Le Mouvement islamique en Israël à l’approche des élections à la Knesset

À l’approche des élections israéliennes à la Knesset prévues le 23 mars prochain, la branche Sud du Mouvement islamique en Israël a décidé d’enfreindre la norme en vigueur dans la communauté arabe d’Israël. Le mouvement a annoncé par l’intermédiaire de son vice-président Abbas Mansour, son retrait de la Liste arabe unie et sa candidature indépendante aux élections, une décision qui a soulevé de nombreuses inquiétudes concernant le taux de vote dans la communauté arabe.

Une déclaration a indiqué que le Front démocratique pour la paix et l’égalité (Hadash), le Rassemblement National (RN) et le Mouvement arabe pour le changement se présenteraient aux 24e élections à la Knesset dans le cadre de la “Liste unifiée”, malgré la scission du Mouvement islamique du Sud. D’un autre côté, les observateurs ont confirmé que “le retrait du mouvement islamique sudiste de la Liste aura un impact sur le nombre de sièges que les représentants arabes pourraient obtenir à la Knesset lors de la prochaine session”.

La Liste arabe unie avait réussi à s’imposer en force et à atteindre la troisième puissance lors des dernières élections, ce qui lui confère un grand moyen de pression, mais cette fois, le retrait du mouvement islamique profitera au Premier ministre Benjamin Netanyahu.

L’approche des élections israéliennes nous fait revenir en arrière pour retracer l’histoire de l’émergence du mouvement islamique en Israël, ou “Htataah Islamit” en hébreu, le plus grand mouvement du courant islamique dans la sphère palestinienne. Il a été lancé par le cheikh Abdullah Nimer Darwish en 1971, et ses membres étaient composés de musulmans arabes détenant la citoyenneté israélienne. Bien qu’il n’y ait pas de lien directe entre le mouvement et les Frères musulmans, les principes sont presque similaires et l’idéologie quasi identique entre les deux groupes.

Portrait de d’Abdullah Nimer Darwish

Abdullah Nimr Darwish Issa est né en 1948 dans les territoires palestiniens. Il est diplômé de l’Institut religieux de Naplouse et a été le premier palestinien des territoires occupés à étudier la jurisprudence islamique après la “Nakba” de 1948 (l’exode palestinien). Il est le fondateur du Mouvement islamique dans les territoires occupés dont il a été le président jusqu’en 1998. Il a également été le président du Centre pour le dialogue interconfessionnel et interculturel pendant 15 ans. Il est décédé le 14 mai 2017 à l’hôpital Hasharon de Petah Tikva, au nord-est de Tel-Aviv.

Abdullah Nimr Darwish

L’émergence du mouvement islamique en Israël

Le Mouvement islamique en Israël est directement associé au nom du Cheikh Abdullah Nimer Darwish, le “fils de la Nakba”, qui a été témoin des massacres commis par l’armée israélienne dans son village à la veille de l’attaque contre l’Égypte en 1956. Il avait alors 8 ans. Il était activiste au sein du Parti communiste israélien “Rakah” dans sa région, avant de démissionner en 1966 en raison de l’athéisme de ses camarades. Après la guerre de 1967, il a rejoint l’Institut islamique de Naplouse.

Au début des années 1970, plusieurs facteurs ont favorisé la montée des courants islamiques parmi les arabes israéliens, ou “les Arabes de 48” comme on les appelle. Le plus important de ces facteurs a été la guerre de 1967. Après la guerre, les palestiniens ont perdu confiance dans les régimes politiques arabes existants à l’époque, et une reprise de contact directe a eu lieu entre les palestiniens et les religieux érudits de Cisjordanie et de la bande de Gaza. Cela a contribué à un “retour à la religion” favorisant la croissance de mouvements tels que le Frères musulmans, le Parti de la libération islamique et Jihad. Par conséquent, de nombreux jeunes arabes sont allés étudier dans les collèges religieux de Cisjordanie pour donner de l’élan aux mouvements islamiques dans le monde arabe.

Tous ces facteurs ont motivé le Cheikh Darwish, qui est devenu à cette époque prédicateur dans les mosquées. Il s’est alors inspiré des idées véhiculées par les Frères musulmans et certains penseurs tels que Jamal al-Din al-Afghani, Muhammad Abdo et Cheikh Omar al-Tlemçani et s’est mis à distribuer des manuels aux habitants des villages arabes, appelant à un “retour à l’islam”, pour consolider le noyau de ce qui était connu comme le “Mouvement islamique” de la ville de Kafr Qasim. Puis il a étendu ses activités aux villages voisins, tels qu’Al-Tireh, Al-Tayyibah, Jaljuliya, et à d’autres régions comme Nazareth, le Néguev et Umm al- Fahm, ainsi qu’aux villages de Galilée.

Pendant cette période, il s’est contenté de diffuser l’appel et d’inciter les gens à la piété, sans donner à son idéologie la moindre direction politique. Tout au long des années 1970, la marée islamique s’est répandue dans la sphère palestinienne jusqu’à son apogée en 1979. La montée en puissance de Khomeiny en Iran a eu un impact direct sur la création et l’évolution du Mouvement. Ses membres se sont mis à agir dans un périmètre de plus en plus large et sont passés à la méthode de “l’éducation religieuse” pour diffuser leur appel, ce qui a conduit à la formation d’une organisation basée sur le “djihad”, à travers un certain Farid Abu Makh de la ville de Baqa al-Gharbia qui a initié “la famille du Djihad” en 1979, une organisation secrète qui entendait libérer la Palestine.

Farid Abu Makh, le fondateur de “La Famille du Djihad”

L’activité de l’organisation “la famille du Djihad” a duré environ 3 ans. Après avoir mené un grand nombre d’opérations djihadistes, les autorités israéliennes ont réussi à découvrir son existence. Certains de membres ont été arrêtés aux côtés du Cheikh Darwish, condamné à 3 ans d’emprisonnement pour avoir dissimulé cette organisation. Son arrestation a provoqué un grand choc parmi les arabes israéliens, et toutes les activités religieuses dans les villages ont été interrompues. Cependant, les dirigeants du Mouvement islamique de l’époque ont su agir intelligemment en condamnant les opérations lancées par l’organisation secrète. Ils ont même déclaré qu’ils étaient prêts à se présenter aux élections à la Knesset et à renoncer à leur boycott envers la société israélienne officielle, en attendant la libération de Darwish en 1984.

Le Mouvement islamique a connu un essor après la libération de ses détenus qui ont profité de leur expérience pour former une nouvelle ligne politique dans laquelle “l’action armée” n’était plus de rigueur. A la place, ils ont poursuivi leur mission par le biais de la loi israélienne, en tentant de diffuser leur appel et de préserver l’identité palestinienne à travers la création de dizaines d’associations et de groupes islamiques œuvrant pour aider les citoyens. Ainsi, le Mouvement est réapparu sous une nouvelle forme capable d’apporter des solutions à différents niveaux aux localités et municipalités israéliennes.

Le Mouvement islamique et les élections à la Knesset

Au cours de cette période, le Mouvement islamique n’avait pas encore décidé de se présenter aux élections, considérant cela comme une façon de légitimer l’État d’Israël. Cependant, il a participé en 1984 aux élections des conseils locaux et a obtenu une représentation au Conseil “Kafr Qassem” et “Taiba”. Aux élections suivantes en 1989, il a remporté la présidence de 5 autorités locales : “Umm al-Fahm” sous la direction du Cheikh Raed Salah, “Kafr Qasim” sous la direction du Cheikh Ibrahim Sousour, “Jaljuliya” sous la direction du cheikh Tawfiq Khatib, “Rahat” sous la direction du cheikh Jumah al-Qasasi, ainsi que “Kafr Bara”. De plus, il est devenu membre de certains conseils municipaux de Nazareth, Kafr Kanna, Fereidis, Taybeh, Al-Tireh et Qalansaweh.

Avant les élections de 1996, le Mouvement a connu des développements politiques qui ont entrainé une fracture parmi ses membres. Le cheikh Darwish a créé le “courant modéré du mouvement” et s’est allié peu après au Parti démocratique arabe pour se présenter à ses côtés aux 14e élections sur une même liste. De là, le Mouvement s’est divisé en 3 courants puissants, chacun administré par son propre dirigeant.

Les 3 courants du Mouvement islamique

Le premier courant est Dirigé par Abdullah Nimr Darwish. Il a tendance à s’intégrer dans la réalité israélienne et soutient le processus de paix. Il soutient la participation aux élections à la Knesset et entretient des liens étroits avec l’Autorité nationale palestinienne.

Le second courant est dirigé par le cheikh Raed Salah. Il entretient des liens étroits avec les mouvements islamiques de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.Il refuse de participer aux élections mais autorise ses membres à voter en guise de compromis et a de bonnes relations avec les autorités israéliennes.

Le troisième courant est dirigé par le cheikh Kamal Al-Khatib. Il tient des positions publiques radicales contre la participation aux élections israéliennes.

Le deuxième et le troisième courant se sont rejoints sous le nom de “branche Nord”, tandis que le premier a adopté le nom de “branche Sud” du mouvement.

Raed Salah, chef de la branche Nord du Mouvement islamique

Les initiatives israéliennes contre la branche Nord

Les autorités israéliennes ont pris plusieurs mesures contre la branche Nord du mouvement islamique dirigée par le Cheikh Raed Salah depuis le 4 septembre 1999. Lorsque deux explosions se sont produites à Tibériade et à Haïfa, la police israélienne a accusé la branche Nord et le Service de sécurité intérieure israélien, connu sous le nom de Shin Beth, a fait les recommandations suivantes :

  • Interdiction de prêcher vendredi dans les mosquées pour les hommes du Hamas ou leurs proches associés en Israël.
  • Interdiction pour Raed Salah et son adjoint Kamal Al-Khatib d’entrer à Gaza ou en Cisjordanie.
  • Investigations sur les sources financières du Mouvement.
  • Interdiction d’organiser des festivals et des grands rassemblements pour la branche Nord.
  • Fermeture du journal “Sawt al haq w’al huriya” (la voix de la vérité et de la liberté), qui est le porte-parole de la branche Nord.
  • Fermeture des établissements d’enseignement de la branche.

En novembre 2017, les autorités israéliennes ont annoncé dans un communiqué l’interdiction de la branche Nord du mouvement, accusée d’avoir provoqué les violences qui avaient commencé en octobre de la même année autour de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem-Est. Elles ont perquisitionné les bureaux du Mouvement et de 17 organisations affiliées et confisqué leur argent, leurs documents et leurs ordinateurs.

Le retrait de la branche Sud de la Liste arabe unie

À propos du retrait du Mouvement islamique Sud de la Liste arabe unie, le Dr Naima Abu Mustafa, spécialiste des affaires israéliennes, a fait une déclaration au journal “That Egypt” dans laquelle elle estime que “la raison principale est la loyauté de certains membres du Mouvement envers les hommes d’affaires israéliens, comme Ayman Odeh, membre de la Knesset et chef du Front démocratique.”

L’experte palestinienne a ajouté lors d’un entretien téléphonique à “That Egypt”, qu’il y avait sur la liste “une gauche palestinienne fidèle à sa cause, même si elle sert la cause palestinienne de loin, et qui voit cela comme une trahison de la patrie et de la cause palestinienne”. Elle indique que “Mansour Abbas, le vice-président du Mouvement, a refusé de soutenir la Liste unie sur certaines questions liées aux arabes israéliens, comme la violence exercée contre les communautés arabes que l’État d’Israël cherche à encourager et à développer”.

Elle précise que les accusations fusent des deux côtés, car certains membres de la Liste unie estiment que “Mansour ne condamne pas la colonisation de façon claire et explicite et défend de manière indirecte l’Etat israélien, et ils constatent que de nombreux membres de la Liste font l’objet d’abus et de violence en raison de leurs déclarations et de leur défense de la cause palestinienne alors que Mansour n’y est pas exposé”.

Related articles

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here