Crise irakienne : Vers un consensus ou un conflit armé entre chiites ?

Alors qu’on ignore encore ou en est la bataille acharnée qui se déroule entre les forces du Cadre de coordination chiite (CC) et le mouvement sadriste, il est à prévoir que l’arène politique irakienne ira au-delà des pires scénarios si les parties au conflit choisissent l’affrontement.

Le chef du mouvement sadriste, Moqtada al-Sadr, a proposé la tenue de nouvelles élections et la dissolution du Parlement comme moyen de sortir de la crise, mais cette option risque d’être rejetée par les partis chiites impliqués dans le Cadre de coordination.

Il existe deux tendances au sein du CC, la première est en faveur de la confrontation et est dirigée par Nour al-Maliki, le chef de la coalition État de droit, et Qais al-Khazali, le chef de la milice Asaïb Ahl al-Haq. Quant à la deuxième, qui compte Hadi al-Amiri, Haider al-Abadi, Ammar al-Hakim et d’autres, recherche plutôt une solution consensuelle.

Au milieu de ces tensions, l’Iran garde la carte qui lui sert à faire bouger les partis qui lui sont fidèles, mais il semble peu disposé à encourager une guerre entre chiites afin de préserver ses intérêts, et pourrait même si nécessaire, contraindre les forces du CC à accepter la proposition de Moqtada al-Sadr.

L’influent dirigeant chiite continue de faire pression sur ses opposants politiques et est allé jusqu’à appeler à des élections anticipées, apportant davantage de complications aux conflits déjà exacerbés en Irak.

La question qui se pose dans ce contexte est la suivante : le pays se dirige-t-il réellement vers de nouvelles élections ? Ou la négociation entre les parties au conflit est encore possible ?

Fener al-Haddad, professeur adjoint à l’Université de Copenhague, spécialiste des affaires irakiennes, affirme qu’al-Sadr « s’attend à être un partenaire clé au sein de tout nouveau régime, autrement, il continuera d’entraver la formation d’un gouvernement ». « Le Parlement ne sera pas autorisé à se réunir sans ses députés », a-t-il ajouté.

La constitution irakienne permet au Parlement d’être dissout. L’article 64 de la constitution stipule que la dissolution du parlement requiert « la majorité absolue de ses membres, à la demande d’un tiers de ses membres ».

Quant à la seconde option, elle exige la demande « du Premier ministre avec l’approbation du président de la République ». Al-Haddad explique qu’« il n’est pas évident de savoir si la deuxième option est même possible, car le gouvernement actuel est un gouvernement intérimaire ».

En appelant à des élections anticipées, al-Sadr estime qu’il « obtiendra un grand avantage, à savoir plus de sièges qu’avant », explique Ihsan al-Shammari, professeur de sciences politiques à l’université de Bagdad.

Depuis le début de la crise, les partis du Cadre de coordination, dont le bloc Al-Fateh qui représente la Mobilisation populaire, une alliance de factions pro-iraniennes, font partie des forces officielles à la recherche de la stratégie à suivre face à Moqtada al-Sadr.

La branche la plus extrémiste est représentée par Nouri al-Maliki, l’ancien premier ministre et opposant historique d’al-Sadr, et Qais Khazali, le chef de Asaïb Ahl al-Haq, une des factions de la Mobilisation populaire. Les deux dirigeants encouragent l’option de la confrontation.

L’autre camp est en faveur d’une « approche alternative : ralentir le processus de formation d’un gouvernement et tenter de réaliser un rapprochement parmi les chiites en offrant des motivations à al-Sadr », comme l’indique une analyse publiée par Hamdi Malik et Michael Chevaliers du Washington Institute.

Ihsan Al-Shammari estime que al-Khazali et al-Maliki représenteront « un frein au sein du Cadre pour aller vers des élections anticipées ». Selon lui, le cadre de Coordination peut s’opposer à la tenue de nouvelles élections, « mais cette objection aurait pour but d’obtenir des garanties… comme des changements au niveau de la loi électorale, du Tribunal Fédéral, de la Haute Commission électorale indépendante, voire au niveau du processus destiné à la formation d’un gouvernement ».

L’analyste Fener Al-Haddad rappelle que « la politique irakienne atteint souvent un point de non-retour avant que les parties concernées ne décident de résoudre leurs différends à huis clos ».

Al-Haddad n’exclut pas la conclusion d’un accord entre les deux camps, estimant que la nomination d’un « Premier ministre consensuel reste le scénario le plus envisageable ».

Un autre obstacle important peut s’opposer à la dissolution du Parlement. En effet, « la moitié des représentants du Parlement sont de nouveaux députés qui intègrent la mêlée politique pour la première fois, et qui veulent tenter l’expérience politique et profiter de privilèges comme le statut social », selon le politologue Ali Al-Baydar.

Ali al-Baydar estime que la balle est désormais dans le camp des adversaires d’al-Sadr, expliquant que « s’ils optent pour l’option des élections anticipées, ce sera une preuve de leur volonté de dialoguer et de négocier ». Si, en revanche, ils maintiennent leur intransigeance, « al-Sadr pourrait aller vers l’escalade, perturber l’institution exécutive du pays, paralyser les mouvements dans la capitale et ébranler la vie de manière absolue ».

Il considère que l’assaut du Parlement n’était qu’un “test ou un signal d’alarme envers le cercle politique, à moins que celui-ci n’adhère à ce qu’al-Sadr veut et recherche”.

Dans un pays encore sous l’effet de traumatismes engendrés par des décennies de conflits meurtriers, une guerre ouverte entre chiites est à craindre.

En attendant, tout le monde appelle à la retenue pour éviter les effusions de sang, bien que tous les principaux partis politiques soient armés. Toutefois, la marge de manœuvre des opposants d’al-Sadr est limitée car l’Iran, leur puissant allié, s’oppose à l’escalade, selon les experts.

Ihsan Al-Shammari estime que Téhéran « empêche le cadre de Coordination, notamment les factions armées, de conduire le conflit vers l’affrontement ». Il considère qu’il est encore possible de trouver des « solutions politiques », mais si des combats éclatent, il serait difficile de contrôler les armes détenues par les deux camps.

Les dernières élections ont eu lieu en octobre 2021. Elles avaient été anticipées dans le but de calmer les protestations populaires contre la classe politique, qui ont secoué l’Irak à l’automne 2019.

Le mouvement sadriste a remporté 73 sièges, devenant le plus grand bloc représenté au Parlement, qui est composé de 329 députés. Al-Sadr, avec ses alliés sunnites et kurdes, voulait nommer le Premier ministre et former un gouvernement de « majorité nationale », ni d’Est ni d’Ouest.

Mais sa proposition a été rejetée par ses adversaires du Cadre de coordination qui comptent des factions pro-iraniennes. L’exigence du CC était de préserver la solution consensuelle traditionnelle entre toutes les parties de la “Maison chiite” pour former un gouvernement.

Pour faire pression sur ses adversaires, al-Sadr, qui a l’habitude d’agir de manière inopinée, a poussé ses députés à démissionner du Parlement en juin dernier.

Depuis samedi, des milliers de ses partisans campent au Parlement pour protester contre le candidat du Cadre de coordination au poste de Premier ministre. Ainsi il a pu démontrer qu’il est encore capable de faire bouger la rue pour réaliser ses aspirations politiques.

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