La visite du président syrien Bashar al-Assad aux Émirats arabes unis n’a pas été surprenante compte tenu des développements régionaux de ces dernières années, notamment le rétablissement des relations diplomatiques entre Damas et Abou Dhabi fin 2018, les contacts publics entre al-Assad et le prince héritier d’Abou Dhabi, le Cheikh Mohammed ben Zayed, et la visite du ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis, Abdallah ben Zayed, à Damas en novembre dernier. Il était donc prévisible que l’étape suivante soit la visite d’al-Assad aux UAE.
Il est impossible d’isoler la première visite d’al-Assad depuis 2011 à un pays arabe, du contexte global actuel, d’autant que l’administration américaine de Joe Biden poursuit son plan de retrait du Moyen-Orient, malgré les déclarations publiques de son intérêt pour la région et son offre de “garanties” en échange d’un retour à un accord nucléaire avec l’Iran, pendant que l’Iran de son côté atténue ses exigences et ses menaces. Après 11 années, Washington a également placé le dossier syrien dans ses priorités, exception faite de l’aide humanitaire, de la lutte contre l’Etat islamique et de la remise en cause de la loi César.
D’autre part, il y a une présence russe non négligeable au Moyen-Orient, et les enjeux de la Russie ont pris de l’importance depuis son intervention militaire directe en Syrie fin 2015, à travers des initiatives et des réunions avec les puissances arabes et régionales pour traiter des questions politiques et de sécurité énergétique.
La guerre ukrainienne est venue jeter une ombre sur la Syrie, à un moment ou la Russie est préoccupée par l’hémorragie ukrainienne, ou une levée des sanctions contre l’Iran et son pétrole est attendue, ou Israël affiche son agacement face à l’accord nucléaire et le positionnement de l’Iran au nord de ses frontières, et ou le fossé entre la Russie et l’Occident ne cesse de s’agrandir. La Syrie fera partie des acteurs concernés par cette équation qui repose sur une “incursion douce” de Téhéran et une “régression brutale” de Moscou.
Dès lors, s’est imposée l’obligation de rendre à la Syrie son rôle dans la région arabe pour “combler un vide” et rétablir une sorte d’équilibre, depuis que la Russie, qui pouvait contenir l’Iran, est préoccupée par ses propres affaires. Parmi les indications qui le prouvent, il y a la divergence constatée entre les déclarations officielles des deux pays. L’agence de presse des Emirats (WAM) a déclaré que la rencontre du Cheikh Mohammed ben Zayed et de Bachar al-Assad a eu pour but de “mettre l’accent sur la préservation de l’unité du territoire syrien et le retrait des forces étrangères”, tandis que l’agence de presse officielle syrienne (SANA), a déclaré que “la position des Émirats arabes unis est cohérente dans son soutien à l’intégrité territoriale et à la stabilité de la Syrie, et que le Cheikh ben Zayed a souligné la nécessité du retrait de toutes les forces étrangères illégalement présentes sur le territoire syrien.”
Damas considère la présence iranienne comme “légitime” car réclamée par le gouvernement syrien, comme c’est le cas de la présence russe. En revanche, la Syrie distingue ces deux présences sur son territoire de “l’occupation illégale des turcs et des américains” ainsi que de “l’agression israélienne”.
Lors de précédentes réunions entre al-Assad et des responsables arabes, les accords d’Abraham signés avec Israël, qu’al-Assad s’est gardé de condamner, ont été discutés. Certes, il y a eu plusieurs tentatives d’ouvrir la voie entre Damas et Tel-Aviv d’une part, et d’autre part pour soutenir la coordination militaire entre Moscou et Tel-Aviv en Syrie, le but étant d’empêcher un “positionnement stratégique” de l’Iran en Syrie.
Il ne fait aucun doute que les développements rapides nécessitent des ajustements dans les équations. Il est remarquable que trois jours après la visite d’al-Assad aux Émirats arabes unis, une réunion tripartite a eu lieu à Charm el-Cheikh en Egypte, entre le Cheikh Mohammed ben Zayed, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le Premier ministre israélien, Naftali Bennett.
Avant de rencontrer al-Assad à Damas, le Cheikh Abdallah ben Zayed s’est rendu à Washington qui a confirmé ne pas soutenir la normalisation des relations avec al-Assad. De son côté, avant de se rendre à Abou Dhabi, al-Assad a rencontré son homologue russe Sergueï Lavrov à Moscou, au milieu des tensions russo-américaines autour de l’Ukraine.
A peine quelques heures avant l’arrivée de Bachar al-Assad aux Emirats, les responsables américains et occidentaux ont renouvelé leur adhésion aux “triple non” ; Non pour briser son isolement, non pour une levée des sanctions, non pour une contribution à la reconstruction, tant que Washington n’aura pas obtenu un acquis politique. Ils ont également parlé de “responsabilité pour crimes de guerre” et de soutien aux “tribunaux nationaux pour demander des comptes aux responsables”.
Il n’est donc pas surprenant que le porte-parole du département d’État américain, Ned Price, ait souligné la “déception” de Washington suite à cette la visite et son “inquiétude face aux tentatives de légitimer al-Assad. Il ne serait pas étonnant non plus que Moscou, qui se trouve avec Damas sous le glaive des sanctions occidentales, salue la visite de Bachar al-Assad a Abu Dhabi.