Des villes françaises renoncent aux festivités de la Coupe du monde pour protester contre le comportement du Qatar

À un peu plus d’un mois du coup d’envoi de la Coupe du monde de la FIFA 2022 au Qatar, plusieurs villes françaises, dont Paris, Lille, Bordeaux, Strasbourg et Marseille, ont annoncé leur intention de boycotter le tournoi et de ne pas installer les habituelles zones de supporters avec écrans de télévision géants pour en faire la promotion. La protestation vise directement le Qatar, pays hôte de la compétition sportive, et les énormes coûts humains et environnementaux engendrés par l’événement, que Doha s’évertue à cacher, selon les militants.

Tout a commencé la semaine dernière dans la ville de Strasbourg, dans le nord-est de la France, lorsque les autorités municipales ont décidé de ne pas participer aux célébrations en faveur du tournoi de football le plus populaire du monde. Il n’y aura pas de zones réservées aux supporters ni de téléviseurs grand écran dans la ville pendant la Coupe du monde, qui se déroulera du 20 novembre au 18 décembre, ont déclaré les autorités, invoquant le mauvais traitement des travailleurs migrants par le Qatar et son mépris envers l’impact environnemental causé par l’événement.

Ces mesures peuvent surprendre venant de la France, qui est championne du monde en titre depuis qu’elle a battu la Croatie à Moscou en 2018.

“Il nous est impossible d’ignorer les nombreuses alarmes des ONG concernant les abus et l’exploitation des travailleurs migrants”, a déclaré la maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian, au quotidien gratuit “20 minutes”.

“Strasbourg, capitale de l’Europe et siège de la Cour européenne des droits de l’homme […] ne peut fermer les yeux sur le fait que les droits de l’homme sont bafoués à ce point.”

Jeanne Barseghian a ajouté que les préoccupations liées au changement climatique sont un autre motif de boycott. “Le changement climatique étant une réalité si palpable aujourd’hui – avec les incendies, les pénuries [alimentaires] et les catastrophes – organiser la Coupe du monde dans un désert est plus qu’une aberration. C’est une catastrophe environnementale”.

La ville portuaire de Lille, dans le nord de la France, a suivi le mouvement au cours du week-end et a été rejointe par Bordeaux, Marseille, puis Paris mardi.

“Il serait vraiment difficile de faire la fête en oubliant les cadavres et la situation humanitaire dans cette aberration qu’est la Coupe du monde au Qatar”, a déclaré lundi le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, à la chaîne de télévision BFMTV.

Le projet de la Coupe du monde au Qatar est en proie à la polémique depuis que la candidature de ce pays du Moyen-Orient a été confirmée en 2010. Le processus de vote de la FIFA qui a conduit à sa sélection a été visé par des allégations de corruption avant que l’attention ne se porte sur le Qatar lui-même et sur les raisons pour lesquelles il pourrait être un hôte problématique de la Coupe du monde.

Dès le début du projet, Amnesty International et Human Rights Watch ont tiré la sonnette d’alarme sur les mauvais traitements infligés aux travailleurs migrants qui construisaient un “stade ultramoderne” pour le tournoi de 2022, notamment sur des allégations de travail forcé et de conditions de vie insalubres.

Selon Amnesty International, les travailleurs migrants représentent plus de la moitié des 3 millions d’habitants du Qatar et 90 % de sa main-d’œuvre globale. Beaucoup parmi eux, originaires de pays pauvres d’Asie du Sud comme l’Inde, le Népal et les Philippines, sont arrivés pour travailler sur le projet d’infrastructure de la Coupe du monde, dont la valeur s’élève à 220 milliards de dollars. Bien que le Qatar soit le quatrième pays le plus riche au monde, un ouvrier migrant gagne généralement 1,30 € de l’heure, tout en travaillant de longues journées et en moyenne six jours par semaine.

Les deux groupes de défense des droits de l’homme ont également fait état d’un taux de mortalité stupéfiant parmi les travailleurs migrants, qui, selon eux, se chiffre en milliers, mais ils n’ont pas été en mesure de vérifier ces chiffres car les autorités du Qatar “n’ont pas rendu publiques des données compréhensibles sur les décès”.

Le Qatar a rejeté ces allégations, affirmant que le nombre de décès liés au travail ne représente qu’une poignée, mais un rapport d’enquête publié en 2021 par le Guardian a confirmé qu’au moins 6 751 migrants originaires de seulement cinq pays (Inde, Bangladesh, Népal, Pakistan et Sri Lanka) sont morts au Qatar entre 2010 et 2020.

Le journal a averti qu’en réalité, le nombre réel des décès serait “nettement plus élevé”, car les chiffres n’incluent pas les données des Philippines et du Kenya, qui ont tous deux un nombre considérable de ressortissants au Qatar.

À l’approche de la Coupe du monde, et face aux critiques incessantes contre le traitement qu’il inflige aux travailleurs migrants, le Qatar s’est engagé, parmi autres mesures, à se débarrasser de son système controversé de kafala.

Le système de kafala est une sorte de programme de parrainage qui exige que l’employeur donne son accord avant qu’un travailleur migrant puisse quitter le pays ou changer d’emploi. Si un employeur signale la disparition d’un travailleur migrant, celui-ci est considéré comme ayant “fui” et devient automatiquement sans papiers et risque l’arrestation. Selon Human Rights Watch, de nombreux ouvriers migrants se voient confisquer leur passeport par leurs employeurs qataris et se retrouvent ainsi pris au piège, dans des conditions parfois proches de l’esclavage.

Bien que le Qatar ait disposé de cinq ans pour supprimer progressivement ce système, il est toujours en vigueur.

“Cette Coupe du monde a soutenu une infrastructure qui a été construite dans les conditions de travail les plus exploitantes que vous puissiez imaginer”, a déclaré à France 24 Pete Pattisson, vidéaste et photojournaliste qui a documenté le travail des travailleurs migrants au Qatar au cours des neuf dernières années.

L’impact environnemental de la prochaine Coupe du monde est également devenu un point de friction majeur.

Le Qatar a vanté le tournoi comme étant le premier événement de son histoire à être neutre en carbone. Il a évoqué en long et en large les technologies neutres en carbone utilisées pour la construction, notamment la climatisation à énergie solaire qui rafraichira les huit stades, son système de métro électrique, et le fait que les visiteurs n’auront pas besoin de prendre l’avion à l’intérieur du pays grâce à des stades construits à proximité les uns des autres.

Cependant, un rapport publié en mai par Carbon Market Watch (CMW), une organisation européenne à but non lucratif, a rejeté les affirmations du Qatar concernant l’impact de son empreinte carbone, accusant le pays d’appliquer une “comptabilité créative” pour atteindre ses objectifs.

CMW a notamment cité les calculs du Qatar sur la quantité de carbone émise pendant la construction des stades, affirmant qu’elle pourrait être jusqu’à huit fois supérieure à celle déclarée par Doha.

L’organisation a également jugé “non crédible” la prétendue “pépinière d’arbres et de gazon” du Qatar, qui absorbe les émissions, car il est “peu probable que l’absorption soit permanente dans ces espaces verts artificiels et vulnérables”.  Un exemple clair est le gazon, qui, une fois l’événement terminé, devra être remplacé par du gazon artificiel en raison des températures très élevées.  

“Les affirmations selon lesquelles la Coupe du monde de la FIFA 2022 ne contribuera pas à des émissions supplémentaires de carbone dans l’atmosphère sont totalement irréalistes. Les données déjà disponibles aujourd’hui montrent que, contrairement aux prédictions, l’impact climatique du tournoi qatari sera sans ambiguïté négatif”, a déclaré CMW.

Compte tenu des vastes projets de construction en cours au Qatar, les effets d’entraînement ne devraient pas s’arrêter là. Outre les stades fraichement construits, le Qatar a agrandi l’aéroport de Doha, construit une série de nouveaux hôtels et étendu ses réseaux ferroviaire et autoroutier.

Source : France 24

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