Les Ouighours ne sont plus en sécurité en Turquie

Après 20 ans passés dans les prisons chinoises, Abdullah Abdul Rahman a rejoint les 50 000 Ouïghours qui ont fui en Turquie. Mais ce pays étant de plus en plus dépendant des investissements chinois et de ses vaccins anti-Covid, ce quarantenaire craint de devoir retourner dans une région où la Chine retient au moins un million de personnes dans des camps “d’éducation politique”.

L’anxiété d’Abdul-Rahman s’est aggravée après que le parlement chinois a finalement approuvé un accord d’extradition avec la Turquie, selon ce qui a été rapporté par l’Agence France-Presse.

Les législateurs turcs n’ont pas encore discuté les termes de la coopération mais les Ouïghours sont angoissés par l’escalade des raids de la police turque dans leurs maisons, obligeant certains à refaire leurs bagages pour chercher refuge en Europe. “Nous ne sommes plus en sécurité ici”, a affirmé Abdul Rahman qui a pris part aux manifestations de ces deux derniers mois devant le consulat chinois à Istanbul. “Si la Turquie me renvoie, les Chinois ne me laisseront pas en vie”, a-t-il déclaré. “Nous avons peur d’être expulsés.”

Abdul Rahman a été emprisonné en Chine dans les années 1990 pour avoir participé à des manifestations anti-Pékin. Il est arrivé en Turquie en 2014 après un voyage de plusieurs mois au cours duquel il est passé par le Vietnam, le Cambodge, la Thaïlande et la Malaisie. Une fois à Istanbul, il avait réussi à trouver la paix parmi les communautés ouïghoures dont la vie en Turquie est facilitée par le partage de la langue turque et une certaine familiarité avec les coutumes grâce à d’anciens liens culturels.

Mais à partir de 2018, sa vie a été bouleversée par une vague d’interrogatoires sur ses liens présumés avec des militants de l’Etat islamique, les mêmes liens extrémistes dont il était accusé en Chine. Il a passé un an dans un centre de déportation dans le gouvernorat d’Aydin (ouest) puis 40 jours à Mugla, dans le sud-ouest du pays.

Malgré son acquittement au tribunal, Abd al-Rahman s’est vu refuser le permis de séjour dont il avait besoin pour se rendre à l’hôpital, utiliser les transports en commun ou ouvrir un compte bancaire. Il a déclaré : “Beaucoup de gens comme moi sont privés de papiers à cause de la pression de la Chine”. Il a ajouté : “Nous avons fui la Chine et avons placé tous nos espoirs en Turquie. Si la Turquie nous renvoie, personne ne sera de notre côté à part Dieu.”

Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a tenté d’apaiser les craintes liées aux expulsions imminentes en affirmant que la ratification du traité d’extradition à Ankara ne signifie pas que “la Turquie extradera les Ouïghours vers la Chine”.

Mais des rapports accusent la Turquie de renvoyer secrètement les Ouïghours en Chine à travers d’autres pays dont le Tadjikistan, l’ancien État soviétique.

En 2009, Erdogan avait condamné les agissements de la Chine envers les Ouighours, l’accusant de “génocide”. Pourtant, il n’a pas fait beaucoup de déclarations récemment sur le sort de la communauté persécutée. Son silence est devenu éloquent devant la révolte occidentale contre les viols de masse, la torture et la stérilisation des femmes dans les camps chinois.

La Chine qui a initialement nié existence de ces camps, affirme maintenant qu’ils sont des centres de formation professionnelle visant à réduire l’attrait de l’extrémisme islamiste.

Selon le défenseur des droits des Ouïghours, Seet Tomturk, “la Chine tente de tirer parti de la diplomatie des vaccins et exploite les relations tendues entre la Turquie et l’Occident afin de consolider son influence”.

Tomtork qui est le président de “l’Assemblée nationale du Turkestan oriental”, une organisation qui défend les droits des Ouighours, soutient que “la Chine utilise la carte du vaccin pour faire taire les Ouïghours en Turquie”. Tomturk a noté que l’exode massif des Ouïghours de Turquie a commencé. “Jusqu’à 3 000 Ouïghours ont fui vers l’Europe au cours des deux dernières années”, a-t-il déclaré. “Les relations de haut niveau entre la Turquie et la Chine ont exercé une pression énorme sur les Ouïghours en Turquie.”

Opole Tivikul, un agent immobilier dans le quartier de Sivakoy à Istanbul où de nombreux Ouïghours se sont installés, a déclaré avoir l’impression que sa communauté était en train de devenir un “pion sur l’échiquier politique”.

La Turquie s’appuie presque exclusivement sur la société chinoise Sinovac dans ses efforts de vaccination contre le Coronavirus. Elle a acheté des dizaines de millions de doses et possède un accord de change avec Pékin, qui soutient la Banque centrale d’Ankara qui se trouve sous pression. L’homme de 47 ans a ajouté: “Ces accords commerciaux et politiques (sur les vaccins et l’extradition) avec la Chine sont décevants.” Semsenor Ghafour, un homme interrogé de 48 ans, est du même avis. Il exhorte Erdogan à “élever la voix et à soutenir à nouveau ses frères musulmans”. “Nous nous attendons à ce que le dirigeant turc qui défend les droits des musulmans (se prononce contre) la Chine”, a déclaré Ghafour.

Related articles

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here