Erdogan appelle ses diplomates à lutter contre l’islamophobie

S’adressant au corps diplomatique turc au sujet des priorités internationales du pays, le président Recep Tayyip Erdogan a appelé ses diplomates à “défendre les droits des citoyens turcs” face à l’hostilité croissante envers “les musulmans et les Turcs” dans les pays occidentaux, estimant que le “racisme culturel” est en hausse dans le monde.

“Insulter des femmes voilées en pleine rue, brûler notre saint Coran sous la protection de la police, abandonner une tête de porc coupée dans nos mosquées… tous ces exemples mettent à nu les dimensions effrayantes de l’islamophobie”, a-t-il déclaré, en référence à des cas signalés en Suède, en Autriche et en Allemagne. Le président turc a également accusé certains pays européens de fermer des associations et des mosquées sous des “prétextes peu convaincants”.

“J’attends de vous que vous vous teniez plus fermement aux côtés de notre peuple et que vous défendiez avec détermination les droits et la dignité de nos citoyens en toutes circonstances. Nous devrions trouver un moyen de neutraliser la pression de plus en plus intense sur les associations et les mosquées par voies politique et juridique”, a lancé le président aux ambassadeurs.

Les prochaines élections présidentielles et législatives étant au cœur de ses préoccupations, M. Erdogan a exhorté les représentants du pays à l’étranger à veiller à ce que les Turcs ayant le droit de vote puissent facilement se rendre aux urnes, et à faire de sorte que les partisans de Fethullah Gülen et d’autres “groupes terroristes” ne soient pas en mesure de compromettre les élections. Cette demande est cruciale pour Erdogan et son parti Justice et Développement (AKP) qui comptent sur le vote des Turcs vivant à l’étranger pour les prochaines élections qui s’annoncent serrées. Bien que seulement la moitié des Turcs vivant à l’étranger aient voté aux dernières élections en 2018, un électeur sur deux ayant voté dans les représentations étrangères ou aux postes frontaliers turcs a voté pour l’AKP. 

Le zèle de la campagne peut toutefois occasionnellement conduire à des frictions diplomatiques. En 2017, avant un référendum sur l’élargissement des pouvoirs présidentiels, la campagne agressive de l’AKP et ses tentatives d’organiser de grands rassemblements dans différentes villes européennes ont déclenché une crise diplomatique avec les Pays-Bas. 

Dans son discours, Erdogan a vanté le rôle mondial de la Turquie, évoquant sans surprise le rôle de médiation d’Ankara dans la crise ukrainienne, le processus de paix entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, et les nouvelles ouvertures du pays sur l’Amérique latine et l’Asie. 

“Turkiye (comme la Turquie est désormais appelée dans tous les discours officiels) ne peut tourner le dos ni à l’Est ni à l’Ouest. Nous devons entretenir des relations solides avec les deux, à l’image de l’aigle bicéphale qui symbolise le Grand État seldjoukide”, a déclaré M. Erdogan, en référence à l’empire du XIe siècle qui a régné sur l’Anatolie. 

Le président a également mis l’accent sur le nombre croissant des représentations de la Turquie et sur ce qu’il a appelé le poids accru de la Turquie dans les organisations internationales.

“Avec ses 255 missions étrangères, la Turquie se classe aujourd’hui parmi les cinq pays qui disposent du réseau diplomatique le plus étendu au monde”, a-t-il indiqué. “Dans le cadre de notre politique de partenariat avec l’Afrique, nous avons des ambassades dans 44 pays sur 54. En Amérique latine, nous avons porté le nombre de nos ambassades à 18.”

Pour de nombreux ambassadeurs turcs qui écoutaient Erdogan au palais présidentiel, ses propos sur les représentations turques toujours plus nombreuses ne sont guère rassurants. “Tout comme les eunuques de la cour ottomane, le ministère turc des Affaires étrangères semble prendre de l’ampleur. Mais il n’en reste pas moins que nous sommes castrés”, a plaisanté un diplomate turc. Ce diplomate, qui a requis l’anonymat, a déploré le fait que plupart des décisions cruciales ont été prises par la présidence sans même informer le ministère des affaires étrangères, ne serait-ce que par courtoisie. Des sources d’Ankara affirment que les ambassades de Turquie en Finlande et en Suède – sans parler de la délégation turque à l’OTAN – n’ont appris le veto de la Turquie sur l’élargissement de l’alliance qu’après la déclaration d’Erdogan, laissant les diplomates embarrassés devant leurs interlocuteurs.

L’augmentation constante du nombre de représentations de la Turquie ne contribue guère à augmenter le pouvoir et l’influence du ministère. Bon nombre des ambassades récemment ouvertes n’ont d’ambassade que le nom, avec un personnel diaphane, et n’ont souvent pas assez à faire parce que les liens bilatéraux sont dormants ou discrets. Mais les diplomates de carrière âgés d’une cinquantaine d’années – qui ont passé des examens bilingues compétitifs et difficiles dans les années 1990 – sont souvent affectés à ces postes, tandis que des postes plus cruciaux sont occupés par des “political appointees”, c’est-à-dire des hommes et des femmes ayant des liens avec le parti au pouvoir. 

Selon un récent rapport réalisé par deux universitaires de l’université Haci Bayram, un ambassadeur sur cinq est une personne nommée pour des raisons politiques, ce qui aurait été impensable avant le gouvernement AKP.  Certaines de ces personnes ont une expérience avec la politique étrangère. Murat Mercan, l’actuel ambassadeur de Turquie à Washington, était un membre fondateur de l’AKP et a été pendant des années une figure de proue de l’équipe chargée de la politique étrangère. Il est devenu ambassadeur de Turquie d’abord à Tokyo, puis à Washington. Egemen Bagis, un autre fidèle d’Erdogan qui a été l’interprète du président pendant des années, puis le négociateur en chef pour l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, est actuellement ambassadeur en République tchèque, qui vient de prendre la présidence tournante de l’Union européenne. Aussi, des rumeurs persistantes indiquent qu’Ibrahim Kalin, le porte-parole de la présidence et chef de facto de la sécurité nationale de la Turquie, lorgne sur le poste de représentant permanent de la Turquie auprès des Nations unies. 

Mais le manque de perspectives des ambassadeurs oblige certains diplomates turcs à prendre une retraite anticipée et à faire carrière dans les médias ou les groupes de réflexion internationaux. Souvent, ils rejoignent les rangs des partis de l’opposition où ils multiplient les déclarations acerbes sur les gaffes du gouvernement en matière de politique étrangère, comme Ahmet Erozan, ancien diplomate du parti IYI, qui a raillé le gouvernement pour avoir lancé une coopération navale avec la Zambie, pays enclavé, au printemps dernier.

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