Algérie: Inquiétude autour de l’emprise des islamistes sur les manifestations

Au sein du “Hirak”, le mouvement militant algérien, le débat fait rage sur “l’emprise” des islamistes sur les manifestations qui ont lieu tous les mardis et vendredis.

Selon les rapports de l’Agence de sécurité intérieure qui surveille le mouvement de très près, une organisation extrémiste, fruit de la décennie noire des années 1990, cherche à “supprimer (des manifestations) les slogans qui revendiquent la liberté et la démocratie et relancer le projet de l’État islamique”.

Depuis que les manifestants ont repris les rues en février après une interruption d’une année en raison de la crise sanitaire du Coronavirus, les conversations des activistes fidèles au mouvement populaire qui a fait tomber l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, sont dominées par la même inquiétude : “la forte présence des islamistes dans les manifestations” par rapport aux premiers mois du mouvement, empreints d’une “diversité idéologique” que les algériens avaient rarement vue depuis le début du pluralisme à la fin des années 1980.

Au début du mouvement, d’anciens dirigeants du parti radical “Front islamique du salut” (FIS) ont été aperçus parmi les manifestants, dénonçant le régime et la corruption de l’ancien président et de ses collaborateurs, dont la plupart sont en prison pour un an et demi. Parmi les islamistes les plus connus reconnus au “Hirak”, figurent Kamal Kamazi et Abdelkader Moughni, deux symboles d’une période très difficile pour l’Algérie, deux souvenirs d’une lutte sanglante entre l’armée et les islamistes dans les années 1990, suite à l’intervention des généraux pour annuler le résultat des élections législatives largement remportées par le “Front islamique du Salut” en 1991. Le défunt président Chadli Bendjedid fut contraint de démissionner au début de l’année 1992.

Ce qui est frappant dans cette “deuxième vague” du mouvement populaire, c’est l’absence des femmes des manifestations après avoir été présentes en grand nombre lors de la première phase. De nombreux militants du mouvement laïc et de gauche ont également disparu. En revanche, la scène a vu arriver de nouveaux éléments composés d’islamistes qui ont pris part aux manifestations des quartiers populaires, connus depuis toujours pour être les bastions des extrémistes. Nombreux, ils se sont dirigés telle une marée humaine vers les lieux des manifestations dans le centre de la capitale, après la prière du vendredi. Dans les médias et les réseaux sociaux, on craint que le mouvement soit devenu “l’otage des islamistes” qui ont été nombreux à reprendre certains slogans hérités de la “décennie noire”, notamment “un État islamique sans élections” et le fameux “ni oriental ni occidental… islamique, islamique!”.

Cette crainte s’est renforcée avec l’entrée d’un nouvel “acteur” dans le mouvement qui est l’organisation “Rachad” proche du “Front islamique du Salut” et dont les dirigeants se trouvent majoritairement en Europe, plus précisément en Grande-Bretagne et en Suisse. Les autorités les accusent “d’infiltrer leurs partisans au sein du mouvement dans le but de ressusciter le projet de l’Etat islamique”. Ce qui renverrait les algériens à l’étape la plus sombre de l’histoire contemporaine de leur pays.

Pendant ce temps, la sécurité nationale tente d’empêcher Ali Belhadj, l’ancien deuxième homme du Front islamique du Salut, de participer aux manifestations, consciente de sa capacité à influencer les foules. Tous les vendredis, des voitures de sécurité sont postées devant sa maison pour le dissuader de toute activité.

Abdel-Karim Zaghlish, un journaliste “Haraki” emprisonné pour ses positions contre le gouvernement a écrit : “Les islamistes ne représentent pas la majorité en Algérie, et ils n’ont jamais été majoritaires. Ceux qui disent aujourd’hui que les islamistes contrôlent le mouvement ne font que diaboliser la contestation pour pousser les manifestants à abandonner.” D’après le journaliste, si les islamistes entrent dans le mouvement et que tous les autres en sortent, le régime algérien serait en mesure de convaincre le monde qu’il s’agit d’un mouvement terroriste et qu’il constitue une menace pour d’autres pays. Connaissant l’aversion du monde envers les islamistes, il obtiendrait facilement la bénédiction internationale pour mettre fin au “Hirak”.

De son côté, le Cheikh Abdellah Djaballah, le chef du parti islamiste radical “Front pour la justice et le développement”, a déclaré que le mouvement “était devenu anarchique et qu’il manquait de cadrage et de vision”.

Il a souligné que le courant islamique était “le grand perdant du mouvement” et que les laïcs en avaient profité. Il a ajouté : “Le régime en a également profité pour se renouveler, et j’ai conseillé aux participants du mouvement d’exceller dans les slogans, au lieu d’avancer comme un troupeau et de se contenter d’applaudir.”

De son côté, l’analyste politique Abdel-Salam Boukoufa affirme que “la force du mouvement réside dans la diversité… et les plus grands bénéficiaires de cette diversité sont les islamistes. Quant à la présence des laïcs parmi les manifestants, c’est dans un premier temps une protection pour eux avant qu’il y ait une concurrence entre eux et les autres idéologies … Mon opinion est qu’il n’est pas possible de réprimer un mouvement composé de tous les courants”.

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