Ouvert il y a 20 ans, élu meilleur lycée de France en 2013 avec un taux de 97% à 100% de réussite au baccalauréat chaque année, le groupe scolaire Averroès de Lille, qui est aussi le plus grand lycée privé musulman de France, est menacé de fermeture.
Le 27 novembre dernier, une commission consultative présidée par Georges-François Leclerc, préfet de la région Hauts-de-France, a voté la résiliation du contrat de financement qui lie le lycée Averroès à l’Etat depuis 2008, laissant 473 lycéens, 352 collégiens et 110 salariés, dans l’incertitude concernant leur avenir.
Cette commission a suscité plusieurs critiques, notamment de la part du président de l’association des parents d’élèves de l’établissement, Mohamed Daoudi, qui l’a qualifiée de « grotesque », estimant que le préfet est à la fois « juge et partie ».
Le préfet a validé la décision le week-end dernier, officialisant ainsi la rupture du contrat d’État de l’école sans mise en demeure préalable de l’établissement. C’est la première fois qu’une école privée perd sa convention avec l’Etat.
L’affaire a gagné a été médiatisée ces derniers jours, mais les questions soulevées par les autorités ne sont pas récentes. « Qatar Papers », un livre rédigé par les journalistes français Georges Malbrunot et Christian Chesnot, a suscité l’inquiétude du conseil régional des Hauts-de-France en 2019. Xavier Bertrand, qui le présidait à ce moment-là, a déclaré lundi sur X, anciennement Twitter, que cette décision « constitue une étape majeure dans l’offensive républicaine contre les tenants de l’islam politique. »
Les deux journalistes français affirment dans leur livre qu’un financement de 3,2 millions de dollars, soit environ 3 millions d’euros, a été accordé à l’école par l’organisation non gouvernementale Qatar Charity. Ils ont également passé en revue les relations qu’entretenait l’association administrant l’école, notamment avec Musulmans de France, une association religieuse qui aurait des liens avec la Confrérie des Frères musulmans et avec le Qatar. Depuis, Xavier Bertrand a suspendu la subvention régionale annuelle due à l’école. Une décision que l’école a contestée et gagnée devant le tribunal.
Dans son rapport de juin 2023, l’institution française supérieure de contrôle des finances a indiqué que Qatar Charity a été le « principal financeur étranger » de l’association entre 2011 et 2015. Le financement s’élevait à environ 1 million de dollars « destiné à financer le développement de l’activité de l’association en général, ainsi que l’achat et l’aménagement de locaux supplémentaires, réalisés en 2016. »
Depuis 2015, il n’y a pas eu de traces d’autres financements étrangers, selon le rapport. L’autorité financière évoque « une dégradation brutale et continue » qui a mis l’institution dans « une situation financière très critique. »
Le groupe scolaire Averroès nécessite environ 2 millions d’euros par an pour pouvoir fonctionner, dont environ 1,7 million d’euros de la part de l’État. Entre 50 et 60 % des élèves des collèges et lycées d’Averroès sont boursiers, tous issus de familles avec des revenus modestes.
Un document de 12 pages du préfet, daté du 27 octobre, soutient la proposition de résilier le contrat, soulignant « des sources de financement qui soulèvent des questions », en référence à la subvention de Qatar Charity, dont le « montant réel » reste « nébuleux » selon son appréciation.
Il a également mis en cause un livre, étudié par les élèves dans le cadre d’un cours facultatif d’éthique musulmane, qu’il a qualifié comme étant « en totale contradiction avec les valeurs républicaines ».
De son côté, l’établissement a nié les allégations concernant ses sources de financement et les cours qu’il dispense.
Le livre en question, qui « n’a jamais été mis à la disposition des élèves » et qui « n’est même pas chez nous », contient des « passages [qui] posent problème », mais « nous ne mentionnons jamais ces passages » car ils sont « contraires à nos valeurs », a expliqué Éric Dufour, le directeur d’Averroès, à ABC News.
« Personne, ni les élèves, ni les parents, ni l’équipe éducative ne se reconnaissent dans tout ce qui est dit sur le lycée », a-t-il ajouté.
Éric Dufour s’est dit persuadé que « notre dossier et nos arguments sont solides » et qu’ils prévaudront en appel, un sentiment partagé par les membres de l’association des parents d’élèves et de l’association des anciens élèves du lycée.
Mohamed Daoudi et sa vice-présidente Lailla Mouzoun, ont déclaré à ABC News que les parents soutenaient pleinement l’école, mais qu’ils s’inquiétaient des conséquences de cette décision pour leurs enfants à la rentrée 2024.
Récemment, la situation a conduit l’école à demander une cellule psychologique avec du personnel de soutien, dont des psychiatres, pour ses élèves et son personnel.
L’école a obtenu le soutien de plus de 31 000 personnes grâce à une pétition en ligne. Elle est soutenue par des personnalités locales et nationales, dont la Ligue des droits de l’homme, une organisation à but non lucratif.
Selon Jean-René Lecerf, ancien sénateur et ex-président du conseil départemental du Nord, « le dossier juridique [contre l’école] semble extrêmement, extrêmement faible » et « l’annulation contentieuse » est inéluctable. Il craint toutefois que les deux écoles ne ferment dans l’attente d’une solution, car « l’annulation contentieuse prend du temps ».
Pierre Mathiot, le directeur de l’école Sciences Po de Lille, a qualifié cette décision d’ « injuste » et de « disproportionnée ». Le député socialiste Roger Vicot a dit craindre que la fermeture de l’école n’alimente « le sentiment de rejet et d’exclusion de la communauté musulmane ».
Pour le député de La France Insoumise Paul Vannier, l’établissement fait l’objet d’un « traitement clairement discriminatoire », étant l’un des deux seuls lycées musulmans du pays.
Le cabinet du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’est refusé à tout commentaire, mais une source proche du ministre a déclaré à ABC News qu’il soutenait l’action du préfet, qu’il connaît depuis des années.
