Analyse du parcours long et laborieux de la “Charte des principes pour l’islam de France”

En début d’année, le président français Emmanuel Macron, a reçu à l’Elysée les représentants du Conseil français du culte musulman (CFCM), en présence du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.

Le CFCM a été créé en 1999 et choisi en 2003 par le ministère de l’Intérieur comme interlocuteur principal des autorités françaises, autorisé à parler au nom d’environ 4 millions de musulmans en France, dont une grande partie de nationalité française.

Désabusé par les interminables conflits politiques entre l’Algérie et le Maroc au sujet de la direction de l’islam en France, le président français avait déjà rencontré les membres du CFCM en novembre 2020 pour leur demander de présenter les lignes directrices pour la formation d’un Conseil national des imams (CNI), chargé de certifier leur formation.

Il leur a donné deux semaines pour préparer une charte de valeurs conformes à la République, affirmant et reconnaissant les valeurs de la République française, précisant que l’islam en France est une religion et non une mouvance politique, et assurant la fin de l’ingérence ou de l’affiliation avec des États étrangers. Cependant, les désaccords politiques entre le président marocain du CFCM, Mohamed Moussaoui, et Chams-Eddine Hafiz, le recteur algérien de la Grande Mosquée de Paris, ont considérablement compliqué la mise en œuvre de cette charte. De plus, parmi les 9 entités qui composent le CFCM, 3 n’ont pas approuvé la “vision républicaine” qu’elle véhicule.

Un choc pour la communauté algérienne

L’élection du professeur de mathématiques d’origine marocaine, Mohamed Moussaoui (55 ans), à la tête du CFCM, a été un choc pour les algériens qui représentent une grande communauté en France. Il a cependant été le seul candidat à cette élection après le retrait de Chams-Eddine Hafiz, élu recteur de la Grande Mosquée de Paris suite à la démission de Dalil Boubekeur en raison de son état de santé après avoir été à la tête de la mosquée pendant 18 ans et président du CFCM pendant 5 ans.

Les algériens estiment que la présidence marocaine risque de conduire le Conseil musulman dans une impasse. Moussaoui qui assure également la direction de l’Union des mosquées françaises, est accusé par les algériens d’être un sympathisant des Frères musulmans.

Déclenchement du désaccord

Les Français ont été surpris par les différends qui opposent les représentants des communautés marocaine et algérienne au Conseil. Les représentants de la Grande Mosquée de Paris, proches du gouvernement algérien, ont menacé de se retirer du Conseil si le candidat algérien, Chams-Eddine Hafiz, n’était pas nommé à la tête du Conseil. Ce que la partie marocaine a réfuté, considérant le candidat algérien comme un défenseur de l’indépendance du Sahara occidental, une question sensible qui oppose l’Algérie et le Maroc depuis des décennies. Hafiz s’est ainsi retiré des élections, et Moussaoui s’est retrouvé seul candidat. Il a été élu pour deux ans en obtenant 60 voix favorables parmi les membres du Conseil d’administration, composé de 87 personnes.

Moussaoui assure également la présidence de l’Union des mosquées françaises (UMF), qui est l’une des composantes du CFCM, qui fait face à des critiques d’une partie des musulmans du pays en raison de son inefficacité dans la gestions des affaires musulmanes en France. Les désaccords qui ont opposé les institutions qui forment le CFCM ont demeuré jusqu’au retour de Hafiz en tant que membre, à la demande du ministère français de l’Intérieur. Mais il a rapidement démissionné du Conseil, affirmant qu’il avait constaté la présence de frères musulmans parmi les responsables, et que le Conseil était pollué par des tendances séparatistes dangereuses.

La Grande mosquée de Paris est un cadeau du gouvernement français, offert en 1926 en récompense aux musulmans ayant combattu dans les rangs de l’armée française pendant la première guerre mondiale. Depuis, l’Algérie en a assuré la gestion, tandis que le “minbar” offert par le roi égyptien Fouad 1er en 1929, est toujours utilisé à ce jour.

L’avocat Chams-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris

Chams-Eddine Hafiz, né en Algérie en 1954, a participé avant d’immigrer en France à la création de l’Union des jeunes avocats algériens. Aujourd’hui, en plus de ses fonctions de recteur de la Grande Mosquée de Paris, il occupe le poste de vice-président du Conseil français du culte musulman et il est membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Il a été l’avocat de la Grande mosquée dans le cadre de plusieurs procès intentés pour offense à l’islam et aux musulmans, dont une plainte déposée contre le journal “Charlie Hebdo” en 2006. Les lois françaises n’interdisant pas le blasphème, la justice française ne s’est pas prononcée en faveur de la Grande Mosquée de Paris.

La plupart des fédérations musulmanes françaises restent proches des régimes musulmans, notamment le Maroc, l’Algérie et la Turquie. Elles sont même contrôlées par certains groupes proches de la Confrérie des Frères musulmans, ce qui a porté préjudice à la fois aux musulmans de France et à l’Etat français, et exacerbé la polémique autour du financement apporté par ces pays à certaines mosquées, et du contrôle néfaste qu’ils exercent sur elles.

La confusion du gouvernement français

Le gouvernement français ne sait plus comment gérer les affaires musulmanes de France. A l’image des dirigeants arabes, les musulmans de France semblent impossible à mettre d’accord. Depuis les années 1980, la France a pris plusieurs initiatives pour unifier les rangs des musulmans sous une seule administration destinée à gérer les affaires religieuses et à être l’interlocutrice unique de l’État.

À la demande du président socialiste François Mitterrand, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Pierre Joxe, avait mis en place en 1991 un conseil consultatif (CORIF), composé de 15 membres parmi les dirigeants de grandes mosquées et d’imminentes personnalités musulmanes. Mais son successeur, le président gaulliste Jacques Chirac et son ministre de l’Intérieur Charles Pasqua, ont préféré miser sur l’Institut de théologie de la mosquée de Paris pour créer le prétendu “islam de France”. Plusieurs initiatives infructueuses se sont ainsi succédées, jusqu’à la création du CFCM à l’initiative du président Nicolas Sarkozy.

En décembre 2016, le ministère français de l’Intérieur a annoncé le début de l’activité officielle de la Fondation de l’islam en France. Cependant, selon la loi de 1905 proclamant la laïcité, seuls les projets de nature sociale et culturelle sont autorisés.

Chaque nouveau ministre de l’Intérieur tente de changer les désignations des entités représentatives de l’islam ou des membres du Conseil musulman. L’islam demeure ainsi dans une totale confusion entre les mains de ceux qui en ont la charge. A présent, le président Emmanuel Marcon tente avec difficulté de mettre fin aux différends et aux ambitions politiques, en conciliant les intérêts de l’islam et ceux de l’Etat, à travers la promulgation d’une loi visant à freiner les idéologies politico-religieuses extrémistes.

Le projet de loi contre le “séparatisme”, un casse tête pour Macron

La nouvelle stratégie annoncée par Emmanuel Macron contre “le séparatisme musulman” vise à établir un “système parallèle” qui soutient les règles et les valeurs de la République française et le mode de vie libéral de la société. Cette stratégie semble être la base de sa campagne pour les élections de 2022 pour couper l’herbe sous le pied de ses opposants politiques les plus redoutables, notamment Marine Le Pen, chef du mouvement d’extrême droite.

La stratégie de Macron a pour ambition de faire d’une pierre deux coups. Elle lutte d’un côté contre le danger de l’islam politique, et répond d’un autre aux défis auxquels l’Etat est confronté en matière d’intégration des communautés immigrées, voire des citoyens français dont l’identité religieuse prime sur leur citoyenneté française.

Il semble que le meurtre du professeur d’histoire Samuel Paty par un militant de la cause djihadiste, ait contribué à l’accélération de la campagne du gouvernement français contre les islamistes radicaux, à travers expulsions et fermeture de lieux de culte jugés suspects.

La décennie noire

Des analystes ont comparé les mesures prises par le président Macron avec ce que le défunt président socialiste François Mitterrand avait fait il y a 30 ans, dans le cadre de la lutte contre les groupes politico-islamiques, en particulier le parti algérien Front islamique du salut (FIS), au début de la décennie noire des années 1990 traversée par l’Algérie. Sa politique était totalement opposée à celle d’autres pays occidentaux comme la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’Allemagne, qui ont ouvert leurs portes à des milliers de réfugiés islamistes fuyant les poursuites des autorités algériennes et tunisiennes.

C’est pourquoi Macron a placé les groupes islamiques politisés d’Afrique du Nord en tête des priorités, motivé par des éléments qui dépassent le contexte traditionnel de la France laïque face aux thèses de l’islam politique, en vertu de la sensibilité du passé colonial de la France et son rôle historique après l’indépendance de ces pays. La présence d’une forte communauté maghrébine agit de manière complexe sur la situation intérieure de la France et sur ses relations avec les pays du Maghreb.

Quant à la lutte de pouvoir entre le Maroc et l’Algérie, c’est un véritable casse-tête pour Macron, qui cherche à établir un Conseil capable de gérer les affaires des musulmans selon son nouveau plan, à savoir, exempt de violence et de séparatisme. Macron a été surpris par l’ampleur des conflits entre les dirigeants des instances musulmanes de France qu’il a rassemblés en novembre dernier, les appelant à mettre fin a leurs divergences, au risque de nourrir les tendances séparatistes.

La charte des principes de l’islam de France

Le président français a fait appel à son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, pour tenter de réconcilier les dirigeants du CFCM et superviser l’élaboration d’une “charte de principes de l’islam de France”, une étape cruciale avant la création d’un Conseil national des imams. Parmi les articles de cette la charte, on retrouve “le principe d’égalité entre les hommes et les femmes”, “le refus d’employer l’islam à des fins politiques” et la “non-ingérence des pays étrangers dans les affaires religieuses de la communauté”.

Sur instruction du président, les dirigeants du Conseil ont été reçus par Gérald Darmanin à l’Hôtel de Beauvau, siège du ministère français de l’Intérieur. La charte a été présentée aux institutions affiliées au CFCM pour approbation avant d’être soumise à Macron.

Le ministre a pu réintégrer Chams-Eddine Hafiz au Conseil après avoir refusé sa démission, conscient du poids de la Grande Mosquée de Paris dans la balance. Après bien des déconvenues, les dirigeants du CFCM ont fini par annoncer qu’ils étaient parvenus à un accord sur le contenu de la charte et ont salué une avancée importante. La Commission a déclaré dans un communiqué qu’elle devait être désormais approuvée par toutes les associations du CFCM avant d’être envoyée au président Emmanuel Macron.

L’heure de vérité a sonné lorsque les autorités leur ont demandé de choisir sans ambiguïté entre l’islam français et l’islam traditionnel. “Soit vous êtes avec la République, soit vous n’êtes pas avec la République”. Avec les responsables du CFCM, le ministère de l’Intérieur a une fois de plus tenté d’avancer en terrain miné.

Bien que la charte confortant les principes républicains n’ait pas fait l’unanimité auprès des 9 institutions composant le CFCM, elle a fini par être adoptée et publiée sur le site du Conseil le 18 janvier 2021. Elle sera désormais le socle de la réorganisation des affaires religieuses musulmanes en France et de la création d’un Conseil national des imams (CNI). La présence en France des 300 imams “détachés” par la Turquie, le Maroc et l’Algérie, devra prendre fin d’ici 4 ans.

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