Des habitants de Beita en Cisjordanie témoignent de leur chagrin et de leur désespoir

Les affrontements qui se sont déroulés sur la montagne de Jabal Sabih, près du village de Beita en Cisjordanie occupée, ont laissé aux habitants palestiniens un gout amer. Une année de protestation contre la construction illégale d’un avant-poste par Israël a conduit à des violences et à une hausse du nombre de victimes.

Plusieurs manifestants palestiniens ont été tués et des dizaines de personnes ont été blessées par les forces israéliennes qui soutenaient les colons illégaux pendant les manifestations. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a indiqué qu’au moins 10 Palestiniens, dont deux enfants, ont été tués, et que de nombreux autres ont été blessés ou mutilés à la suite des affrontements.

Face aux tentatives des colons israéliens de rétablir sur Jabal Sabih un avant-poste non conforme avec la loi, les villageois palestiniens ont exprimé leur opposition sous forme de marches de protestations qui ont fini en confrontations avec les Forces de défense israéliennes (FDI).

“Beita abrite 15 000 habitants”, explique Saeed Mohammad Ahmad Hamayil, dont le fils de 16 ans, Mohammad, a été tué en juin dernier. “Chaque foyer a connu un malheur au cours de l’année dernière”.

“Si vous entrez dans n’importe quelle maison et demandez ce qu’ils ont vécu, soit ils ont perdu quelqu’un, soit ils ont dû faire face à des blessures, soit un membre de la famille est handicapé ou emprisonné.”

Le CICR a recueilli à travers le village des témoignages de victimes qui ont partagé leur chagrin quotidien depuis la perte de leurs proches.

Hamayil raconte que son fils Mohammad est mort deux mois avant de fêter ses 17 ans.

“Nous construisons une nouvelle maison car nous ne pouvons pas supporter de rester dans la maison où vivait notre fils”, a-t-il déclaré. “Partout où je regarde, je vois mon fils. C’est trop douloureux.”

“Chaque jour qui passe, j’ai l’impression qu’il a été tué à nouveau, surtout en ce moment car il serait en train de préparer ses examens du lycée.”

“Mohammad avait l’habitude de me dire : ‘Je veux construire une maison et vivre ici un jour’. Nous voulons que son souhait se réalise.”

“La nouvelle maison sera plus proche du cimetière, et cela permettra en quelque sorte à la mère de Mohammad de se sentir plus proche de son fils.”

Ancien employé du ministère palestinien du Travail, Hamayil a déclaré avoir pris une retraite anticipée parce qu’il ne pouvait plus assumer son travail.

“Mon fils Mohammad était l’un des enfants les plus intelligents de son école. Il était sociable, aimait les gens et avait une personnalité charismatique. Il rêvait d’aller à l’université et de se spécialiser en droit. Tous ses espoirs et ses rêves se sont envolés. “

” Je ne peux rien faire pour protéger mes enfants, je ne peux même pas me protéger moi-même. Comment vais-je pouvoir les protéger ? La mort de mon fils m’a brisé, ainsi que ses frères et sœurs et sa mère. J’essaie de garder mon calme en parlant, mais je n’y arrive pas.”

“Je ne veux plus que les crimes soient documentés, nous avons suffisamment de documents. Nous voulons que ces actes de violence cessent. Nous sommes des pères, nous avons des sentiments et nous nous soucions de nos fils.”

Oum-Ali, une autre habitante du village, est la veuve du Palestinien Imad Ali Dweikat. Il a également été tué lors des affrontements, laissant derrière lui cinq enfants en bas âge.

“Mon mari était un père extraordinaire. Habituellement, les villageois préfèrent les garçons, mais il aimait tellement les filles. Bien sûr, il était ravi lorsque son fils Ali est né et pendant les deux mois où il l’a connu avant d’être tué. Mais il était toujours si heureux avec ses filles.”

“C’était un homme parfait. Il était un ami, un frère et un mari, tout en un. Il était mon amour. Nous avons été mariés pendant 11 ans. Je ne peux pas croire que je dois vivre sans lui. Je suis juste en mode de survie. Il n’y a pas de vie sans lui.”

“Mon aînée ne peut pas parler de lui. Jusqu’à présent, elle refuse d’aller sur sa tombe. J’essaie d’amener les filles à parler de leurs sentiments, mais elles ont du mal à les exprimer.”

Oum-Ali a raconté que son mari avait un surnom pour chacune de ses filles, “mais il n’a jamais eu la chance de pouvoir surnommer son plus jeune enfant”, a-t-elle dit.

“Il a surnommé Alaa ‘sa première et plus grande joie’. Il a appelé notre deuxième fille Baylasan, ‘mon garde du corps, mon protecteur’ parce qu’elle est forte. Notre troisième fille, nous l’avons appelée ‘harkoosha’ (gremlin) parce qu’elle fait beaucoup de bêtises, et Roaa a été surnommée ‘petit schtroumpf’ parce qu’elle est toute petite.”

“Son rêve était que les filles terminent leurs études à l’université. Il voulait qu’Alaa devienne médecin et Baylasan ingénieur. Il voulait qu’elles réalisent de grandes choses dans la vie. Leur éducation lui tenait à cœur. S’il a manifesté sur la montagne ce jour-là, c’était aussi pour protéger sa famille et l’avenir des filles.”

Essa Hamdi Maali, résident de Beita né en 1954, est marié et a neuf filles et deux garçons. Il a été ouvrier dans le bâtiment en Israël jusqu’à l’âge de 45 ans. Il est ensuite retourné à Beita pour cultiver sa terre.

“Je vivais une vie tranquille jusqu’à l’arrivée des colons”, se souvient-il. “Les manifestations de Beita ont impliqué tout le village : Les hommes, les femmes, les personnes âgées et les jeunes. Nous avons lancé nos ‘nuits de confusion’ comme forme de protestation – en jouant de la musique, en claxonnant près de haut-parleurs tournés vers notre montagne et en pointant dans la nuit des lumières laser vers la colonie.”

“Nous nous sommes assis dans des tentes pendant les jours d’hiver et pendant le Ramadan. Nos revendications communes nous ont rapprochés, nous les villageois. Pendant cent jours, nous n’avons pas quitté la montagne.”

“Je suis fatigué. Je ne peux pas accéder à mes propres terres que j’ai héritées de mon grand-père et de mon père. Nous craignons qu’un jour il n’y ait plus de terre. Nous avons fait la promesse de protéger la montagne. J’ai une photo de chaque arbre afin de le garder en mémoire. J’avais un petit album. Je connais le nom de toutes les plantes ici à Beita”.

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