The Athletic : Pourquoi la Coupe du monde 2022 au Qatar fait polémique ?

The Athletic, 31 mars 2022.

Nous sommes à un peu plus de sept mois de la finale de la Coupe du monde au Qatar et Joe White n’a pas encore décidé si son groupe sera là pour suivre la dernière candidature en date de l’Angleterre à la gloire du football.

Il y a une réticence à exclure complètement le voyage en novembre, mais les doutes sont nombreux et persistent.

“Je penche davantage pour ne pas y aller”, a déclaré Joe White, co-fondateur de Three Lions Pride, le groupe anglais de supporters LGBT+ qui compte désormais environ 200 personnes.

“Nous devrions pouvoir soutenir notre équipe partout où elle va et ne pas craindre pour notre sécurité. Malheureusement, ce n’est pas le cas au Qatar.”

Le compte à rebours de la Coupe du monde 2022 commence sérieusement vendredi (1er avril) à l’heure ou les meilleurs éléments du football international se réunissent au Centre des expositions et des congrès de Doha.

Un évènement qui promet du faste et du raffinement pendant que les groupes sont tirés au sort et que les horaires sont fixés avec un public mondial, mais les controverses entourant une Coupe du monde organisée au Qatar ne sont pas faciles à apaiser.

Derrière l’image tolérante et progressiste affichée cette semaine par les organisateurs, se cachent des inquiétudes profondes que le Qatar ne soit pas une nation qui mérite le plus grand honneur de la FIFA.

Les militants des droits de l’homme restent critiques concernant son bilan dans la construction des stades qui accueilleront l’extravagance de cet hiver, et ses lois homophobes sont un obstacle qui empêchent certains supporters, comme Joe White, d’y assister.

Le Qatar insiste sur le fait qu’il n’y a aucune raison d’avoir peur. Il estime que les critiques sont injustes.
“Tout le monde est le bienvenu ici et tout le monde se sentira en sécurité ici”, a déclaré l’année dernière Nasser Al-Khater, le chef du comité d’organisation du tournoi.

Cependant, tous n’ont pas été suffisamment rassurés par la promesse que les drapeaux arc-en-ciel seront autorisés à être publiquement arborés.

Les supporters LGBT+ ont des réserves évidentes à l’idée de se rendre dans un pays où l’homosexualité est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison.

“Au cours des 18 à 24 derniers mois, nous avons eu des conversations avec la FIFA et le Qatar, et nous avons trouvé que beaucoup de choses étaient plus mielleuses que liées à des détails sur la sécurité”, a déclaré Joe White, qui a suivi l’Angleterre en demi-finale de la Coupe du monde en Russie il y a quatre ans.

“C’est une équipe d’Angleterre qui a de très bonnes chances. Elle joue un football passionnant et a fantastiquement joué à l’Euro. Il y a beaucoup d’excitation.”

“Le fait que nous – nos membres – ayons le sentiment de ne pas pouvoir assister pour notre sécurité, manquant éventuellement un long parcours de l’Angleterre dans le tournoi, est une situation très difficile.”

“Est-ce que j’aimerais y aller ? Probablement. Mais je sais que cela nous coûterait cher. En Russie, par exemple, j’envoyais des SMS à des amis toutes les deux heures pour dire que j’étais en sécurité. Cela va être encore plus exacerbé au Qatar. Il ne s’agit pas seulement de nous-mêmes, ce sont les amis et la famille qui seraient naturellement inquiets.”

Gareth Southgate, le manager de l’Angleterre, a été mis au courant et il en est attristé.

“Nous défendons l’inclusivité en tant qu’équipe – cela a été le grand moteur de beaucoup de positions que nous avons prises au cours des deux dernières années – et ce serait terrible de penser que certains de nos supporters estiment qu’ils ne peuvent pas y aller parce qu’ils se sentent menacés ou inquiets pour leur sécurité”, a déclaré Gareth Southgate plus tôt ce mois-ci (mars 2022).

Il y en a d’autres qui se sentent plus mal à l’aise qu’effrayés à l’idée de visiter le Qatar, qui a été sujet à controverse en tant que hôte de ce tournoi en 2010. L’équipe du Danemark, l’une des premières à s’être qualifiée pour la première Coupe du monde organisée au Moyen-Orient, devrait être soutenue par un nombre limité de supporters itinérants.

Danske Fodbold Fans, un groupe de supporters de premier plan, a appelé l’année dernière ses membres à boycotter Qatar 2022. “Ce n’est pas facile de tourner le dos au plus grand événement sportif”, a-t-il déclaré. “Mais le football a été pris en otage par des dirigeants autoritaires avides de pouvoir, des hommes riches et cupides, des dirigeants affamés de pouvoir et incompétents.”

Malgré cela, plus d’un million de supporters devraient parcourir le monde pour visiter un pays à peu près de la taille du Pays de Galles, où huit sites accueilleront 64 matchs en novembre et décembre. La proximité entre les terrains est telle que les supporters pourront même assister à plus d’un match par jour.

Les billets sont déjà en vente, la FIFA indiquant que 1,2 million de billets ont été réservés dès les 24 premières heures d’ouverture en janvier.

Le spectacle continue, mais le bruit de fond ne disparaîtra pas.

Plus la Coupe du monde 2022 approche, plus l’inspection et la prise de conscience se focalisent sur son pays hôte.

Certaines équipes participant à la finale, dont l’Allemagne, les Pays-Bas et le Danemark, se sont échauffées ces six derniers mois en portant des t-shirts appelant le Qatar à revoir son bilan en matière de droits de l’homme.

“Le football soutient le changement”, indiquent les t-shirts portés par les Danois et les Néerlandais. Quant à la Norvège, elle a même évoqué la perspective d’un boycott pur et simple avant que sa campagne de qualification ne tourne court.

Et les discussions vont bon train.

Les joueurs anglais ont reçu une présentation la semaine dernière (en mars) alors qu’ils décidaient de la meilleure façon de répondre à l’éventail des problèmes de droits de l’homme au Qatar.

“Quand on nous a donné le briefing l’autre jour, c’était assez choquant et décevant”, a déclaré le milieu de terrain de Liverpool Jordan Henderson, l’un des hauts responsables de l’équipe. “Horrible, vraiment, quand vous entendez parler de certains des problèmes qui se sont produits là-bas. C’est un sujet très important et nous avons vraiment besoin de bien faire les choses en équipe.”

Les équipes nationales, les entraîneurs et les joueurs libèrent de plus en plus la parole, mais aucun n’a été plus incisif que l’entraîneur hollandais Louis van Gaal.

“C’est ridicule que nous jouions dans un pays – comment dit la FIFA ? – ‘pour développer le football là-bas’”, a déclaré Van Gaal en mars. “C’est n’importe quoi. Mais peu importe, c’est une question d’argent, d’intérêts commerciaux. C’est la principale motivation de la FIFA.”

Les inquiétudes concernant la capacité du Qatar à accueillir le tournoi ne datent pas d’aujourd’hui. Les militants ont mis en lumière les violations des droits de l’homme qui y auraient été commises pendant une grande partie des 11 années qui ont suivi sa candidature réussie pour faire suite à la Russie en tant qu’hôte.

Amnesty International l’a sans détour appelée “la Coupe du monde de la honte”.

“Il était clair dès le début que le coût des droits humains de cette Coupe du monde serait élevé, à moins qu’une protection ou des conditions ne soient imposées au Qatar pour introduire de meilleures conditions de travail”, a déclaré à The Athletic May Romanos, chercheuse dans la région du Golfe pour Amnesty International.

“Parce que cela ne s’est pas fait immédiatement, nous pensons que ça a conduit à des violations des droits de l’homme qui auraient pu être évitées. Pendant sept ou huit ans, rien ne s’est passé, jusqu’à ce que le Qatar s’engage enfin à réformer la législation du travail.”

“Où en sommes-nous aujourd’hui ? Il y a eu des changements importants. Le gouvernement a introduit des réformes et a accordé de meilleurs droits aux travailleurs migrants selon la loi et sur le papier.

Cependant, la mise en œuvre reste faible et fragmentée, ce qui signifie que les abus se poursuivent.”

La construction de huit nouveaux stades, tous à une distance de moins de 80 Km les uns des autres, a nécessité une petite armée de travailleurs migrants, qui ont également contribué à développer les infrastructures du Qatar afin que le pays puisse accueillir la Coupe du monde. Un nouveau réseau de métro construit pour un coût estimé à 36 milliards de livres sterling (plus de 42 milliards d’euros), relie désormais la plupart des sites, en plus de nouveaux hôtels, routes et sites d’accueil.

Aussi impressionnante que puisse être la métamorphose de cet État riche en pétrole, elle a eu un coût humain considérable. Des travailleurs migrants de pays comme l’Inde, le Népal, le Bangladesh, le Pakistan et le Sri Lanka ont été exploités, blessés et, dans le pire des cas, ont perdu la vie.

Le nombre exact de ces victimes ne sera jamais connu. L’Organisation internationale du travail (OIT) de l’ONU a signalé l’année dernière que le Qatar n’a pas suffisamment enquêté ni signalé les décès des travailleurs, les autopsies n’étant pas systématiquement effectuées.

“Nous savons que les travailleurs subissent des évaluations médicales avant de quitter leur pays d’origine et à leur arrivée”, a affirmé Isobel Archer, responsable du programme Golfe au Business & Human Rights Resource Center. “Ils sont déclarés en forme et en bonne santé, mais nous savons qu’il y a eu de très nombreux décès parmi des jeunes hommes auparavant en forme et en bonne santé, dans une telle proportion que cela aurait été étonnant dans tout autre contexte.”

Le Comité suprême du Qatar pour la livraison et l’héritage, chargé d’organiser la Coupe du monde, s’est élevé contre l’accusation selon laquelle des milliers de personnes auraient perdu la vie, qualifiant ces estimations de “très trompeuses” et insistant sur le fait que les données réelles sont en adéquation “avec la démographie globale plus large”.

Il a également évoqué les réformes de la législation locale du travail.

L’abolition du système de la Kafala, un programme de parrainage qui peut donner lieu au travail forcé des migrants, était considérée comme un critère des progrès du Qatar en matière de droits de l’homme, tout comme la mise en place d’un salaire minimum mensuel de 275 dollars (261 euros) pour les travailleurs.
Non pas qu’il (le système) soit parfait.

“Ce qui a déjà été fait est vraiment révolutionnaire”, a déclaré le président de la FIFA, Gianno Infantino, à l’Associated Press fin mars. “Bien sûr que ce n’est pas le paradis, bien sûr que ce n’est pas parfait, bien sûr qu’il y a encore du travail à faire. Nous devons encourager le changement car tout le monde ne souhaite pas le changement. Mais les dirigeants (du Qatar) veulent du changement et cela me rend confiant.”

“La Coupe du monde, comme tous ces événements mondiaux, offre vraiment l’opportunité de changer”, a déclaré Archer du Business & Human Rights Resource Center. “Pas seulement un changement superficiel pendant le tournoi, mais un changement systémique où les droits de l’homme ont été si faibles pour tant de gens.”

“Les réformes qui ont eu lieu au cours des dernières années doivent être saluées. Des modifications ont été apportées à la législation du travail. Par exemple, les travailleurs peuvent changer d’emploi et quitter le pays sans avoir à demander l’autorisation de leur employeur. C’est un changement fondamental. Mais ce n’est que sur le papier.”

“Ce que nous constatons vraiment sur cette question, c’est qu’elle n’est pas mise en œuvre à tous les niveaux. Nous avons vu des réactions négatives du secteur privé. Des milliers de travailleurs ont réussi à changer d’emploi, mais qu’en est-il des travailleurs qui ne postulent pas parce qu’ils ne savent pas qu’ils le peuvent ? Ou parce qu’ils ont peur ? Nous avons remarqué la peur de l’expulsion s’ils demandent à changer d’emploi. Dans la pratique, il existe encore des obstacles pour permettre aux travailleurs de changer librement d’emploi et d’accéder aux droits du travail.”

“C’est vraiment préoccupant que nous soyons maintenant à six mois du début du tournoi et qu’il y ait encore beaucoup, beaucoup de problèmes. Nous avons cette opportunité à présent, mais une mauvaise mise en œuvre ou une mise en œuvre incohérente signifie que nous n’avons pas vu le changement systémique que nous voulions voir pour de nombreux travailleurs.”

La dernière décennie a rapporté des histoires de salaires impayés, d’abus sur les travailleurs, de retenue de passeports et de mauvaises conditions de travail, pendant que le Qatar se targue d’offrir une “expérience unique” aux supporters.

Les positions peu flatteuses du Qatar s’étendent également à la discrimination à l’égard des femmes.
Human Rights Watch a rapporté en mars dernier que les femmes sont toujours confrontées à des défis au Qatar, notamment la nécessité de demander l’autorisation d’un tuteur masculin pour quitter le pays si elles ne sont pas mariées et ont moins de 25 ans.

Pour sa défense, le Qatar peut à nouveau mettre en avant le progrès social. Une équipe nationale féminine de football a été fondée en 2010 et les responsables du gouvernement affirment qu’il existe un engagement à développer une approche progressive pour lutter contre les inégalités entre les hommes et les femmes.

Toutefois, la campagne de relations publiques a également rencontré des problèmes.

Abdullah Ibhais, l’ancien directeur des médias du comité suprême de planification de la Coupe du monde du Qatar, a été emprisonné en décembre pour purger une peine de trois ans pour corruption. Il a affirmé qu’il a été puni pour avoir critiqué la gestion par le comité d’une grève des travailleurs pour des salaires impayés en 2019, et qu’il a été forcé à signer des aveux. Des militants des droits de l’homme ont invité la FIFA à intervenir dans ce dossier mais celle-ci n’a jusqu’à présent pris aucune mesure.

La FIFA a elle-même été confrontée à des interrogations sur la légitimité d’un processus de candidature qui s’est terminé par l’attribution de cette Coupe du monde au Qatar.

Les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud et l’Australie ont tous été écartés en tant qu’hôtes de 2022, et peu de temps après, il y a eu des allégations d’achat de votes et de corruption.

Quinze des 22 membres du comité exécutif de la FIFA qui ont choisi le Qatar comme hôte il y a 12 ans – lorsque la Russie a également été sélectionnée pour accueillir l’édition 2018 – font depuis face à des accusations criminelles ou ont été interdits par l’instance dirigeante du football mondial, y compris l’ancien président de la FIFA, Sepp Blatter, mais les organisateurs ont toujours soutenu qu’ils étaient “à 100 % confiants dans la qualité et l’intégrité” de leurs candidatures.

Le Qatar – et la FIFA – auront du mal à n’exposer que les points positifs au cours des prochains jours.
Ils mettront en valeur les superbes installations, avec l’aide de leur ambassadeur grassement rémunéré David Beckham, et feront la promotion de tout ce qui est spécial dans une Coupe du monde sous ce déguisement improbable.

Attendez-vous à des images de la ligne d’horizon de Doha et du stade Lusail à la capacité de 80 000 places, qui accueillera la finale de la Coupe du monde sept jours avant Noël.

Le Qatar veut attirer un public mondial mais il y aura des exceptions inévitables.

L’Australien Josh Cavallo, qui est devenu l’an dernier le seul footballeur professionnel de haut niveau au monde a être ouvertement gay, a déclaré qu’il aurait peur de se rendre au Qatar en raison de son orientation sexuelle.

“Je pense que cela se reflète chez les supporters, très certainement”, a déclaré Joe White de Three Lions Pride. “Nous devons prendre une décision dans un délai raisonnable sur les conseils que nous donnerons à nos membres.”

“Indépendamment du fait de recommander aux gens d’y aller ou non, nous continuerons à avoir des discussions pour assurer la sécurité des supporters LGBT qui y vont. Les gens iront quand même. C’est une décision personnelle. Mais ce que nous pouvons faire, c’est les soutenir et veiller à ce qu’ils soient autant en sécurité que possible.”

“Dans les stades, je pense que vous vous sentirez à l’aise, mais la plupart du temps que vous passez à une Coupe du monde ne consiste pas à regarder votre équipe. Le temps est long dans un environnement où vous êtes exposé à ce risque.”

Article de Philip Buckingham, publié sur The Athletic le 31 mars 2022
Traduit de l’anglais par F. Haythem

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