Le mouvement Ennahda des Frères musulmans s’emploie à épuiser jusqu’au bout les ressources de l’État tunisien, alors que le pays traverse une crise sans précédent et un effondrement presque complet de son système de santé face aux ravages de l’épidémie du Coronavirus.
Le président du Conseil de la Choura, AbdeKarim al-Harouni, a renouvelé la demande du mouvement au gouvernement de Hisham al-Mashishi de verser rapidement des indemnités aux prisonniers politiques arrêtés sous le régime de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali. La plupart de ces prisonniers appartiennent au mouvement islamiste.
La requête d’al-Harouni a provoqué un retournement de l’opinion publique contre les Frères musulmans. Des observateurs l’accusent de ne pas tenir compte des conditions économiques du pays qui survie avec peine grâce aux aides et aux prêts.
Depuis 2012, Ennahda a exercé une pression sur tous les gouvernements qui se sont succédés pour obtenir ces indemnités, soulevant à chaque fois une polémique en raison de la terrible crise économique que traverse le pays depuis 2011. Le ministre des Finances, Hussein al-Dimasi, a même présenté sa démission en juillet 2012 en signe de protestation contre l’intention du gouvernement dirigé par Ennahda, de promulguer une loi autorisant le versement d’indemnités à des milliers d’anciens prisonniers politiques.
Al-Dimasi a évalué l’indemnisation à verser à plus d’un milliard de dinars, et a décrit cette loi comme le “glissement le plus dangereux” auquel le gouvernement pourrait se livrer en raison des répercussions économiques que cela peut provoquer.
Après la démission d’al-Dimasi, des centaines de citoyens ont manifesté devant le Parlement pour dénoncer cette loi. Les médias et les experts économiques ont pointé du doigt les répercussions de ce projet sur l’économie du pays en pleine récession, et les réseaux sociaux ont été inondés de protestations et de dénonciations.
Sous la pression de l’opinion publique, le gouvernement a annoncé le report de la décision sur la question des indemnisations pour une durée indéterminée, mais il a promis de “remplir ses obligations” envers les personnes couvertes par le décret d’amnistie générale, qui donne aux personnes emprisonnées ou expulsées à l’époque du président déchu Zine El Abidine Ben Ali, le droit de reprendre leurs fonctions et d’obtenir une indemnisation conformément aux procédures établies par un cadre juridique spécifique.
Les pressions répétées exercées par Ennahda malgré le refus qu’il essuie à chaque fois, soulève des interrogations sur les raisons qui motivent le mouvement à aborder ce dossier épineux, à un moment où le pays est secoué par une grave catastrophe sanitaire et un système économique qui est sur le point de ne plus pouvoir répondre aux besoins des citoyens en salaires et en services de santé.
Les analyses indiquent que le gouvernement d’Hisham al-Mashishi est désormais menacé car non seulement il a prouvé son incapacité face aux crises économique et sanitaire, mais également parce que Ennahda a été à un moment donné le plus fervent partisan du gouvernement al-Mashishi, pendant que le président tunisien, Saeed Qais, tentait au contraire de pousser le mouvement vers la sortie.
Ennahda estime qu’avoir défendu al-Mashishi l’a aidé à rester au pouvoir jusqu’à aujourd’hui, par conséquent, ce dernier doit se plier à ses demandes.
Avec le risque de voir al-Mashishi quitter le gouvernement, Ennahda peut perdre la précieuse carte qui lui permet de mettre la pression sur l’Etat, dans la mesure ou le prochain gouvernement ne lui sera pas redevable comme cela est le cas actuellement. C’est la raison pour laquelle Ennahda tente de profiter de al-Mashishi pour faire valider toutes ses factures avant qu’il ne quitte le pouvoir.
La Tunisie a déploré vendredi 189 décès, le chiffre le plus élevé depuis le début de l’épidémie l’année dernière, et 8 500 nouveaux cas ont été enregistrés.