Les raisons du rapprochement russe avec les talibans

En politique, c’est l’intérêt qui prime. Il n’y a ni ami ni ennemi permanent, et aucun scénario n’est impossible. Depuis que les talibans ont repris la main en Afghanistan, la russe a publié plusieurs déclarations pour confirmer sa volonté de coopérer avec le nouveau régime afghan. Pourtant, la Russie a désigné le mouvement Taliban en 2003 en tant qu’organisation terroriste.

L’envoyé spécial du président russe en Afghanistan a exprimé l’optimisme de Moscou concernant ses rapports avec le nouveau gouvernement afghan, et a affirmé qu’il s’entretiendra avec le mollah Abdul Ghani Baradar, le chef du bureau politique des talibans. Il a déclaré que la Russie entretenait de bonnes relations aussi bien avec le gouvernement afghan sortant qu’avec les talibans.

“Nous ne sommes donc pas inquiets”, a affirmé le président russe Vladimir Poutine, lors de sa rencontre avec les représentants du parti russe au pouvoir. Il a précisé que la situation en Afghanistan était directement liée à la sécurité de la Russie et a prévenu qu’il ne voulait pas que des militants afghans armés viennent en Russie en se faisant passer pour des réfugiés. Cette déclaration reflète la volonté du régime russe de coopérer avec les talibans afin de ne pas avoir à payer l’addition d’un éventuel chaos en Afghanistan, qui affecterait très certainement la région d’Asie centrale et pourrait s’étendre au Caucase du Nord et nuire à ses intérêts nationaux.

De plus, la présence des forces de la coalition internationale en Afghanistan a permis le déploiement de plusieurs bases occidentales en Asie centrale : la base française au Tadjikistan, les bases allemande et américaine en Ouzbékistan, et la base de Manas au Kirghizistan. La Russie s’est inquiétée de l’élargissement des forces de l’OTAN qui l’encerclaient de toutes parts.

La présence de l’Etat islamique en Afghanistan depuis 2017 a joué un rôle crucial dans l’amélioration des rapports entre la Russie et les talibans. En raison de la faiblesse du gouvernement de Kaboul, Moscou craignait que les combattants de l’organisation terroriste ne se rassemblent et que l’Afghanistan deviennent un nouveau centre de raliement pour les djihadistes qui pourraient raviver l’insurrection dans le Caucase du Nord.

Cela a semblé évident lorsque Moscou a reçu le 9 novembre 2018 une délégation talibane composée de cinq de ses dirigeants, dans le cadre d’une quête pour organiser une conférence de paix et entamer des négociations entre le gouvernement afghan et les talibans sous le nom “formule de Moscou”. D’autres réunions ont eu lieu en 2019, 2020, et 2021. Il en a résulté de nombreux accords entre les deux parties, comme en témoignent l’échec de la fermeture de l’ambassade de Russie à Kaboul, et l’affirmation des talibans selon laquelle ils ne permettraient à aucune personne ou entité d’utiliser le territoire afghan pour attaquer la Russie ou ses voisins, ou de livrer de la drogue en Russie. Ils ont également averti que le consulat russe de Mazâr-e Charîf était sous la protection du mouvement qui ne permettrait pas qu’il soit attaqué.

La Russie mise sur le rapprochement avec les talibans en raison de la proximité de l’Afghanistan. Moscou souhaite que l’Afghanistan se stabilise afin que sa sécurité nationale soit préservée, et elle “traiterait avec tout futur gouvernement afghan même s’il est dirigé par les talibans, tant que ce dernier s’engage à ne pas compromettre les intérêts russes”, avec la possibilité de reconsidérer sa désignation d’organisation terroriste interdite en Russie, tant que cela ne menace pas les intérêts russes.

Moscou considère la nécessité de coopérer avec les talibans afin de se débarrasser du danger que représentent l’Etat islamique, al-Qaïda, et d’autres mouvements djihadistes présents dans le Caucase du Nord et la région d’Asie centrale. Ces organisations augmenteraient la charge de sécurité qui pèse sur la Russie et affaibliraient ses performances en politique étrangère.

Si le contrôle de l’Afghanistan par les talibans constitue une menace pour la Russie, c’est également parce qu’il pourrait permettre la présence de groupes antirusses en Asie Mineure, comme les Frères musulmans du Tadjikistan, et le mouvement islamique jihadiste d’Ouzbékistan qui bénéficie d’une forte popularité auprès des ouzbeks vivant en Afghanistan. En 2015, ce groupe a prêté allégeance aux talibans, puis s’est retourné contre eux et a prêté allégeance à l’Etat islamique, à l’organisation al-Ikramiya, aux Soldats du califat et au Parti islamo-nationaliste Alash au Kazakhstan qui appelle à l’expulsion des Russes du Kazakhstan.

D’autre part, les talibans recherchent une reconnaissance internationale en menant des négociations avec Moscou, qui est bien conscient de l’importance de l’Afghanistan pour la stratégie sécuritaire et géopolitique russe, car la Russie en est plus proche que toute autre partie.

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