Tunisie : Le démantèlement de l’appareil secret du mouvement Ennahda commence par l’interdiction de voyager de Rached Ghannouchi

Bien que l’appareil secret du mouvement islamiste tunisien Ennahda soit l’un des points les plus complexes, les analystes estiment qu’il ne représente qu’une première étape de la vaste mission qui consiste à mettre la lumière sur les assassinats politiques et la corruption dont le Mouvement est accusé depuis une une dizaine d’années.

Le 27 mai, la justice tunisienne a émis une interdiction de voyager à l’encontre de 34 personnes dans le cadre de l’affaire de l’appareil secret du mouvement Ennahda, accusé notamment d’être impliqué dans l’assassinat du politicien de gauche Chokri Belaid et de l’ancien parlementaire Mohamed Brahmi en 2013.

La décision vise également Rached Ghannouchi, le président du mouvement Ennahda et président du parlement tunisien dissous, selon la confirmation de la porte-parole du tribunal d’Ariana près de la capitale.

Issam Dardouri, le chef de l’Organisation de la Sécurité et du Citoyen, une organisation civile de défense des droits de l’homme soucieuse de réparer les relations entre les citoyens et les forces de sécurité, a déclaré au quotidien Middle East Online que la décision d’interdire à Ghannouchi de voyager est ” une confirmation que les services secrets qui ont travaillé au sabotage des institutions de l’État existent bel et bien.”

Issam Dardouri, un syndicaliste de la sécurité qui occupait le poste de secrétaire général du Syndicat de la sécurité de l’aéroport international de Tunis-Carthage, a été le premier à révéler à l’opinion publique tunisienne en 2013 l’existence d’un appareil secret armé appartenant au mouvement Ennahda, impliqué dans des assassinats politiques et l’envoi de jeunes gens vers des zones de conflit comme la Syrie et l’Irak.

Il a souligné que le premier noyau de ce dispositif était formé par un dénommé Fathi Boussaida et un certain Abdelkarim Abidi, accusé dans l’affaire de Mohamed Brahmi. Il a ajouté que Boussaida avait occupé à un moment le poste d’attaché de sécurité à l’ambassade de Tunisie au Caire, bien que le ministère de l’Intérieur ait été informé de son implication présumée.

C’est le chef adjoint du mouvement Ennahda, Ali Larayedh, qui occupait alors le poste de ministre de l’Intérieur. Une période qui, selon les analystes, a été marquée par une nette désintégration des structures du ministère, dont les performances ont été fragilisées par des failles sécuritaires ayant conduit à des assassinats politiques. Durant cette période, les terroristes étaient remarquablement actifs dans les montagnes de l’ouest tunisien et à la frontière tuniso-libyenne.

Issam Dardouri a déclaré à Middle East Online que “durant sa mission à l’aéroport de Tunis-Carthage, il avait remarqué des choses suspectes qui se produisaient au sein de l’escouade de protection des aéronefs, qui s’est avérée être supervisée par Abdelkarim Abidi, accusé plus tard dans l’affaire de l’assassinat de Brahmi”.

Le témoignage de Issam Dardouri rejoint les déclarations de l’équipe de défense de Belaid et de Brahmi, qui a fourni des documents prouvant que “la mise en place de l’appareil secret du mouvement Ennahda a été soutenue par les dirigeants des Frères (musulmans) égyptiens”.

Contacté par Middle East Online, Abdelmadjid, le frère de Chokri Belaid, a déclaré que “la famille Belaid est optimiste concernant la décision d’interdire à Ghannouchi de voyager”, et a exprimé “l’espoir que la décision puisse inclure le cercle de Ghannouchi”, qu’il a décrit comme “des étrangers qui n’ont pas été, et qui ne seront jamais acceptés par l’instance tunisienne”.

Abdelmadjid Belaid a affirmé que cette décision “met fin à 9 ans de falsification des dossiers judiciaires par la justice de Noureddine Bhiri”, appelant à accélérer les enquêtes et à “organiser des procès publics pour les auteurs, afin que les peuples libres puissent les suivre à travers le monde entier”.

L’ancien ministre de la Justice Noureddine Bhiri, responsable du mouvement Ennahda, est accusé d’avoir tenté “de domestiquer la justice tunisienne et de manipuler des dossiers” impliquant des terroristes liés à des affaires portant atteinte à la sécurité nationale tunisienne, selon les accusations portées contre lui par le ministère de l’Intérieur, la défense de Belaid et de Brahmi, des militants des droits de l’homme et des politiciens.

En décembre 2021, Noureddine Bhiri a été assigné à résidence pour “présentation illégale de documents d’identité et de citoyenneté, et suspicion grave de terrorisme”, selon un communiqué officiel du ministère tunisien de l’Intérieur, qui a décidé de le libérer au mois de mars dernier.

Abdelmadjid Belaid, également dirigeant du Mouvement des patriotes démocrates (Watad), dont le frère était le secrétaire général avant son assassinat en 2013, s’est dit confiant sur le fait que “le président de la République Kais Saied ne marchandera pas la cause des deux martyrs”, soulignant que le mouvement Ennahda a systématiquement recours au marchandage et au chantage à chaque annonce d’ouverture d’une enquête sérieuse sur son appareil secret et son implication dans des affaires terroristes.

En ce qui concerne les preuves impliquant l’appareil secret du mouvement Ennahda, Issam Dardouri a déclaré à Middle East Online qu’il existe des preuves que “Mustapha Khedher, qui était à la tête du mouvement, est impliqué dans la collecte de données privées sur le personnel de sécurité, les journalistes, et même les chauffeurs de taxi”, et que le Mouvement s’appuie sur ces informations pour mettre en œuvre des plans suspects.” Il a ajouté : “L’autre numéro difficile des services secrets est Mehrez Zouari, ancien directeur général au sein du ministère de l’Intérieur, ainsi que Adel Merabet, tous deux faisant partie des bras droits de Mustapha Khedher au ministère de l’Intérieur.”

Le mouvement Ennahda et son président ont nié avoir été notifié par la justice d’une interdiction de voyager. Le vendredi 27 mai au soir, Ennahda a indiqué dans un communiqué que Rached Ghannouchi n’a pas l’intention de se rendre à l’étranger malgré de nombreux appels à participer à des manifestations internationales en sa qualité de président du parlement dissous.

Le Mouvement a considéré les derniers développements comme “un processus systématique pour détourner l’attention de l’opinion publique des véritables préoccupations et de la réalité de la crise politique et économique”.

Ennahda a ajouté que Ghannouchi se tient à la disposition d’un système judiciaire équitable et indépendant, estimant que l’affaire de “l’appareil secret” est alléguée par le comité de défense de Belaid et de Brahmi.

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