisme signé un mois après l’embargo de juin 2017. “L’accord que nous avons tous les deux signé au nom de nos gouvernements représente des semaines de discussions intensives entre experts et redonne de l’esprit au sommet de Riyad”, a déclaré le secrétaire d’État Tillerson lors d’une conférence de presse conjointe avec le ministre des Affaires étrangères du Qatar, le cheikh Mohammed bin Abdulrahman Al Thani.

“Ils font de bons progrès”, déclare un ancien responsable américain. “Il reste encore du travail à faire, mais vous pouvez le dire de tous les pays du Golfe.

D’autres sont plus sceptiques. “Les États-Unis ont voulu ce protocole d’accord sur le financement du terrorisme pendant un certain temps et ils ne l’ont obtenu qu’après le blocus parce que les Qataris étaient au pied du mur”, explique un analyste saoudien.

Les Qataris ont toujours été laxistes quant à la poursuite et la condamnation des financeurs du terrorisme. Parfois, ils les ont protégés. Dans les années 1990, le Qatar a abrité le principal dirigeant d’Al-Qaida, Khalid Sheikh Mohammed. Alors que le FBI se rapprochait de lui en 1996, Abdullah Bin Khalid al-Thani, un membre de la famille royale et ancien ministre de l’Intérieur a prévenu l’adjoint de Ben Laden.

“Le fait que le Qatar ait signé le mémorandum d’accord que les États-Unis tentent de les faire signer depuis 10 ans prouve ce que nous faisons valoir”, déclare l’analyste saoudien. “Vous ne pouvez pas avoir 10 000 soldats américains et terroristes désignés par les États-Unis en liberté dans les mêmes centres commerciaux de Doha. c’est une demande très sensée des Américains.”

Curieusement, le gouvernement israélien semble soutenir au moins une partie du financement du terrorisme par le Qatar. Alors même que Jérusalem s’est plaint que Doha accueille des responsables du Hamas comme Ismail Haniyeh, Israël a également permis au Qatar de continuer à verser de l’argent à Gaza dans l’espoir d’empêcher une nouvelle guerre. Selon Avigdor Lieberman, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a envoyé de hauts responsables du renseignement et de l’armée à Doha pour “supplier” les Qataris de continuer à payer le Hamas, même si Doha en a assez de l’organisation terroriste palestinienne.

Les Saoudiens ont leur propre histoire sombre en matière de financement du terrorisme. On ignore souvent le rôle que les Saoudiens ont joué en marge de l’establishment au pouvoir dans le financement terroriste et l’incitation aux attentats. Ce n’est que lorsque Al-Qaida a mené des opérations majeures peu après le 11 septembre à l’intérieur du royaume, ciblant les expatriés et les forces de sécurité, que Riyad a reconnu qu’il devait réprimer le terrorisme. Le Qatar n’a pas eu à faire face à ce dilemme et ne le fera peut-être jamais.

“La politique étrangère du Qatar est comme une police d’assurance”, déclare un historien américain spécialite de la région. “Leur principale activité régionale est d’utiliser les Frères musulmans pour projeter leur influence. C’est comme l’ancienne Union soviétique qui a utilisé les partis communistes du monde entier pour étendre leur influence. Les Qataris font de même avec la Fraternité, que ce soit en Tunisie, en Egypte ou en France. Ce n’est pas que c’est un modèle plus sophistiqué que celui des Saoudiens. Riyad n’a pas de mouvements populaires sur lesquels s’appuyer. Le Qatar si.”

De plus, explique l’expert du Moyen-Orient Shadi Hamid, “l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis considèrent la Confrérie des Frères musulmans comme un défi existentiel. Ils la voient opaque et tenant un double discours. Pour eux, c’est une menace. Ils se sentent très fortement anti-Frères musulmans. Ils ont leur propre vision islamiste. Ils promeuvent l’idée d’un islam étatiste et quiétiste.

Comme l’a écrit l’expert du Moyen-Orient Thomas Pierret: “L’Arabie saoudite ne méprise pas seulement les Frères musulmans, mais tous les mouvements politiques islamiques et la politique de masse en général, qu’elle considère comme une menace pour son modèle de monarchie patrimoniale absolue. Les politiques saoudiennes ne sont pas guidées par des doctrines religieuses, comme on le suppose trop souvent, mais par des préoccupations pour la stabilité du royaume, qui se traduisent par un soutien à des forces politiques intrinsèquement conservatrices ou hostiles aux mouvements islamistes.”

L’Arabie saoudite et d’autres critiques affirment que la politique étrangère du Qatar est conçue pour apaiser les groupes terroristes. Mais les dirigeants qatariens ne voient pas les Frères musulmans comme une menace, dit Hamid. Auteur de “l’exceptionnalisme islamique: comment la lutte pour l’islam remodèle le monde”, Hamid écrit régulièrement sur la Confrérie et a vécu au Qatar pendant quatre ans ou il a travaillé à Brookings Doha. “Il y avait une organisation des Frères musulmans du Qatar, mais elle s’est dissoute en 1999”, dit Hamid. “C’est un petit pays, il est donc difficile d’y recruter des membres. De plus, compte tenu de la richesse du pays, il y a relativement peu de citoyens mécontents, peu de modèles de personnes qui sont généralement attirés par les promesses de justice sociale des Frères musulmans et les services qu’ils fournissent habituellement dans les pays musulmans.”


Hamid et d’autres experts régionaux disent que le blocus concerne fondamentalement l’islam politique. Doha a soutenu des groupes de Frères musulmans dans la région, principalement en Égypte et en Syrie. “Le fait que le Qatar soutienne certains mouvements islamistes, les Saoudiens et les Emiratis le considèrent comme une ingérence dans leurs affaires intérieures”, dit Hamid. “C’est pourquoi ils le prennent personnellement. Toutes les branches de la Conférie sont considérées problématiques. Le problème est que les Qataris ne sont pas motivés à abandonner leur soutien à ces groupes et à perdre leur influence. Avec le blocus, les Saoudiens et les Emiratis ont voulu envoyer le message que le monde arabe ne peut plus subir le chaos comme celui du printemps arabe.”

Après l’échec spectaculaire du printemps arabe, Doha a cherché à rétablir les relations avec ses voisins et a transféré le pouvoir au sein de la famille Al Thani, et Tamim a remplacé Hamad.

“L’annonce officielle était que la transition du père au fils avait toujours été planifiée”, dit Neubauer. “Mais on peut affirmer que l’abdication de 2013 au Qatar a été déclenchée par ses politiques au printemps arabe, en particulier en Égypte et en Syrie, et Doha voulait commencer avec un État propre. Du point de vue du Qatar, après 2013, il a fait tout ce que les Saoudiens lui avaient demandé.”

D’autres experts affirment que Tamim est simplement une figure de proue et Hamad est toujours aux commandes, avec le puissant ancien Premier ministre Hamad Bin Jassem, connu sous le nom de HBJ. “HBJ est très pro-Frères musulmans et nationaliste pro-arabe”, déclare un analyste régional. “De plus, dans un cadre privé, il a clairement déclaré qu’il n’aimait pas beaucoup l’Amérique.”

En novembre 2013, les dirigeants du CCG, y compris le fraichement couronné Tamim, se sont réunis dans la capitale saoudienne pour signer “l’accord de Riyad”, les engageant à ne pas s’immiscer dans la politique intérieure de leurs voisins. Ils devaient cesser de soutenir les groupes d’opposition et les médias “antagonistes”, c’est-à-dire, semble-t-il, Al-Jazeera. Mais en mars 2014, dans une initiative qui annonçait l’embargo de juin 2017, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn ont retiré leurs ambassadeurs de Doha, affirmant que le Qatar n’avait pas respecté sa part du marché.

Après que les Saoudiens et les Emiratis aient demandé aux Qataris de fermer leur réseau pro-Frères musulmans, Doha a diversifié son portefeuille avec des investissements dans des programmes laïques – c’est-à-dire une chaine nationaliste arabe. En janvier 2015, le Qatar a lancé Al Araby, une chaine en langue arabe basée à Londres qui se positionne comme un contrepoids à Al-Jazeera. Le pouvoir derrière la station est Azmi Bishara, l’ancien marxiste de 63 ans qui a fondé le parti politique arabe israélien, Balad. En 2007, Bishara a fui Israël en raison de soupçons contre lui d’espionnage pour le Hezbollah et le régime d’Assad pendant la deuxième guerre du Liban.

Il a atterri à Doha où, comme Qaradawi des décennies auparavant, il est devenu consigliere pour la famille dirigeante.

“Lorsque Tamim veut le voir, le palais doit s’assurer que l’emploi du temps de Bishara est libre”, dit un éminent journaliste saoudien plaisantant à moitié, à Lee Smith.

Bishara a déclaré aux médias français qu’il n’avait pas de rôle officiel après de l’émir. “Je suis un intellectuel et il y a de l’amitié et de la confiance entre nous. Quand il veut mon avis, je le lui donne. Je suis moins qu’un conseiller et plus qu’un conseiller.”

Bishara est à la tête du Centre arabe pour la recherche et la politique, un groupe de réflexion basé à Doha avec une succursale à Washington D.C. Parmi les membres, Yousef Munayer, qui défend le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions.

D’autres, cependant, disent que le rôle de Bishara est largement surestimé. “C’est un nationaliste arabe de la vieille école”, a dit au téléphone un activiste pro-qatari basé à Washington, à Lee Smith. “La famille dirigeante pense qu’elle a l’obligation de protéger ces intellectuels palestiniens qui n’ont personne d’autre pour s’occuper d’eux. Bishara ne gère rien.”

Des sources arabes insistent cependant sur le fait que Bishara est le nouvel impresario intellectuel du Qatar. “Il est anti-islamiste parce qu’il est un nationaliste arabe de la vieille école”, déclare un analyste saoudien. “Ces gars-là ont toujours détesté l’Arabie car ils sont irrités par la richesse pétrolière. ‘Nous avons enseigné les mathématiques aux Bédouins et ils nous doivent de partager leur richesse! ‘ Ses intérêts sont en accord avec ceux du Qatar, pour l’instant, il leur est donc utile.”

Bishara, a déclaré feu le militant libanais Lokman Slim, “sait comment travailler à travers les médias. Il dirige essentiellement la branche laïque de la presse qatari.”

Il y a eu récemment en plus de Al-Araby, d’autres initiatives médias laïques dont les sites web en arabe Al Araby Al Jadid (Le nouvel arabe) et Al-Modon (Les villes). Ce dernier, dit Slim, “a probablement la meilleure couverture de toutes les publications arabes aujourd’hui.”

Mais c’est le réseau satellite basé à Londres qui a innové. L’offre la plus populaire d’Al Araby actuellement est “The Joe Show”, animée par le comique égyptien Yussuf Hussein.
“C’est très tranchant et ironique”, dit un collègue de Slim, un homme d’affaires libanais qui a demandé à Lee Smith de ne pas utiliser son nom dans la presse écrite. “Franchement, ce n’est pas vraiment de l’humour arabe, mais plutôt de l’humour juif.”
Slim rit. “C’est le propos de Bishara”, dit l’activiste libanais. “C’est du haut niveau en raison d’où il vient. C’est un niveau israélien.”


Les récentes initiatives médiatiques du Qatar ont utilisé comme arme le sentiment anti-israélien de Bishara dans le cadre d’une campagne d’influence contre les Juifs américains – et un haut responsable américain pro-Israël. Le concours du Sénat de 2018 au Texas entre le sénateur Ted Cruz et le représentant Beto O’Rourke a eu la campagne la plus houleuse et la plus coûteuse de l’histoire du Sénat. À la fin de l’été, il était clair que Cruz, un critique notoire du Qatar et d’Al-Jazeera, était vulnérable. À ce stade, Al-Jazeera et les médias liés à Al-Jazeera, ont commencé à mener une campagne de dénigrement de style politique envers Omri Ceren, le conseiller à la sécurité nationale de Cruz. À la fin du mois d’août de cette année-là, des vidéos virales ont commencé à fuir du plus profond d’Al-Jazeera au sujet du projet de film d’un cinéaste pro-palestinien qui avait secrètement dirigé une opération minutieuse de plusieurs mois à Washington DC, enregistrant subrepticement des conversations avec des Juifs américains.

Le cinéaste, se faisant passer pour un défenseur britannique pro-israélien, avait spécifiquement infiltré le Projet Israël, une organisation à but non lucratif pro-Israël dont Ceren était alors le directeur général. Le documentaire qui en a résulté avait été mis au placard pendant des années par le gouvernement qatari pour empêcher le retour de flamme diplomatique, de ce qui ressemblait à une opération d’espionnage contre les Juifs américains menée sur le sol américain. Tout à coup, il a commencé à être diffusé petit à petit, sur fond d’histoires s’interrogeant sur la loyauté de ces Juifs des médias comme The Intercept. À la fin d’octobre, le documentaire complet avait fui.

En 2019, avec 30 milliards de dollars déjà investis aux États-Unis, la QIA a annoncé l’année dernière qu’elle prévoyait de porter ce montant à 45 milliards de dollars, en se concentrant principalement sur la technologie et l’immobilier. QIA avait déjà fait des percées dans le secteur de la technologie quand en décembre 2017, elle a pris la société de logiciels Gigamon private pour 1,6 milliard de dollars en même temps que Elliott Management.

En ce qui concerne l’immobilier, le Qatar continue de s’appuyer sur ses gros avoirs américains. CityCenterDC n’est que le plus grand et le plus connu de ses projets à Washington D.C. En avril 2017, une délégation de responsables de DC et d’investisseurs privés s’est rendue à Doha pour encourager de nouveaux projets immobiliers, dont des hôtels. Plusieurs entreprises qataries possèdent déjà des hôtels D.C. Al Rayyan Tourism Investment Co. a acheté le St. Regis en 2015, Al Sraiya Holding Group a acheté les Club Quarters pour 52,4 millions de dollars en 2016, et Alduwaliya a acheté les Homewood Suites près du Washington Convention Center pour 50,4 millions de dollars au début de 2017.

Alduwaliya, un capital-investissement mondial de plusieurs milliards de dollars au nom de la famille royale qatarie, a investi dans l’immobilier commercial en effectuant de nombreux achats dans la capitale, dont un immeuble de bureaux de 12 étages sur Connecticut Avenue NW pour 64 millions de dollars, et un autre sur Thomas Jefferson Street pour 142 millions de dollars.

La même entreprise a également été active dans plusieurs autres villes. En 2019, Alduwaliya a acheté deux immeubles de bureaux dans le quartier financier de Boston pour 107,8 millions de dollars. A New York, Alduwaliya a acheté plusieurs immeubles dans le quartier du vêtement, en 2015 elle a acheté un immeuble de bureaux sur la 39e rue pour 123,5 millions de dollars, en 2016 le Hilton Homewood Suites sur W. 37th Street pour 167,1 millions de dollars, et en 2019, elle a dépensé 140 millions de dollars pour deux autres bâtiments dans la région.

Un accord de 2018 pour renflouer un gratte-ciel de New York a contraint QIA à consolider sa stratégie d’investissement. Le Qatar avait investi dans Brookfield, ce qui a conduit à un un accord pour sauver le 666 Fifth Avenue, propriété de la famille de Jared Kushner. Le conseiller du président, qui est en même temps son gendre, est amicalement proche du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Les dirigeants du Qatar, qui ne savaient que pour l’accord de 1,8 milliard de dollars, déjà un record à l’époque pour un immeuble de bureaux à New York, craignaient que l’achat ne ressemble à une tentative d’influence sur l’administration. Bien que la QIA n’ait pas été directement impliquée dans l’accord, elle a décidé de cesser de placer de l’argent dans des fonds qu’elle ne contrôle pas entièrement.

La réalité est bien sûr que les dépenses qataries sont destinées à influencer la politique américaine. S’il y avait une inquiétude au sujet de l’accord 666 Fifth Avenue, c’était simplement que le jeu d’influence semblait trop flagrant.

Le Qatar a investi dans d’autres secteurs en plus de l’immobilier, comme les infrastructures énergétiques. L’année dernière, il a conclu un accord de 10 milliards de dollars avec ExxonMobil pour agrandir un terminal de gaz naturel liquéfié dans l’Etat du Texas, qui abrite le sénateur Ted Cruz.

Au printemps 2018, le Qatar a organisé un forum des affaires à Miami. Le Qatar a vu une opportunité avec la nouvelle franchise de la Major League Soccer de Miami, détenue par la star britannique à la retraite David Beckham. La Qatar Foundation a signé un contrat de parrainage de 180 millions de dollars avec Inter Miami.

En septembre 2017, trois mois après l’imposition du blocus, Trump a rencontré Tamim à l’Assemblée générale de l’ONU, et un lobbyiste qatari a déclaré à Reuters que Doha s’était engagé à dépenser plus d’argent pour Al Udeid et à acheter des avions à Boeing Co.

Le secrétaire d’Etat au Trésor Steve Mnuchin accueille l’emir du Qatar, Sheikh Tamim bin Hamad Al Thani au Département du Trésor pour un diner avec le président Donald Trump à Washington, D.C, le 8 juillet 2019_NICHOLAS KAMM/AFP VIA GETTY IMAGES

Moins d’une semaine plus tard, Qatar Airways a annoncé un achat de six avions Boeing à 2,16 milliards de dollars. Doha s’est appuyé sur sa relation déjà existante avec le fabricant. En 2016, Qatar Airways a conclu un accord de 11 milliards de dollars avec Boeing, qui comptait 30 787 Dreamliners construits à Charleston, en Caroline du Sud.

En février 2018, des hauts fonctionnaires de la Qatar Investment Authority ont effectué leur premier voyage officiel dans la ville. “J’espère que notre présence ici se développera davantage”, a affirmé Abdullah bin Mohammed Al Thani, PDG de QIA, lors d’une visite à Charleston où il a rencontré le sénateur principal de la Caroline du Sud, le sénateur républicain Lindsey Graham et le gouverneur Henry McMaster.

Le principal donateur de la campagne du gouverneur de McMaster, a rapporté Jordan Schachtel, était un lobbyiste qatari, Imaad Zuberi, qui représente la QIA, et avec sa famille et ses sociétés affiliées, a donné à la campagne plus de 50 000 dollars. Zuberi a été une importante source de fonds pour Obama et Clinton, et il a soutenu la Fondation Clinton, mais il a également fait don de près d’un million de dollars au comité inaugural de Trump.

Un mois après le voyage inaugural de QIA à Charleston, le Qatar a créé Barzan Aeronautical, une filiale de Barzan Holdings, la branche d’investissement stratégique des forces armées du Qatar, “pour mettre sur pied une initiative d’avions militaires de grande taille qui devrait soutenir de nombreux emplois”.

Les alliés traditionnels des États-Unis au Moyen-Orient comme Israël, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont accueilli avec soulagement l’élection de Donald Trump, espérant un retour à la stratégie régionale américaine conventionnelle dont ils étaient les pierres angulaires. Là où la Maison Blanche d’Obama les avait échangés contre la République islamique d’Iran, Trump avait dénoncé l’accord nucléaire iranien lors de la campagne électorale et avait promis de rétablir les relations avec les Saoudiens.

Trump a effectué sa première visite à l’étranger à Riyad, le 20 mai 2017. Le voyage a été un succès, car les Saoudiens avaient rassemblé les dirigeants du monde musulman et arabe pour entendre le président américain promettre l’amitié tout en les conseillant pour faire face à leur problème de terrorisme.

Dans les coulisses, cependant, le conflit intra-CCG s’intensifiait. Le 23 mai, la Fondation pour la défense des démocraties (FDD) et le Hudson Institute (dont Lee Smith est membre senior), ont tenu une conférence sur le Qatar et les Frères musulmans avec d’anciens responsables américains de haut niveau, comme l’ancien chef du Pentagone Robert Gates et le membre du Congrès républicain Ed Royce. Alors président de la commission des affaires étrangères de la Chambre, Royce avait annoncé qu’il parrainait une loi sanctionnant le Qatar pour son soutien au Hamas.

La conférence a été financée par Elliott Broidy, un donateur de Trump, vice-président des finances du Comité national républicain et un homme d’affaires qui a remporté des contrats aux EAU pour sa société de sécurité privée. Selon des courriels divulgués à l’AP, Broidy a affirmé qu’il avait “fait passer” Royce de la critique de l’Arabie saoudite à “la critique du Qatar”. Les avocats de Broidy ont accusé le Qatar d’avoir piraté les e-mails de leurs clients et ont écrit à l’ambassade du Qatar aux États-Unis qu’ils possédaient “des preuves irréfutables liant le Qatar à cette attaque illégale et à cet espionnage dirigé contre un éminent citoyen américain sur le territoire des États-Unis.

Le 24 mai, le site Web de l’agence de presse du Qatar a été piraté, avec des déclarations attribuées au Cheikh Tamim qualifiant le Hamas de “représentant légitime du peuple palestinien”, mettant en garde contre la confrontation avec l’Iran et affirmant que ses relations avec Israël étaient bonnes. Doha a immédiatement nié que ces propos provenaient de l’émir, mais ils étaient néanmoins représentatifs de la politique étrangère du Qatar “ami de tous”. Des rapports ultérieurs ont affirmé qu’Abou Dhabi était à l’origine du piratage, ce que l’ambassadeur émirati aux États-Unis, Yousef Al Otaiba, a nié.

Le jeu du piratage entre les deux rivaux n’a fait que s’amplifier à partir de là. Le 3 juin, l’Intercept a publié la correspondance électronique piratée d’Otaiba avec le PDG de FDD, Mark Dubowitz, et le conseiller principal de FDD, John Hannah. Les courriels piratés, selon l’histoire d’Intercept, comportent un ordre du jour pour une prochaine réunion des responsables du FDD et du gouvernement des Émirats arabes unis qui devait discuter, entre autres, d ‘Al Jazeera “comme instrument d’instabilité locale”.


Deux jours plus tard, le 5 juin, les Saoudiens et les Emiratis ont imposé le blocus. Ils ont parié que le président prendrait leur parti dans la crise. Il avait embrassé les Saoudiens. Il avait fait une danse de l’épée à Riyad lors de son premier voyage à l’étranger. Le nouveau président avait expliqué que les investissements saoudiens aux États-Unis, y compris les achats d’armes d’un milliard de dollars, mettaient les Américains au travail. Il considérait le roi et le prince héritier comme de solides alliés dans le conflit avec l’Iran et la guerre sans fin contre l’extrémisme islamique.

“L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont vu Trump comme une opportunité de régler une fois pour toutes la question du Qatar”, déclare Neubauer. “Ils ont assimilé le Qatar à l’islam radical, puis lorsqu’ils ont mis en œuvre le blocus, Trump était initialement de leur côté.”

Le 6 juin, Trump a tweeté:
Le secrétaire d’État de l’époque, Tillerson, a recommandé une approche plus équilibrée. En tant qu’ancien PDG et président d’ExxonMobil, Tillerson connaissait tous les acteurs impliqués. La position du président a été rapidement tempérée. Le 7 juin, il s’est entretenu avec Tamim et a proposé de servir de médiateur dans le conflit.

“Le président a souligné l’importance pour tous les pays de la région de travailler ensemble pour empêcher le financement des organisations terroristes et arrêter la promotion de l’idéologie extrémiste”, a déclaré la Maison Blanche dans un communiqué.

Il a été rappelé à Trump que les relations des États-Unis avec tous les États du CCG sont bonnes pour les affaires américaines. Moins d’une semaine plus tard, Doha a acheté pour 12 milliards de dollars de F-15. En juillet, Washington et Doha ont signé le protocole d’accord sur la lutte contre le financement du terrorisme. Des mois plus tard, Trump finirait par remercier le dirigeant du Qatar, Sheik Tamim bin Hamad Al Thani, pour avoir aidé à combattre le terrorisme. La Maison Blanche a expliqué que Trump “a réitéré son soutien à un Conseil de coopération du Golfe fort et uni, axé sur la lutte contre les menaces régionales”.

La Maison Blanche a tenu à voir le conflit entre ses partenaires du CCG résolu. Selon Tamim, Trump lui aurait dit: “Je n’accepterai pas que mes amis se battent entre eux.” Un CCG fragmenté rendrait plus difficile la mise en œuvre des politiques du Moyen-Orient les plus importantes pour Trump – affronter l’Iran, retirer les forces d’Afghanistan et d’Irak, et restaurer l’alliance spéciale avec Israël. Le Pentagone avait également pesé, rappelant à la Maison Blanche que le Qatar abritait d’importantes bases militaires dont le remplacement coûterait cher.

Le blocus a mis les intérêts stratégiques du Qatar encore plus en évidence. L’engagement diplomatique du Qatar à DC était minime et incapable de correspondre à l’ambassadeur des Émirats arabes unis Yousef Al Otaiba, connu comme l’un des envoyés les plus habiles et les plus agressifs de DC, qui disait aux responsables et alliés américains que l’administration devrait déplacer la base aérienne américaine du Qatar. Bientôt, les Qataris ont commencé à envoyer des délégations de haut niveau pour rencontrer les correspondants de la politique étrangère de Washington et les experts des groupes de réflexion.

Doha avait dépensé 4,2 millions de dollars pour faire du lobbying à Washington l’année précédant le blocus. À titre de comparaison, les Saoudiens avaient dépensé 77 millions de dollars la décennie précédente. En 2017, le Qatar a fait grimper les dépenses du lobbying à 16,3 millions de dollars, une énorme augmentation, d’autant plus que le blocus a été imposé au milieu de l’année.

Fin 2017, le Qatar avait tracé une voie unique, courtisant des personnalités proches de l’administration Trump, comme l’ancien conseiller de campagne de Trump, Barry Bennett, dont la société de lobbying a remporté un contrat de 6 millions de dollars avec Doha. L’ancien maire de New York, Rudolph Giuliani, a travaillé sur une enquête pour les Qataris et s’est rendu à Doha peu de temps avant d’être embauché comme avocat du président en avril 2018.


Le Qatar a également embauché le chef de cabinet adjoint de la campagne présidentielle de Ted Cruz, Nick Muzin, pour atteindre la communauté juive américaine. Lui et le restaurateur new-yorkais Joey Allaham ont persuadé d’éminentes personnalités juives comme l’avocat Alan Dershowitz, le chef de l’Organisation sioniste d’Amérique, Morton Klein, et le vice-président exécutif de la Conférence des présidents des principales organisations juives, Malcolm Hoenlein, de se rendre à Doha et de s’entretenir avec des responsables qatariens. “Le Qatar a essayé quelque chose de différent”, a déclaré l’ancien conseiller de Trump Steve Bannon au Wall Street Journal. “Avoir tous ces influenceurs, les dirigeants juifs et les gens proches du président, montre un haut niveau de sophistication.”

La véritable percée du Qatar ne se produirait cependant qu’à l’automne 2018, quand il a profité de la tragique bévue de son rival saoudien.

Le 2 octobre, le ressortissant saoudien Jamal Khashoggi a été tué au consulat saoudien d’Istanbul. Son assassinat par les mains d’agents du renseignement saoudiens a servi de plate-forme à de multiples opérations d’information menées par divers acteurs, à des fins multiples. Les services de renseignement turcs voulaient attribuer le meurtre au prince héritier d’Arabie saoudite, rival de la primauté régionale. Ils avaient au Qatar un allié dont les agents à Istanbul et à Washington ont contribué à faire connaître l’histoire à la presse américaine, qui y voyait une autre opportunité de cibler Trump et de relancer l’accord avec l’Iran.

De Doha, Azmi Bishara a lié le meurtre à Trump. “Ce qui devrait nous occuper n’est pas la responsabilité de Mohammed ben Salmane dans cet acte barbare, car c’est une évidence, les eaux de toute la mer d’Arabie ne peuvent pas laver ses mains du sang de Khashoggi, ni aucun accord ou récit qui lui est proposé par Trump et ses acolytes. Non, ce que nous devrions demander, c’est ceci: quel genre de leader prend une décision aussi criminelle et insensée?”

En mettant le visage du président américain sur MBS, Bishara et les autres étaient sûrs de galvaniser la résistance anti-Trump. À juste titre, le meurtre de Khashoggi est devenu la plate-forme d’une opération d’information.

Dans la vie, il avait occupé la zone grise bien connue de la politique arabe où les médias se croisent avec les opérations de renseignement. C’est la relation de Khashoggi avec Oussama Ben Laden – un ami dont il a pleuré la mort – qui lui a valu depuis longtemps l’attention du chef du renseignement saoudien, Turki al-Faisal, qui semble l’avoir utilisé comme un canal de retour vers Al-Qaida. Faisal a nommé Khashoggi son “conseiller médiatique” lorsqu’il était ambassadeur à Londres, puis à Washington et à Riyad, il l’a embauché deux fois pour diriger le journal qu’il possédait, Al Watan. Pour contourner ces détails gênants sur les antécédents de Khashoggi et faire avancer son programme, Bishara a renommé Khashoggi “journaliste du Washington Post” et “résident permanent des États-Unis”. En conséquence, Trump a été obligé de prendre des mesures contre Riyad. “Il est impossible que nous continuions à faire des affaires avec l’Arabie saoudite comme si cela ne s’était jamais produit”, a déclaré Lindsey Graham, faisant écho aux points des discussions anti-Riyad.

En réalité, bien sûr, Khashoggi était un ressortissant étranger avec un appartement dans le nord de la Virginie et qui savait à peine écrire l’anglais – une grande partie de son travail dans le Washington Post était fortement corrigé et parfois carrément rédigé pour lui par un ancien officier du service extérieur américain, Maggie Mitchell Salem, comme l’a rapporté le Washington Post lui-même. Salem était employée par Qatar Foundation International à Washington DC.

Lindsey Graham, dont l’État d’origine a été le destinataire de certains des plus importants investissements directs du Qatar qui ont servi à la création de milliers d’emplois dans l’État, a été implacable dans ses attaques contre MBS. “Il ne fait aucun doute dans mon esprit que le meurtre de Monsieur Khashoggi a été orchestré ou approuvé par le prince héritier et en connaissance de cause”, a déclaré Graham. “Aucune quantité de pétrole sortant de l’Arabie saoudite ni aucune menace de l’Iran ne me fera reculer”, a-t-il ajouté. Après un briefing de la CIA sur le meurtre, Graham a déclaré: “Je pense qu’il est complice du meurtre de M. Khashoggi au plus haut niveau possible.”

Le Washington Post, dont le propriétaire, Jeff Bezos, a accusé le prince héritier saoudien d’avoir piraté son téléphone personnel et communiqué des échanges compromettantes avec sa maîtresse (les procureurs fédéraux auraient des preuves que les photographies ont été publiées par le frère de la maîtresse de Bezos), a demandé au lobbyiste de premier plan du GOP Ed Rogers du groupe de lobbying politique BGR d’arrêter de représenter l’Arabie saoudite, sinon il ne pourrait plus écrire pour le Post, le journal local du Congrès.

Six cabinets de lobbying ont rompu leurs relations avec Riyad.

Pourtant, le président s’est tenu aux côtés de MBS, pour la même raison qu’il s’est rapidement réconcilié avec les Qataris – c’est bon pour les affaires américaines. Comme Trump l’a expliqué dans un communiqué de novembre 2018 après un voyage en Arabie saoudite, “le Royaume a accepté de dépenser et d’investir 450 milliards de dollars aux États-Unis. … Cela créera des centaines de milliers d’emplois, un formidable développement économique et une richesse supplémentaire pour les États-Unis. Sur les 450 milliards de dollars, 110 milliards de dollars seront consacrés à l’achat d’équipements militaires de Boeing, Lockheed Martin, Raytheon et de nombreux autres grands entrepreneurs américains de la défense. Si nous annulons stupidement ces contrats, la Russie et la Chine en seraient les énormes bénéficiaires – et très heureuses d’acquérir toutes ces nouvelles affaires. Ce serait un merveilleux cadeau pour eux offert directement par les États-Unis!

Il semble que tant que le conflit du CCG se poursuivra, le Beltway continuera à en profiter, tout comme d’autres villes américaines, de New York à Charleston, et les industries américaines, de la défense à l’éducation. “Les deux parties pensent que Trump peut vous imposer une solution favorable et mauvaise pour vos rivaux”, déclare un lobbyiste saoudien basé à Washington. “Les États-Unis ont imposé un embargo sur Cuba qui a duré plus d’un demi-siècle”, déclare un éminent journaliste saoudien. “Nous pouvons certainement faire de même. Et si quelqu’un peut se le permettre, c’est bien le Qatar.”

En effet, les États du Golfe sont habitués à un certain niveau de conflit interne et à la gestion des dynamiques contentieuses et, en un sens, tribales. Cependant, il n’est pas cantonné au Golfe. L’extraordinaire richesse des acteurs impliqués leur a permis d’exporter le conflit à l’étranger. Le problème n’est donc pas vraiment le Qatar ni aucun des pays du CCG, dont aucun n’oblige quiconque à prendre son argent. Au contraire, le conflit souligne la fragilité de la sphère publique américaine, en particulier les médias et le système politique fracturé.

Pendant près de quatre ans, la presse et la moitié de l’électorat ont été consumés par un fantasme vicieux affirmant que le président américain est secrètement redevable à la Russie. Malgré tous les dégâts qu’elle a causés, cette théorie du complot souligne néanmoins la préoccupation très réelle que les électeurs partagent à travers le spectre politique – qu’ils ont peu de connaissances sur les divers instruments et mécanismes utilisés pour façonner leur vie, et que ceux qui choisissent pour eux peuvent ne pas mettre toujours la sécurité et la prospérité du public américain au premier plan.

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