L’ambiguïté plane sur l’accord Macron-Erdogan concernant le “retrait des forces étrangères” de Libye

Paris semble plutôt satisfait des résultats atteints par le président Emmanuel Macron dans le dossier libyen lors de sa rencontre avec son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, en marge du sommet de l’OTAN hier à Bruxelles. Les déclarations de Macron à l’issue du sommet et les informations de sources française et étrangère, indiquent que Paris et Ankara se sont mis d’accord sur un ensemble de points susceptible de constituer ce que l’on peut appeler une “feuille de route” pour la Libye, fondée sur la volonté des deux parties d’abandonner les approches et les politiques précédentes.

L’intérêt de cette rencontre réside dans le fait qu’elle s’inscrit dans le cadre des efforts bilatéraux pour réaliser un rapprochement des positions entre les deux parties en ce qui concerne les dossiers épineux, et ce en prévision de deux grands rendez-vous : la réunion de “Berlin2” autour du dossier libyen, et le sommet européen des 24 et 25 juin à Bruxelles, où les dossiers turc et libyen seront à l’ordre du jour des dirigeants européens. Les sources précitées considèrent qu’Erdogan a anticipé les deux événement en adoptant des positions “douces” pour limiter les critiques sévères auxquelles a été confrontée sa politique en Libye au niveau européen, notamment français.

Trois sujets majeurs ont été abordés entre Erdogan et Macron : Le premier traite de la consolidation du cessez-le-feu qui a été conclu en octobre de l’année dernière. Le second est l’adhésion à la tenue d’élections législatives en Libye fin décembre prochain, ce que Paris considère comme un droit fondamental car elles apporteraient une “légitimité nouvelle et incontestée” aux autorités qui émergeront des résultats des élections. Le troisième concerne l’apport d’un soutien au Conseil présidentiel et au gouvernement libyens pour les “accompagner” dans les semaines et les mois à venir.

Un quatrième dossier relatif à la présence de forces étrangères et de mercenaires sur le sol libyen a débouché sur un accord “partiel” entre les deux présidents. “Nous travaillerons ensemble l’été prochain, et dans une première étape, sur le retrait des combattants et mercenaires étrangers dès que possible (…) Il s’agit d’un progrès important, et nous avons convenu de travailler ensemble pour y parvenir”, a déclaré Emmanuel Macron.

Cependant, le président français n’a pas évoqué les forces turques présentes sur le sol libyen et que Ankara refuse de retirer, considérant que la présence de l’autorité turque a été demandée par les autorités libyennes, selon l’accord conclu entre le gouvernement de Fayez al-Sarraj et les autorités turques en automne 2019. Le fait est que Paris a toujours exigé le retrait de toutes les forces étrangères de Libye, et pas uniquement des milices et des mercenaires étrangers. La dernière demande en date a été formulée par Macron lui-même à l’occasion de la conférence de presse conjointe avec le Premier ministre libyen Abdel Hamid Dabaiba, où il a nommément cité les “forces turques”.

D’où l’importance de la “première étape” évoquée par Macron concernant le retrait militaire qui n’affectera pas les forces officielles turques, temporairement expulsées avec celles qui doivent quitter les territoires libyens. En tout état de cause, il existe à Paris une conviction profonde qu’Erdogan est déterminé à garder ses forces militaires en Libye, car elles représentent sa principale garantie de préserver les intérêts de son pays.

Il est à noter que l’accent mis par la ministre libyenne des Affaires étrangères, Najla Mangoush, sur la nécessité du retrait des forces turques a suscité de nettes divisions dans les rangs du gouvernement. Cependant, l’accord donné par la Turquie pour retirer les milices et les mercenaires qu’elle a envoyés en Libye est un acquis pour la France qui a toujours craint que des extrémistes islamistes s’infiltrent en Europe pour commettre des actes terroristes. La France a également averti à plusieurs reprises que la présence turque en Libye déstabiliserait les pays d’Afrique du Nord et du Sahel.

La partie française estime que la porte du dialogue a été ouverte avec la Turquie. Mais pour Paris, cette évolution qualifiée de “positive” par Macron, ne signifie pas que les problèmes avec Ankara ont été résolus. Il existe d’autres dossiers non moins complexes que celui de la Libye, comme le dossier de l’immigration dont la Turquie se sert comme moyen de pression sur l’Union européenne, les accusations de Paris selon lesquelles Ankara serait déterminée à s’ingérer dans les affaires électorales françaises à travers sa communauté résidant en France, sans oublier le conflit dans les eaux de la Méditerranée orientale, dans lequel Paris se tient aux côtés de la Grèce et de Chypre contre la Turquie.

La prudence reste de mise. Et comme l’a indiqué à plusieurs reprises le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian concernant la Turquie : “ce qui compte, ce sont les actes, pas les déclarations”.

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