L’Iran rejette la médiation de Macron. Retour à la case départ pour Washington et Téhéran

Téhéran a rejeté l’initiative lancé par président français Emmanuel Macron de mener un dialogue entre l’Iran et Washington, après que le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a pourtant demandé la médiation de l’Union européenne.

“L’accord sur le programme nucléaire n’a pas besoin d’un médiateur”, a déclaré le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères Saeed Khatibzadeh lors d’une conférence de presse, en réponse à une question sur la proposition faite au début du mois par le président français.

Selon l’agence France presse, Khatib Zadeh a indiqué que l’accord nucléaire comportait “plus de 150 pages” et a ajouté: “Lorsqu’il écrit un texte aussi long et précis, plein des signes de ponctuation, cela signifie qu’il n’est pas nécessaire d’en discuter à nouveau.” Il estime que les pays européens participant à l’accord devraient “revenir à leurs obligations” car “l’Europe elle-même est l’une des parties qui ont violé l’accord”.

Une déclaration qui contredit à l’appel lancé lundi dernier par le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif à l’Union européenne pour qu’elle intervienne entre son pays et les États-Unis en vue de sauver l’accord, évoquant la possibilité de mettre en place un “mécanisme” pour un retour “simultané” des deux pays vers lui, ou pour une “coordination de ce qui peut être fait” pour que l’Iran renonce à la condition d’un “premier pas” des États-Unis.

L’appel de Zarif a été lancé quelques heures après que le secrétaire d’État américain Anthony Blinken a averti que si le régime iranien continuait à violer l’accord, il pourrait être à quelques semaines à peine de l’acquisition des matériaux nécessaires à la fabrication d’armes nucléaires.

Jeudi, Macron a lancé une initiative de médiation et a déclaré qu’il ferait tout son possible “pour soutenir toute initiative américaine d’ouverture d’un nouveau dialogue qui sera certes difficile, et j’essaierai d’être (…) un facilitateur de ce dialogue.”

Le brusque retournement de la position iranienne à l’égard de la demande de médiation européenne a soulevé une série de questions au niveau français. Mais hier après-midi, Paris n’avait pas publié de réponse officielle.

Dans sa lecture de ce revirement, un ancien ambassadeur qui a longtemps travaillé dans la région du Moyen-Orient a souligné un ensemble de facteurs qui, à son avis, expliqueraient le retrait de Téhéran de la proposition de médiation faite par le chef de la diplomatie iranienne.

Selon cet ambassadeur, Zarif n’a pas demandé spécifiquement la médiation de Macron, mais plutôt celle du ministre européen des Affaires étrangères Josep Borrell en sa qualité de “coordinateur” du groupe 5 + 1 qui a conclu l’accord nucléaire avec l’Iran. Cependant, Macron a saisi l’opportunité d’offrir ses services aux américains et aux iraniens, encouragé d’une part par une nouvelle atmosphère positive entre Paris et Washington, et d’autre part par un coup de téléphone prolongé avec le président américain qui lui aurait donné son feu vert pour offrir une médiation.

En outre, Macron, qui avait tenté de dissuader l’ancien président Donald Trump d’abandonner l’accord et d’imposer des sanctions à Téhéran, voit l’opportunité qui se présente aujourd’hui comme une occasion d’effacer l’échec de sa médiation précédente en août et en septembre en marge du sommet du G7 à Biarritz, et à New York en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies.

Selon la lecture française, l’approche du président Biden reprend largement l’appel de Macron d’il y a trois ans, qui se résume à maintenir l’ancien accord ainsi que son complément qui prend en compte trois questions supplémentaires: l’avenir du nucléaire iranien après 2025, le programme missile-balistique de Téhéran, et enfin sa politique régionale déstabilisatrice.

D’autres sources à Paris affirment que Macron est “conscient” de la gravité de la situation, comme il l’a expliqué dans son dialogue avec le “Atlantic Council” américain, durant lequel il a mis en garde contre l’approche de Téhéran en matière d’acquisition d’armes nucléaires, et a déclaré “qu’il était temps” de lancer un dialogue entre Iraniens et américain et a promis pour ce faire d’être un “médiateur honnête”.

Macron justifie la nécessité de sa médiation par l’éloignement des deux parties qui rend le dialogue entre elles très compliqué. Dans son initiative, Macron a ajouté un nouvel élément en proposant d’inclure l’Arabie saoudite et Israël dans les négociations à venir.

Enfin, selon les sources parisiennes, le gouvernement français est conscient que si l’Iran entend mettre en œuvre ses menaces de suspendre la mise en œuvre du protocole nucléaire additionnel, de révoquer les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique conformément à la loi promulguée par le parlement iranien le 2 décembre, de déployer plus de 696 nouveaux appareils pour la centrifugation et de commencer à produire de l’uranium en élevant le niveau d’enrichissement au-dessus de 20%, cela signifierait qu’il ne resterait plus rien de l’accord de 2015. À partir de là, il y a urgence à tenter quelque chose, d’autant que Téhéran propose au monde l’équation suivante: soit les sanctions américaines sont levées au plus tôt, soit sa ligne de conduite se poursuivra avec une accélération de la vitesse d’acquisition des armes nucléaires.

Des sources dans la capitale française ont suggéré que l’adhésion de Paris à la position américaine a rendu difficile l’approche avec Téhéran, ce qui a incité les responsables iraniens à abandonner la demande de médiation faite initialement.

Parmi les éléments qui ont provoqué cette situation, figurent les positions très strictes exprimées par le guide suprême avant-hier, qui a considéré que l’Europe “avait manqué à ses obligations” et les positions non moins sévères du président Biden qui a rejeté la possibilité de lever des sanctions américaines sur Téhéran. Dans ce contexte, il ne peut être exclu que l’appel de Zarif à une médiation européenne n’a été qu’une sorte de “test” pour sonder la réaction américaine qui l’a finalement déçu. En effet, le département d’État américain considère la proposition “prématurée” et en tout état de cause, les sanctions ne seront levées qu’après une “période probatoire” pour s’assurer que Téhéran remplit ses obligations.

C’est ainsi que les choses sont revenues à la case départ. Il est clair pour Paris que Washington cherche à mettre en place un “front uni” contre l’Iran, ce qui explique la réunion à distance tenue par les ministres des Affaires étrangères des États-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne vendredi dernier, et qui a été suivie aux États-Unis d’une réunion du Conseil national de la sécurité autour du dossier iranien.

En attendant que la nouvelle administration adopte des positions claires sur l’Iran et ses dossiers complexes, les positions et propositions resteront probablement “changeantes”, y compris en ce qui concerne le rôle du président Macron, qui prévoit une double visite dans les prochains jours en Arabie Saoudite et aux Emirats Arabes Unis, où le dossier du nucléaire iranien sera en tête des négociations.

Dans le même temps, le ministre iranien des Affaires étrangères a réitéré hier, via Twitter, la condition de l’Iran pour revenir à tous les engagements prévus dans l’accord de 2015.

Auparavant, Zarif avait répondu au président américain dans une interview diffusée en direct à la télévision iranienne soutenant que “Biden avait la possibilité de modifier ses déclarations”. Il a également répondu à la question de savoir si Téhéran avait accepté d’ajouter d’autres articles à l’accord en affirmant qu’il n’avait pas l’intention d’entamer de nouvelles négociations vu que c’est l’Amérique qui s’est retirée de l’accord sur le nucléaire.

Zarif a déclaré: “L’accord ne sera ni réduit ni complété… Nous avons négocié l’intégralité du contenu et il n’y avait plus de questions à négocier. l’Iran est toujours dans l’accord, ceux qui doivent revenir sont les États-Unis.”

“Biden doit prendre une décision concernant l’accord nucléaire”, a déclaré Zarif, soulignant que “Biden n’avait pas encore décidé ce qu’il voulait faire. “Ils doivent décider ce qu’ils veulent faire, continuer sur la politique de Trump ou adopter une nouvelle politique.” Il a également déclaré: “Ce que l’administration Biden dit est vague et dénué de sens. Il lui reste encore le temps de modifier ses déclarations.”

En réponse à une question sur les prochaines étapes prévues par l’Iran, Zarif a déclaré que son pays n’avait pas l’intention d’expulser les inspecteurs internationaux, mais qu’il arrêterait le protocole additionnel et réduirait le nombre d’inspecteurs.

À cet égard, Khatib Zadeh a déclaré hier que son pays gèlerait la mise en œuvre du protocole dans lequel il avait volontairement accepté de permettre une inspection supplémentaire.

Avant-hier, le guide iranien Ali Khamenei a adhéré à la condition que les sanctions américaines soient levées pour que l’Iran reprenne ses obligations, ajoutant qu’il s’agissait d’une “politique péremptoire” acceptée par les responsables.

Du côté américain, Biden a réitéré le soir même la position de son pays selon laquelle l’Iran doit d’abord remplir ses obligations. En réponse à une question lors d’une interview avec “CBS” diffusée dimanche, sur la possibilité de lever les sanctions pour persuader Téhéran de revenir à la table des négociations, Biden a répondu: “Non”.

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