Que savait le Qatar du plan du 7 octobre et pourquoi avoir gardé le silence ?

Evaluer la loyauté du Qatar envers ses alliés occidentaux a longtemps été un jeu complexe, mais à la suite des évènements du 7 octobre, il se peut que les États-Unis, l’Europe et Israël redistribuent les cartes.

Il est difficile de croire que le Qatar, qui finance abondement le Hamas et héberge ses richissimes dirigeants dans les palaces qataris, ignorait totalement le projet meurtrier du groupe palestinien contre Israël.

Une grande partie du débat autour du 7 octobre se concentre sur l’implication potentielle de l’Iran, allié du Hamas, mais la question de savoir ce que le Qatar savait et depuis quand, est tout aussi cruciale pour les alliés occidentaux de Doha.

Le talent du Qatar pour jouer sur tous les tableaux lui a permis de s’imposer comme le médiateur de dernier recours pour l’Occident au Moyen-Orient, un rôle qu’il joue actuellement dans les négociations visant à obtenir la libération des otages israéliens encore détenus à Gaza par le Hamas.

Des responsables des services de renseignement occidentaux, qui ont refusé que leurs noms soient mentionnés, ont déclaré à POLITICO que, bien qu’ils ne disposent pas de preuves tangibles, il y a des éléments qui indiquent que l’émirat du Golfe en savait peut-être plus sur l’attentat du 7 octobre qu’il ne le prétend.

« Nous sommes toujours en train d’étudier la question », a déclaré à POLITICO un haut responsable du renseignement d’une grande puissance européenne, lorsqu’on lui a demandé si son gouvernement pensait que le Qatar était au courant de l’attaque, ajoutant qu’il « n’y a pas de fumée sans feu ».

Lorsqu’on demande à qui profite l’attentat du 7 octobre, les analystes occidentaux se tournent invariablement vers le Qatar.

Selon les responsables des services de renseignement, la principale raison qui justifierait le silence du Qatar s’il avait eu vent de l’attaque est son intérêt à faire échouer les négociations entre Israël et l’Arabie saoudite, un rival régional, autour de la normalisation des relations.

Un accord entre les deux plus grandes économies de la région aurait pu ouvrir la voie à une coopération stratégique dans toute une série de domaines, dont le gaz naturel, qui est l’élément vital du Qatar. Étant donné l’accès direct d’Israël aux marchés méditerranéen et européen, toute collaboration énergétique avec l’Arabie saoudite changerait la donne.

Par exemple, un tel accord pourrait permettre la mise en place d’un gazoduc reliant l’Inde à Israël via l’Arabie saoudite, dans le cadre d’un projet ambitieux proposé par les grandes puissances lors du sommet du G20 en septembre, intitulé « Corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe » (IMEC). Un pays est notablement absent de la liste des signataires de l’IMEC : le Qatar.

« Il est dans l’intérêt du Qatar de mettre des obstacles au processus de normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël. Tout réaménagement de l’équilibre des pouvoirs va saper la position du Qatar en tant qu’acteur diplomatique de premier plan qui peut tout faire », a déclaré l’un des responsables.

En effet, les retombées du 7 octobre ont sabordé les pourparlers israélo-saoudiens. La profonde indignation suscitée par les bombardements israéliens sur Gaza dans le monde arabe, dont l’Arabie saoudite, laisse supposer que le dialogue n’est pas près de reprendre.   

L’indispensable de la région

En tirant parti de sa géographie et de ses richesses, le Qatar a construit un formidable réseau de partenaires improbables, allant de Washington à Moscou, Berlin, Jérusalem et même Téhéran.

Les prévisions de la politique étrangère du Qatar ont été pleinement mise en évidence depuis le 7 octobre, l’émirat ayant fait preuve d’une aisance remarquable pour jongler entre ses multiples rôles ; bienfaiteur et d’ami de confiance du Hamas, hôte de la plus grande base militaire américaine du Moyen-Orient et partenaire clé d’Israël en coulisses. Le Qatar est également devenu un partenaire de plus en plus important pour l’Europe, en particulier pour l’Allemagne, qui s’est tournée vers le pays en tant que fournisseur de gaz pour compenser la perte des livraisons russes.

Le secret du Qatar pour jouer ces rôles apparemment contradictoires est le résultat d’un effort de plusieurs décennies pour devenir un partenaire indispensable pour toutes les parties de l’équation du Moyen-Orient. C’est particulièrement vrai pour les États-Unis qui, en dépit de leur histoire troublée de soutien aux dirigeants autocratiques de la région comme le Shah d’Iran et Saddam Hussein, ont fait du Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, l’émir du Qatar, leur nouveau meilleur ami.

Il y a deux ans, le président américain Joe Biden a même désigné le Qatar comme un « allié majeur non-membre de l’OTAN », rejoignant ainsi des pays comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande sur une liste exclusive de 18 nations seulement.

L’année dernière, les États-Unis se sont tournés vers le Qatar pour la tâche délicate de gérer le transfert controversé de 6 milliards de dollars de la Corée du Sud vers l’Iran en échange de la libération de plusieurs otages américains détenus par Téhéran.

Cependant, le plus grand coup stratégique du Qatar est que ses dirigeants ont réussi à rendre des acteurs internationaux majeurs dépendants d’eux sans même qu’ils s’en rendent compte, que ce soit en tant que médiateur, fournisseur d’énergie ou centre financier.

Le rôle unique du Qatar a fait de l’émirat un choix naturel pour servir d’intermédiaire dans les négociations entre le Hamas et Israël, ce qui lui a valu les éloges des États-Unis.

« Nous vous sommes profondément reconnaissants pour votre leadership dans cet effort, pour le travail inlassable que vous avez entrepris et qui se poursuit, pour tenter de libérer les otages restants », a déclaré le secrétaire d’État américain Antony Blinken au Premier ministre qatari Cheikh Mohammed ben Abdulrahman ben Jassim al-Thani lors d’une visite à Doha en janvier.

Toutefois, en coulisses, les responsables occidentaux affirment que le Qatar a eu du mal à répondre aux questions clés concernant le 7 octobre.

L’une des raisons pour lesquelles les services de renseignement occidentaux soupçonnent le Qatar d’en savoir plus sur les attentats est que l’agence de sécurité qatarie surveille tous les mouvements des dirigeants du Hamas qui vivent dans le pays, y compris Ismail Haniyeh, le chef du groupe.

Cela dit, les cerveaux présumés du 7 octobre, dont Yahya Sinwar, le chef du Hamas à Gaza, ne sont pas basés au Qatar.

De plus, l’historique des tensions entre Sinwar et Haniyeh soulève la possibilité que le leader de Gaza ait tenu ses compatriotes au Qatar dans l’ignorance, selon l’un des responsables des services de renseignement.

Les questions sur le rôle éventuel joué par le Qatar le 7 octobre sont d’autant plus compliquées qu’Israël a encouragé pendant des années l’émirat à apporter une aide humanitaire à Gaza.

En effet, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a laissé l’aide circuler – y compris des valises remplies d’argent – même après avoir reçu des renseignements détaillés sur la préparation d’une attaque par le Hamas.

De hauts responsables des services de renseignement israéliens n’ont pas tenu compte de ces avertissements, car ils ne pensaient pas que le Hamas avait la capacité de monter une opération aussi élaborée.

Entre-temps, l’aide qatarie a permis au Hamas de rester une force politique viable capable de faire fonctionner la bande de Gaza.

Depuis que le Hamas a pris le contrôle de Gaza en 2007, le Qatar a financé la construction de tout, des mosquées aux routes en passant par les maisons, tout en fournissant de l’argent pour alimenter la principale centrale électrique de Gaza et payer les salaires des fonctionnaires.

L’un des projets les plus médiatisés du Qatar est Hamad City, un complexe de plus de 2 000 appartements dans le sud de la bande de Gaza, achevé en 2016. Nommé en l’honneur de l’ancien émir du Qatar, le Cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani, qui a également posé la première pierre, le complexe a été détruit par une frappe aérienne israélienne en décembre.

Les autorités israéliennes soupçonnent depuis longtemps le Hamas d’utiliser l’argent et le ciment du Qatar pour construire le réseau sophistiqué de tunnels sous Gaza, un pilier de l’infrastructure terroriste du groupe.

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