Témoignage d’un écrivain égyptien: “Comment j’ai été recruté par les Frères musulmans”

J’ai grandi dans une famille de la classe moyenne, issu d’un père fonctionnaire et d’une mère au foyer. Ma famille aimait toutes sortes d’arts. J’aimais beaucoup la musique. J’étais l’aîné de mes frères. Nous étions quatre, deux garçons et deux filles.

J’ai été très influencé par l’éducation de ma mère, en particulier sur le plan moral, car elle tenait beaucoup à m’écarter de la mauvaise influence de mes camarades de classe et de mes compagnons de rue, avec qui je jouais près de notre maison. Mon maitre d’école a un jour appelé ma mère pour lui demander la raison de mon isolement et de ma personnalité très introvertie.

Les premières années du règne du président défunt Hosni Moubarak ont ​​été témoins d’une grande activité de la Confrérie des Frères musulmans dans toute l’Égypte. A cette époque, je passais le plus clair de mon temps à étudier au lycée et à prier à la mosquée, et ce rythme s’est poursuivi jusqu’à mon entrée à l’université d’agriculture en 1983.

J’avais l’habitude de prier dans la mosquée du quartier dans laquelle je vis. Entre les deux dernières prières de la journée, j’avais pour habitude de demeurer près de la mosquée avec mes amis à discuter. Certains d’entre eux portaient de longues barbes et des robes courtes, et dans leurs conversations est apparu ce qu’ils appelaient “un fort engagement”. Habituellement, la conversation tournait autour de l’adhésion à la Sunna du Prophète, comme la nécessité de se faire pousser la barbe, d’utiliser des cure-dents, et bien d’autres choses qui ne m’intéressaient pas.
C’est à cette période que j’ai rencontré un des pionniers de la mosquée. Il avait environ 6 ans de plus que moi, et était diplômé de la faculté d’agriculture. Sa maison était située juste à côté de la mosquée. Il avait un caractère très doux et était très gentil avec moi. J’ai remarqué qu’il n’était pas barbu, et son apparence n’était pas très différente de celle des gens ordinaires. Il me parlait beaucoup de mes études à l’université d’agriculture, de notre équipe de football du club Al-Ahly, et de son amour pour l’art et le chant. Il a su se rapprocher de moi malgré ma nature introvertie et le peu de fréquentations que j’avais.

Ce rapprochement n’a pas plu à certains barbus de notre quartier qui m’avaient conseillé de ne pas l’approcher car il était membre de la Confrérie des Frères musulmans. Ils m’ont également mis en garde contre ses tentatives pour m’attirer dans la Confrérie, dont je ne réalisais pas encore l’existence.

Désireux de me voir m’éloigner de cet homme – il s’appelait Ahmed – l’un des membres du groupe, nommé Sheikh Essam, m’a invité chez lui pour m’expliquer les différences religieuses et idéologiques entre les salafistes et la Confrérie. Il a tenté de me convaincre de la justesse de l’approche salafiste et de son engagement envers le Livre de Dieu et la Sunna de Son prophète, y compris dans ce qui relève de l’apparence physique et du caractère en général.

Issam m’a expliqué que les Frères musulmans n’étaient pas engagés religieusement, qu’ils étaient très laxistes dans l’application de la Sunna du prophète, qu’ils priaient dans des mosquées qui contiennent des tombes, ce qui est assimilé au polythéisme selon lui, et qu’ils s’occupaient trop de la politique au détriment de la religion. Sur ce, il m’a remis un livre intitulé “Nettoyer les cieux des embryons des croyances”, écrit par l’Imam al-Shawkani.

J’ai lu le livre d’al-Shawkani, mais je l’ai trouvé difficile à lire et compliqué à comprendre. Entre temps, Ahmed a appris ma visite au domicile du cheikh Issam. Cela l’avait contrarié sans toutefois l’énerver, justifiant son agacement par le fait que le seul souci des salafistes était d’éloigner les gens de la Confrérie. Il m’a dit que les salafistes ne se préoccupaient que des apparences et se moquaient de la “Vérité”. J’ai trouvé dans son discours beaucoup de logique et de rationalité en comparaison au discours du cheikh Essam le salafiste.

L’intérêt d’Ahmed pour moi a augmenté. Il passait régulièrement chez moi pour me demander de l’accompagner faire certaines de ses courses. Je n’ai pas prêté beaucoup d’attention à cette comparaison théologique entre les salafistes et les Frères musulmans, mais l’extrémisme des salafistes et leur apparence m’étaient rédhibitoires. En même temps, Ahmed ne se souciait que de renforcer son amitié avec moi.

Ahmed, du moins en apparence, tenait à distinguer son affiliation à la Confrérie de notre amitié. L’homme était en fait, plus intelligent dans son genre que le Cheikh Essam et son groupe de salafistes du quartier, qui ont brillamment réussi à me faire fuir.

Ahmed ne me parlait pas beaucoup de la Confrérie et de ses idées. Sa mission, que j’ai découverte par la suite, était de m’introduire en douceur et avec simplicité dans son monde, sans susciter la moindre inquiétude ou méfiance de ma part. Mon ami a su voir en moi le profil d’une personne facile à recruter. Il n’a pas tardé à m’inviter chez lui pour une session coranique, un jeudi après la prière du soir. J’y suis allé à l’heure convenue, et j’ai trouvé des amis et des voisins présents à cette session partagée entre la lecture et l’interprétation du Coran, et la lecture des hadiths du Prophète compilés dans les livres “Les Quarante al-Nawawiya” et “Riyadh al-Saleheen”. J’ai ensuite acheté ces deux livres, et un troisième intitulé “Jami` al-Uloom wa al-Hukm”.

J’ai continué à assister à cette réunion hebdomadaire. Quand Ahmed a remarqué mon intérêt et mon assiduité à ses réunions, il m’a demandé d’inviter mes proches camarades de l’université à assister à ce rendez-vous. J’ai pu convaincre certains. Dix d’entre eux qui étaient dans la même classe que moi ont répondu présents. Parmi eux, au moins 7 ont poursuivi. Ahmed nous a informés que notre lieu de rencontre allait changer et que nous devions désormais nous retrouver dans une mosquée relativement loin de chez nous. J’ai remarqué que les seuls qui ont été informés de ce changement étaient mes camarades de l’université. Ahmed nous a “livrés” à un autre homme, plus âgé que nous d’une dizaine d’années. C’est lui qui nous a donné le nom de “Groupe d’agriculture”. Il y avait également avec nous le groupe “université d’éducation” et le groupe “école de commerce”.

Ahmed a assisté avec nous au premier rendez-vous puis a cessé de venir. J’ai été très étonné de cette absence à laquelle je n’étais pas habitué. Petit à petit, j’ai commencé à comprendre que Ahmed n’essayait pas de tisser une amitié avec moi comme je l’ai d’abord cru, mais j’étais plutôt un moyen pour lui de pêcher de nouveaux poissons. Je me suis senti triste et blessé par son comportement mais je me suis retrouvé dans une nouvelle activité avec de nouveaux camarades se disant “frères”. Aucun d’entre eux n’était jamais évoqué sans le mot “frère”. C’est comme ça que je suis devenu “frère Tariq”.

Jamal est devenu notre nouveau “responsable”. Sa personnalité était très différente de celle de Ahmed. Jamal entretenait autour de sa personne une aura de mystère destinée à éveiller notre intérêt pour lui. Il nous critiquait énormément, frisant la moquerie et le sarcasme. Il nous faisait sentir que nous étions négligents dans notre quête de l’islam et tentait de nous leurrer en nous faisant croire qu’il savait tout, malgré ses échecs à répétition à l’université d’Ingénierie, où il est resté 16 ans. “Les frères” m’ont expliqué par la suite que c’est son intérêt pour la Confrérie qui l’avait distrait et détourné de ses études.

Jamal a planté en moi la plupart des idées de la Confrérie à travers ses conversations avec nous durant les sessions de la mosquée et à l’extérieur. Nous allions chez lui et nous asseyions dans la “sawmaâ”, une pièce sur le toit dotée de chaises, d’un lit, d’une bibliothèque et le nécessaire pour faire le thé. Notre soirée habituelle avait lieu le vendredi soir. Jamal a peu à peu insinué dans mon esprit des convictions qui m’étaient étrangères, comme l’étrangeté de l’islam des temps modernes, l’hostilité du monde entier à l’égard de l’Islam, en particulier des gouvernements occidentaux et chrétiens, la persécution qu’exerçaient les dirigeants envers les prédicateurs, la police et l’armée composées de soldats de Pharaon, la vie non islamique que nous menions. Il disait que je devais me fabriquer une véritable alternative à cette vie, une alternative islamique, seul ou avec mes frères, jusqu’à ce que l’islam et le Coran reprennent un jour le pouvoir, et que je devais constamment tenir dans ma main une règle islamique (virtuelle) avec laquelle je devais juger tout le monde autour de moi, mes professeurs, les politiciens, les intellectuels, les dirigeants, les écrivains, les artistes, etc. Avant de me faire une opinion sur quelqu’un, je devais d’abord le poser sur cette règle pour mesurer son rapprochement ou son éloignement de l’islam et de ses prédicateurs.

Après une période relativement longue au sein du groupe, “al-Bashmohandis Jamal”, comme on l’appelait, m’a prêté un livre très important, intitulé “Que signifie mon appartenance à l’islam?”, de l’écrivain et Frère musulman libanais Fathi Yakan. Ce livre soutenait toutes les idées que Jamal avait insinuées en nous. Après l’avoir lu, la plus grande métamorphose s’est opérée en moi. Ce livre a été un point central dans mon engagement à faire partie du plus grand groupe de l’islam politique, les “Frères musulmans”

Témoignage de Tariq al-Bachbichi, traduit de l’arabe.

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