Les “Filles de la Nation”, une organisation terroriste 100% féminine

Il y a environ 4 décennies, des dizaines de filles et de femmes se sont rassemblées en burqas et niqabs dans les rues du Cachemire et sur ses marchés, pour arracher des affiches de films indiens et américains soutenant qu’ils “incitent à la pornographie”. Plus tard, ce groupe a commencé s’en prendre aux salons de beauté et aux cafés, les accusant d’êtres “des repaires de prostitution et de drogue” et les obligeant à fermer.

En peu de temps, ces femmes sont apparues de nombreuses fois dans les rues de la région pour annoncer la naissance de l’organisation féministe “Banat al Ouma” (Les filles de la Nation), pour laquelle elles ont choisi Asiya Andrabi comme dirigeante.

Depuis la naissance de cette organisation, les “Filles de la Nation” ont connu des hauts et des bas. Elles ont été inscrites sur la liste du terrorisme indien, leur argent a été confisqué, et leur chef Asya Andrabi a été arrêtée à plusieurs reprises, la dernière fois en 2018. Elle est encore emprisonnée à ce jour.

Les “Filles de la Nation”, de la burqa au djihad armé

Les années 1980 ont vu naître un groupe différent de tous les groupes djihadistes actifs dans le sous-continent indien. En 1981, Asya a commencé à inviter les femmes de sa famille et de son entourage à porter le niqab et la burqa. Plus tard, la jeune fille du Cachemire a créé une école pour enseigner le Coran. Dans ses premières années, le nombre d’élèves a atteint plus de 400 filles, selon une interview donnée par Andrabi en 1992.

Selon les informations disponibles, Asya Andrabi, 60 ans, aurait des origines saoudiennes. Sa famille à Srinagar obéissait à une conduite religieuse conservatrice mais a joué un grand rôle dans son éducation. Elle a obtenu un baccalauréat en biochimie, puis a poursuivi des études islamiques et a obtenu une maîtrise en langue arabe à l’Université du Cachemire. Elle était également active dans les domaines de la défense des droits et des affaires sociales. Puis elle a épousé Asheq Hussain Faktu, le leader du “groupe des moudjahidines” du Cachemire, qui purge une peine d’emprisonnement à perpétuité dans les prisons indiennes.

Asya Andrabi

Livres fondateurs

Asy a raconte qu’elle a commencé ses activités sous l’influence de trois livres qui lui ont toujours servi de référence, “Conversations on the Hearts of Women” de Maber al-Qadri (un auteur islamiste fondamentaliste), “Pensées profondes des femmes musulmanes”, et enfin, l’interprétation du Coran par Abu al-A’la al-Mawdudi. Son esprit a également été influencé plus tard par son mariage avec le chef du “groupe des moudjahidines”.

La femme du Cachemire a commencé à appliquer dans la réalité les théories contenues dans ces livres , jusqu’à lancer officiellement en 1987 “Les Filles de la nation” comme plate-forme féministe pour imposer son idéologie. C’est la que les femmes ont commencé à agir dans les rues, invitant les autres femmes à abandonner les activités artistiques, repeignant les affiches de films en noir et appelant les groupes armés à les aider dans leur “djihad”.

En 1989, Asya a donné un nouvel élan à son organisation lorsqu’elle a lancé une série de campagnes contre l’alcool et le jeu, tandis que son organisation protestait contre les pratiques militaires indiennes dans la région. En 1992, elle a mis en garde les femmes cachemiriennes contre leur refus de porter la burqa, et a menacé de déformer le visage des non-pratiquantes.

A cette période, deux femmes ayant refusé de porter la burqa ont été assassinées. Les services de sécurité indiens ont imputé le double meurtre à l’organisation féminine.

Au début des années 1990, la popularité des “Filles de la Nation” a commencé à décliner puis à s’effondrer peu à peu après l’arrestation de leur chef qui a entamé une longue peine de prison, plus de 15 ans au total entre les années 2001, 2005, 2008, 2018. Mais chaque fois qu’elle était libérée, Asya rassemblait ses adeptes autour d’elle et reprenait ses activités. Entre deux séjours en prison, elle a réussi à mettre au point de nombreuses initiatives, dont sa campagne contre le harcèlement sexuel en 2006, après que les forces paramilitaires et de police ont été accusées d’exploiter les femmes, et les manifestations de 2008 suite au meurtre de deux enfants mineurs à Srinagar, ainsi que d’autres manifestations en 2010 .

Un esprit féminin dans un corps révolutionnaire

L’organisation de Asya n’est pas le premier mouvement féminin à avoir tenté de voir le jour au sein des organisations islamiques politiques et de leurs diverses branches. Cependant, “Les Filles de la Nation” reposaient sur un modèle différent, une organisation indépendante avec une structure hiérarchique composée uniquement de femmes.

L’organisation a tenu à distinguer son image des mouvements islamiques existants, et a déclaré son cadre intellectuel général comme une “organisation féministe révolutionnaire et réformiste”. Pourtant, les services de sécurité indiens ont accusé les “Filles de la Nation” d’extrémisme, avec une tendance à imposer une tutelle religieuse et morale aux femmes, comme le font les organisations islamiques à majorité masculine.

Sur le plan social, l’organisation s’efforce de contrôler et de monopoliser l’éducation religieuse des filles, en particulier dans les écoles coraniques pour les plus jeunes. Elle exige également que les filles épousent les combattants des organisations armées au Cachemire et apporte une aide financière pour faciliter le mariage aux plus pauvres. Elle fournit également une aide financière aux familles des personnes tuées par les forces armées de la région, qu’elle qualifie de “martyrs”.

Malgré sa persistance à affirmer vouloir changer la réalité sociale sans être directement impliquée dans le port d’armes et les opérations militaires, la propagande djihadiste de l’organisation des “Filles de la Nation” contre le gouvernement indien est identique celle des huit organisations armées les plus actives du Cachemire. Ces organisations qualifient l’Inde de “terre occupée” et appellent le Cachemire à rejoindre le Pakistan. Les “Filles de la Nation” ont reconnu dans les médias apporter leur soutien aux groupes armés , ce qui fait de l’organisation un médiateur efficace pour encourager l’adhésion aux différentes branches.

Réseau extérieur

Grâce à sa souplesse et à sa popularité, Asya Andrabi a réussi à forger des alliances et à conclure des accords avec plusieurs organisations djihadistes et partis étrangers. D’ailleurs, dans les années 90, les autorités indiennes l’ont arrêtée et emprisonnée pendant des années pour ses relations avec l’agence pakistanaise du renseignement, son militantisme acharné pour la séparation du Cachemire et son adhésion au Pakistan, et sa participation à de nombreuses célébrations du jour de l’indépendance du Pakistan.

Asya a également admis avoir cherché à se rapprocher du Groupe islamique indien (affilié aux Frères musulmans), par l’intermédiaire du père de l’un de ses amis, mais lorsqu’elle avait constaté la contradiction entre leurs paroles et leurs actions, elle a pris un autre chemin.

Les autorités indiennes affirment que Asya a profité de son mariage avec le porte-parole officiel du Groupe des moudjahidines du Cachemire pour tisser des liens avec le Groupe, le soutenir et recruter pour son compte. A ce propos, la femme a soulevé la controverse en 2015 à cause de ses relations suspectes avec Hafiz Saeed, le chef et l’un des fondateurs du groupe “Lashkar Taiba”, impliqué dans les attentats de Bombay.

Asya a également été accusée en décembre 2015 d’être impliquée dans le recrutement de jeunes hommes pour rejoindre l’État islamique (EI), après que trois jeunes suspects ont avoué à la police d’Hyderabad qu’elle les avaient aidés à rejoindre l’organisation. De son côté, la femme a nié les faits, expliquant qu’elle se battait pour libérer le Cachemire et ne se souciait pas de Daech.

Arrestation de Asya Andrabi

Arrestation préventive

En juillet 2018, un autre coup dur est venu saper le leadership de l’organisation féminine. Le gouvernement indien qui s’est engagé dans une série de mesures visant à restreindre les activités des groupes armés et des fondamentalistes dans la région, a inscrit “Les Filles de la Nation” sur les listes noires du terrorisme.

L’Agence nationale indienne du renseignement a arrêté Asya Andrabi et ses collègues dirigeantes du mouvement, Fahmida Sufi et Nahda Nasreen. Leur argent a été confisqué ainsi que d’autres biens appartenant à l’organisation. Elles ont été transférés de Srinagar à New Delhi pour être interrogées. Elles ont été accusées de pratiquer des activités séparatistes, d’attiser une guerre contre l’Inde, d’utiliser des plateformes médiatiques pour diffuser des appels à la rébellion et des discours de haine, ainsi que d’entretenir des liens avec les organisations armées.

Cette arrestation a été ordonnée par le gouvernement indien par mesure de sécurité avant d’annoncer sa décision de révoquer l’autonomie du Cachemire, une décision qui a été approuvée en 2019.

En 2019, l’Agence nationale du renseignement a rapporté les résultats de l’interrogatoire de Asya, dans lequel elle a avoué avoir collecté des fonds de sources étrangères qui ont aidé à organiser les activités de son organisation. Elle a admis en même temps avoir financé l’éducation de son fils en Malaisie avec l’argent qu’elle avait reçu.

Le Pakistan est intervenu auprès des Nations Unis pour épargner à la chef des “Filles de la Nation” un procès qui la conduira probablement à la réclusion à vie.

Un avenir incertain

Alors que les autorités indiennes détiennent toujours les dirigeantes des «Filles de la Nation», des rapports occidentaux ont mis en garde contre les dangers de la poursuite de leurs activités, soulignant que leur rhétorique allait à l’encontre des efforts visant à autonomiser les femmes cachemiriennes.

L’organisation fait face aujourd’hui à une menace existentielle en raison de son association avec la personnalité de sa fondatrice Asya Andrabi, et de la campagne de répression menée par les autorités indiennes contre les groupes religieux, en particulier les groupes armés, à l’intérieur du Cachemire.

Les experts s’attendent à ce que le jugement de Asya et de ses codétenues affecte l’avenir de l’organisation, qui semble avoir 3 issues possibles pour l’avenir:

La condamnation à perpétuité de la dirigeante et la poursuite de la chasse contre les personnes impliquées dans l’organisation au Cachemire, peuvent conduire à sa désintégration et à sa fin.

L’organisation peut fusionner avec l’un des groupes armés de la région, une option aux conséquences désastreuses, car elle confirmerait les accusations de terrorisme contre elle et augmenterait la pression exercée sur elle par les autorités indiennes.

Ou alors, elle peut réussir à s’adapter aux changements et profiter de ses bases populaires actuelles pour survivre, tout en continuant à militer pour l’indépendance du Cachemire.

Related articles

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here