Une guerre nucléaire avec la Russie ?

Par Robert Ford, ancien ambassadeur des États-Unis en Syrie et en Algérie et chercheur à l’Institut pour la politique du Proche-Orient à Washington.

Le président Biden m’a choqué lorsqu’il a déclaré le 6 octobre que nous n’avons pas été aussi proches d’une guerre nucléaire depuis 1962 et la crise des missiles de Cuba. M. Biden a pointé du doigt le président Poutine et a déclaré qu’il était difficile d’arrêter une escalade allant de l’utilisation de petites armes nucléaires tactiques à l’Armageddon nucléaire global. Excusez-moi, mais cela semble plus urgent que la réduction de 5 % de la production de pétrole par l’OPEP ou la vie privée du candidat républicain au Sénat dans l’État de Géorgie, sujets sur lesquels les médias américains se sont concentrés pendant une semaine.

Les Américains comme moi se souviennent des exercices à l’école où nous plongions sous nos pupitres en cas d’attaque nucléaire. (Nous aurions tous été calcinés de toute façon.) Nous avons accueilli favorablement les accords pour la réduction des armes nucléaires avec l’Union soviétique, puis avec la Russie. Même si la Russie et la Chine pouvaient nous frapper avec des armes nucléaires, jusqu’à ces derniers mois, personne ici ne s’inquiétait vraiment d’une guerre nucléaire. Et puis Biden a rendu cette possibilité à nouveau réelle. Seigneur !

Biden est connu pour exagérer parfois ou utiliser les mauvais mots, et la Maison Blanche et le Pentagone se sont empressés le 7 octobre de souligner qu’il n’y avait aucune information des services de renseignement indiquant que la Russie se préparait à utiliser des armes nucléaires. Ni les forces de missiles nucléaires russes ni celles des Etats-Unis n’étaient en alerte spéciale, nous ont-ils rassurés. Le conseiller de Biden pour la sécurité nationale, Jake Sullivan, qui est un penseur très calme et prudent, a déclaré fin septembre que les Américains prenaient au sérieux les menaces de Poutine d’utiliser des armes nucléaires et qu’ils envoyaient des avertissements clairs à Moscou par des canaux privés. Il y a cependant une réalité, et Biden en a parlé.

Vladimir Poutine est par nature une personne secrète. Nous ne comprenons pas complètement ses limites. Parfois, en politique étrangère, les bluffs se mêlent aux menaces. Nous ne savons pas si l’Ukraine reprendra tous les territoires que la Russie a officiellement annexés le 30 septembre, et nous ne savons pas si Poutine accepterait une défaite humiliante sans utiliser d’armes de destruction massive. Nous ne savons pas si Khrouchtchev serait destitué ou risquerait la mort si la Russie subissait une défaite humiliante et s’il utiliserait des armes de destruction massive pour échapper à un tel sort. Nous savons que la Russie a implicitement défendu l’utilisation des armes chimiques par Bachar el-Assad, et nous savons également que Poutine ne se soucie pas des victimes civiles – demandez à n’importe quel Syrien ou Tchétchène. Biden se méfie de Poutine et c’est la raison pour laquelle le président américain s’inquiète de la possibilité que la Russie utilise des armes nucléaires.

L’administration Biden n’a pas défini publiquement comment elle réagirait si Poutine utilisait des armes de destruction massive. Jake Sullivan a déclaré que Washington agirait de manière “décisive” et que les résultats seraient “catastrophiques” pour la Russie. Il est intelligent que Washington soit ambigu en public et plus clair en privé ; avec trop de détails donnés en public, ce serait difficile pour la Russie de revenir sur ses menaces d’utiliser “tous les moyens disponibles” pour protéger le territoire russe, y compris les quatre régions annexées le 30 septembre. Le 2 octobre, l’ancien général et directeur de la CIA David Petraeus a prédit qu’en réponse à l’utilisation d’armes nucléaires tactiques par la Russie, les États-Unis prendraient la tête de l’OTAN pour attaquer et détruire les forces terrestres russes en Ukraine, et couler la flotte russe en mer Noire. Cela me semble être un plan d’action militaire américain, et non une décision finale prise par Biden au cas où Poutine se servirait d’armes nucléaires tactiques.

Biden et son équipe de la Maison Blanche sont conscients des limites de l’intérêt du public américain pour l’Ukraine. Un sondage d’opinion réalisé début septembre par la Fondation Eurasia auprès de 2 000 Américains, a montré que leur principal objectif concernant la guerre en Ukraine est d’éviter une guerre directe avec la Russie. La défense des pays démocratiques ou l’affaiblissement de la Russie figuraient en bas de la liste de leurs priorités selon cette enquête d’opinion. Ainsi, pour éviter une guerre directe, l’administration Biden pourrait mettre en œuvre des sanctions plus sévères contre l’économie russe et poursuivre les efforts diplomatiques visant à séparer davantage la Chine et l’Inde de la Russie. Il est également possible que l’administration Biden fournisse à l’Ukraine des armes plus avancées qui pourraient même atteindre des cibles en Russie. Dans ce cas, ce sont les Ukrainiens qui utiliseraient ces armes, et non les Américains ou d’autres pays de l’OTAN.

Lors de la crise des missiles de Cuba, le premier ministre soviétique Khrouchtchev avait averti Washington : “Si vous voulez que nous nous retrouvions tous en enfer, c’est à vous de décider.” Les historiens qui étudient la crise savent désormais que les deux camps ont commis des erreurs de renseignement. Par exemple, les Américains ignoraient, à l’époque, qu’il y avait des armes nucléaires tactiques soviétiques à Cuba. Par ailleurs, ni Washington ni Moscou ne contrôlaient chaque petit pas militaire. Le monde était plus proche de la catastrophe nucléaire qu’il n’en avait conscience à l’époque. Aujourd’hui, soixante ans plus tard, Poutine fera-t-il comme Khrouchtchev et accepter une défaite humiliante, ou se lancera-t-il indéfiniment dans l’escalade ?

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