La formation d’un nouveau gouvernement mettra-t-elle fin à la crise politique tunisienne?

La désignation de l’universitaire Najla Bouden pour former le prochain gouvernement tunisien est une exception tant en Tunisie qu’ailleurs. Cette avancée historique a été saluée par la plupart des partis et organisations politiques. Cependant, certaines figures politiques s’interrogent sur l’étendue des pouvoirs réels qui lui seront accordés, au vu des mesures exceptionnelles adoptées par le président Kais Saied le 25 juillet dernier.

Si certains pensent que le Président de la République a mis fin à son contrôle sur le pouvoir exécutif (la Présidence de la République et la Présidence du Gouvernement) en accordant cette mission a Najla Bouden, des questions se posent désormais sur les limites qui seront imposées au Premier ministre en terme de champ d’action. Najla Bouden sera t-elle un Premier ministre avec un certain pouvoir de décision ? Ou se contentera t-elle de mettre en œuvre le programmes du Président de la République ?

Selon certains observateurs, le président tunisien a demandé à son Premier ministre fraichement désigné de proposer une équipe homogène, avec comme priorité la lutte contre la corruption, puis l’identification des besoins des citoyens tunisiens en terme de droit aux transports publics, à la santé et à l’éducation. Il a souligné qu’ils travailleront ensemble avec une volonté et une détermination implacables pour éradiquer la corruption et le chaos qui ont paralysé le pays. Cela signifie, selon les observateurs, que Saied a accordé sa confiance au Premier ministre Najla Bouden, après avoir affirmé au cours des deux dernières années avoir été “trahi” par les premiers ministres qu’il a personnellement choisis, notamment Hisham al-Mashishi, à qui il a fermé les portes du dialogue.

Toutefois, d’autres observateurs estiment que le rapport de force est entièrement en faveur du président dans la mesure ou il reste maître de la décision politique grâce au décret présidentiel qu’il a adopté le 22 septembre, qui stipule dans son 16e chapitre qu’il peut lui-même nommer le Premier ministre, les ministres et les secrétaires d’État. Les chapitres 17  et  18  précisent également que le gouvernement doit veiller à la mise en œuvre de la politique générale de l’État, conformément aux directives et aux choix du Président de la République. De plus, les ministres doivent désormais répondre de leur comportement devant le Président de la République, alors que précédemment, ils devaient des comptes au Parlement.

Le chapitre 19  stipule que le Premier ministre dirige le gouvernement, coordonne ses travaux et dispose des moyens ​​de l’administration pour mettre en œuvre les orientations et les choix fixés par le Président de la République et, le cas échéant, le Président de la République peut se suppléer à la présidence du Conseil des ministres ou de tout autre conseil. Le chef du gouvernement et ses membres doivent prêter serment devant le président de la République, tandis que la ratification du gouvernement est votée par le Parlement, après quoi le serment constitutionnel est prêté devant le chef de l’État.

A ce titre, certains se demandent si le président Saied a vraiment surmonté, grâce à cette nouvelle réalité politique, la crise entre les deux chefs de l’exécutif, et comment seront les relations entre les deux partis après la fin des mesures exceptionnelles en vigueur et le retour au cours normal de la vie politique.

La crise des pouvoirs entre le Président de la République et le Premier ministre est apparue sous l’ancien président Béji Caïd El Sebsi, puis s’est exacerbée sous Habib Essid qui était à la tête du gouvernement et qui a été victime d’une avalanche de déclarations chargées de menaces et d’intimidations, lancées par des partis proches des cercles décisionnaire au palais de Carthage. Cette crise n’a pris fin qu’après le renversement du gouvernement de Habib Essid, pour réapparaitre sous le règne de Béji Caïd El Sebsi, qui a connu de vives dissensions avec le Premier ministre Youssef Chahed, provoquant la rupture entre les deux parties. Cependant, Béji avait choisi d’éviter la confrontation, et le différend a pris fin par le biais d’un changement politique à la suite du décès du président.

Après les élections de 2019 et la victoire de Kais Saied, la guerre des pouvoirs s’est étendue entre la Kasbah et Carthage lorsque le président de la République a choisi Elyes Fakhfakh, mais les conflits d’intérêts l’ont écarté et il a soumis sa démission au Président de la République qui a choisi Hisham al-Mashishi qui lui était proche. Cependant, ce dernier a pris ses distances avec le Palais de Carthage et s’est allié au Palais du Bardo et au Président du Parlement Rashid Ghannouchi, qui a poussé le président Saied à rejeter le remaniement ministériel opéré par al-Mashishi, créant une impasse politique sans précédent qui s’est soldé par la mise en œuvre de mesures exceptionnelles, approuvées par l’article 80 de la constitution du pays.

La question demeure : Le président Saied a-t-il réellement mis fin aux causes intrinsèques de la crise qui sévit entre les deux chefs de l’exécutif en étendant ses pouvoirs et en limitant les pouvoirs du Premier ministre ?

Related articles

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here