La guerre en Ukraine exploitée par Erdogan

Pendant qu’il vend des drones à l’Ukraine, le président turc Recep Tayyip Erdogan continue d’entretenir avec son homologue russe Vladimir Poutine une communication ouverte qui l’a aidé à garantir la poursuite de l’accord céréalier signé entre Moscou et Kiev avec sa médiation.

Il y a quelques mois, Baykar, le plus important fabricant d’armes de Turquie, a lancé à Kiev une nouvelle usine de 30 000 mètres carrés qui doublera sa capacité de production de drones de combat.

Au mois d’octobre, la Turquie a remis de nouvelles corvettes à la marine ukrainienne lors d’une cérémonie à laquelle ont assisté la première dame Olena Zelensky, et le ministre ukrainien de la Défense Oleksiy Reznikov.

La Turquie a également fourni à l’armée ukrainienne des véhicules militaires et des gilets pare-balles utilisés par le président Volodymyr Zelensky lui-même.  

Lorsque Poutine a menacé de réimposer une interdiction d’exporter les céréales ukrainiennes via la mer Noire, Erdogan est intervenu pour maintenir le flux des exportations et freiner la hausse des prix mondiaux des denrées alimentaires.

Selon le Wall Street Journal, c’est la proximité d’Erdogan avec Poutine et la communisation continue qu’il entretient avec lui qui lui permettent de maintenir plus facilement son rôle actuel au milieu des changements rapides que traverse le monde, en particulier depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Le président turc est désormais l’un des rares chefs d’Etat à pouvoir s’entretenir régulièrement avec Poutine.

“Il a réalisé un succès exemplaire dans la promotion des intérêts propres de la Turquie dans le cadre de l’équilibre qu’il tente d’atteindre entre la Russie et l’Ukraine”, a déclaré Alper Coşkun, ancien chef de la sécurité internationale au ministère turc des Affaires étrangères.

La proximité entre Erdogan et Poutine ne semble pas déranger l’Ukraine “tant que les fournitures d’armes turques continuent d’affluer”, selon le Wall Street Journal.

Le quotidien américain a rappelé une précédente déclaration faite au journal par le vice-ministre ukrainien de la Défense, Volodymyr Havrilov, qui a affirmé : “Nous comprenons la situation en Turquie, ils jouent le rôle de médiateur entre nous et la Russie”.

Une industrie militaire en plein essort

Grace à la guerre en Ukraine, la Turquie a trouvé l’occasion de stimuler son industrie militaire en pleine croissance tout en poursuivant ses objectifs de politique étrangère à travers une série de guerres par procuration menées en Syrie, en Libye et dans la région du Caucase du Sud.

En vendant des drones de fabrication turque à 24 pays à travers le monde, en renforçant son influence diplomatique en Asie centrale et en approfondissant ses liens avec les puissances du Moyen-Orient, Erdogan ne dissimule pas ses ambitions.

L’objectif de la Turquie est de livrer à l’Ukraine des dizaines de drones Bayraktar TB2, qui ont aidé Kiev à résister à l’armée russe à plusieurs occasions. Les avions Bayraktar se sont avérés efficaces pour échapper aux défenses aériennes russes.

Le PDG de Baykar, Haluk Bayraktar, a déclaré que sa nouvelle usine en Ukraine devrait fabriquer la gamme complète des drones commercialisés par l’entreprise dans environ trois ans. L’homme d’affaire s’attend à ce que l’usine double sa capacité de production qui s’élève actuellement à environ 200 avions par an.

La construction de cette usine en Ukraine n’a pas plu aux responsables russes, qui ont menacé d’attaquer les installations, mais Haluk Bayraktar a démenti ces menaces dans une interview accordée à la presse à Istanbul. “C’est un projet entre l’Ukraine et la Turquie, pas l’affaire des autres”, a-t-il déclaré, en référence à Moscou.

Haluk Bayraktar et son frère Selcuk, le directeur de la technologie de l’entreprise, qui est également le gendre d’Erdogan, sont devenus de véritables célébrités en Turquie grâce au succès de leurs drones dans la guerre en Ukraine et dans d’autres conflits armés.

Ce succès a contribué à susciter de nouvelles demandes de la part de plusieurs pays comme la Roumanie, la Pologne, et les alliés d’Ankara au sein de l’OTAN.

Le mois dernier, lors d’une exposition des industries de la défense à Istanbul, un grand nombre d’admirateurs a afflué vers Haluk Bayraktar. Certains ont même réclamé des autographes et des photos souvenirs, obligeant les gardes à intervenir pour disperser la foule.

Selon le Wall Street Journal, Bayraktar semble adopter une position indépendante de la politique du gouvernement turc en exprimant sans ambiguïté son soutien envers l’Ukraine, et en promettant de ne jamais vendre de drones à la Russie.

Mise en garde

Plus tôt cette année, le chef de l’Agence turque de l’industrie de la défense a déclaré au Wall Street Journal qu’Ankara devrait faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit de vendre de nouvelles armes à l’Ukraine.

Interrogé sur les tentatives de la Turquie d’équilibrer les relations entre l’Ukraine et la Russie, Bayraktar a répondu : “Je ne suis pas un représentant du gouvernement, je suis le directeur de Baykar”.

Le gouvernement ukrainien a parfois été irrité par les tentatives de la Turquie de se positionner en tant que médiateur. Il y a quelques mois, les responsables ukrainiens ont publiquement accusé Ankara d’avoir acheté à la Russie du blé ukrainien volé. Les autorités turques ont répondu qu’elles enquêtaient sur ces allégations.

En outre, le ministre ukrainien de la Défense a déclaré le mois dernier que la Turquie avait rejeté une nouvelle demande ukrainienne de 200 000 gilets pare-balles pour compléter les centaines de milliers de gilets livrés cette année par une entreprise turque.

Les responsables turcs n’ont pas répondu à une demande de commentaire sur cette affaire, a précisé le Wall Street Journal.

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