Serait-il temps pour les talibans de rendre aux Frères musulmans leurs “bienfaits”?

Depuis le retrait des forces américaines et le retour au pouvoir des talibans, l’idée que certains dirigeants et jeunes Frères musulmans puissent quitter la Turquie et le Qatar en direction de l’Afghanistan commence a faire son chemin dans l’esprit de certains analystes. Le passé commun entre la Confrérie et le Mouvement et le soutien matériel et humanitaire fourni par les Frères musulmans aux combattants afghans, ont en effet nourri l’idée qu’il est peut-être temps pour les talibans de renvoyer l’ascenseur aux éléments de la Confrérie qui composent la diaspora. Cette probabilité est toutefois toujours sujette à discussion.

Bien que les talibans aient partagé des liens forts avec la Confrérie par le passé, le soutien apporté par les Frères musulmans à l’ancien président afghan Hamid Karzaï a provoqué leur colère.

En outre, ces vieilles relations ont également contraint les talibans à revoir leur politique et leur position vis à vis des Frères musulmans, en particulier dans le contexte de leurs négociations de paix avec l’administration américaine sous le parrainage suspect du Qatar.

Dans une étude intitulée “Le mouvement taliban et les Frères musulmans en Afghanistan : L’histoire de la relation, sa réalité et les déterminants de ses issues futures”, le chercheur Mustafa Zahran, spécialiste des mouvements islamiques, a relevé que le changement des rapports entre le Groupe et le Mouvement a été perceptible à travers l’enthousiasme exprimé par l’Association “Islah”, affiliée à la branche afghane de la Confrérie, face aux progrès des talibans et à leur prise de pouvoir, selon une déclaration publiée à la suite des développements qui ont précédé la formation du nouveau gouvernement.

Bien que “la maison mère” n’ait fait aucune déclaration sur la victoire des talibans, ni aucun commentaire comme cela se fait d’habitude, en particulier lorsqu’un mouvement à caractère religieux accède au pouvoir, il n’en demeure pas moins que la Confrérie partage leurs orientations et leurs objectifs, même si ses mécanismes de fonctionnement diffèrent. L’Union internationale des savants musulmans dirigée par al-Qaradawi a présenté des félicitations réservées, dans un discours qui semblait mettre en garde les talibans contre la formation d’un pouvoir totalitaire, et les appeler à impliquer tout l’échiquier politique afghan. En revanche, le Parti soudanais des Frères musulmans, le “Congrès national”, a affiché un soutien franc envers le Mouvement et a qualifié l’arrivée des talibans au pouvoir de “victoire historique”, selon le chercheur Mustafa Zahran.

Premiers pas des Frères musulmans en Afghanistan

En septembre 2012, Ayman Al-Zawahiri, le chef du réseau Al-Qaïda, est apparu dans une vidéo diffusée par la Fondation médiatique “Al-Sahab”, proche d’Al-Qaïda, dans laquelle il a évoqué des souvenirs de l’époque ou il travaillait pour le programme “Des jours avec l’imam”, et d’un épisode consacré aux étapes de la vie d’Oussama Ben Laden, le fondateur d’Al-Qaida. Al-Zawahiri a fait référence à la relation de Ben Laden avec les Frères musulmans dont il était un des enfants, avant que certaines choses ne l’éloignent du Groupe. En effet, pendant la guerre soviétique en Afghanistan (1979-1989), il s’est heurté à des conflits d’intérêts qui ne cadraient pas avec son idéologie djihadiste.

Al-Zawahiri a déclaré : “Le cheikh nous disait : j’ai été expulsé de mon organisation, j’étais dans la Confrérie et j’ai été renvoyé… Il faisait partie du Groupe dans la péninsule arabique, et lorsque l’invasion russe a commencé, Ben Laden s’est rendu en Afghanistan pour faire connaissance avec les moudjahidines (combattants), mais l’organisation (la Confrérie) avait donné pour instruction de ne pas le laisser aller au-delà de Lahore (la deuxième plus grande ville du Pakistan), il fallait qu’il dépose les subventions et reparte, mais il a trouvé le chemin de Peshawar, et il est entré en Afghanistan.”

L’entrée de Ben Laden en Afghanistan a marqué sa séparation de la Confrérie qui n’était pas portée sur l’idée du “djihad”. Son rôle à l’époque se limitait à envoyer des fonds et à dispenser des aides humanitaires, c’est pourquoi le Groupe a averti Ben Laden de ne pas s’engager dans les combats. Al-Zawahiri a expliqué : “L’organisation a averti Ben Laden, ils lui ont dit : Si tu es capturé en Afghanistan en tant que Saoudien, les Russes créeront une crise diplomatique majeure avec l’Arabie saoudite, ton djihad se limite uniquement à l’argent. Et quand il s’y est opposé, le groupe l’a renvoyé, et il a répondu : Très bien. Et après avoir été renvoyé, il est devenu l’épicentre des organisations islamiques.”

Cette relation révélée par Al-Zawahiri a été longtemps niée par les Frères musulmans qui ont continué à soutenir que l’homme n’avait aucune preuve des informations qu’il avançait. Seulement, le chef de l’organisation l’a de nouveau évoquée dans une autre vidéo diffusée le 30 janvier 2015 par la chaîne saoudienne “Al-Arabiya”, et dans laquelle il a attiré l’attention sur une rencontre entre Ben Laden et Mustafa Mashhour, le cinquième guide de la confrérie (1996-2002), à l’époque ou il était l’intérimaire de Muhammad Hamid Abu Al-Nasr, le quatrième guide du Groupe (1986-1996).

Al-Zawahiri a dit : “Le Cheikh Mustafa Mashhour est venu à Peshawar pour une visite et il a rencontré le Cheikh Oussama, et Ben Laden nous a raconté que Mashhour lui avait dit : Oussama, tu as quitté tes frères et tu reviens vers tes frères, ils ont la priorité sur toi.”

Fondation d’Al-Qaïda

A propos de cette rencontre, le Dr Tharwat Al-Kharbawi, un ancien responsable qui s’est séparé de la Confrérie, a indiqué que c’est Mashhour qui a fondé Al-Qaïda en ordonnant à Manna Al-Qattan (un responsable de la Confrérie en Arabie Saoudite), de réunir le Frère Ben Laden et le docteur Ayman Al-Zawahiri, ainsi que le palestinien Abdullah Azzam, pour former une armée entraînée au port d’armes et qui aurait la capacité de combattre au nom de la Confrérie, comme cela est la cas actuellement. C’est à partir de là que l’organisation Al-Qaïda a été créée, sur instruction du cinquième guide de la Confrérie.

Al-Kharbawi a ajouté dans une déclaration exclusive au journal “La Référence”, que la pensée de Mashhour, qu’il décrit comme “l’homme le plus dangereux de la Confrérie”, est en adéquation avec la personnalité de Ben Laden. C’est un “takfiri” sanguinaire (adepte d’une doctrine violente), très secret, avec peu de culture, dépourvu d’intellect, mais doué pour enrôler les individus et capable d’établir les règles et les bases des organisations secrètes.

Un examen des documents saisis en 2011 par l’armée américaine dans la maison de Ben Laden d’Abbottabad (Pakistan) , révèle également l’influence idéologique de la Confrérie sur Ben Laden au cours de sa phase de formation. Il a déclaré dans ses mémoires : “J’étais attaché aux Frères musulmans malgré leurs méthodes limitées.” Il a également indiqué qu’il était influencé par le fondateur des Frères musulmans au Yémen, Abd al-Majid al-Zindani, désigné comme “terroriste” par les États-Unis.

Dans ses mémoires intitulées “Témoin de l’histoire du mouvement islamique en Egypte”, l’ancien membre du Bureau d’orientation des Frères musulmans, Abdel Moneim Aboul Fotouh, a souligné que le Groupe a organisé plusieurs événements populaires pour interpeller de jeunes volontaire pour le djihad en Afghanistan.

Il a ajouté : “A cette époque, une longue discussion a eu lieu entre les dirigeants de la Confrérie sur la forme la plus appropriée du soutien à apporter au peuple afghan et à sa cause, et ils avaient décidé que les efforts de la Confrérie devaient se limiter au secours (humanitaire), au soutien financier, et à faire connaître la cause… Certains vieux membres de la Confrérie étaient pour la participation militaire et le djihad, mais la tendance générale convergeait vers la non- participation à l’action militaire.”

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