Rami G. Khouri : “L’administration Biden pourrait faire la différence au Moyen-Orient”

Selon Rami G. Khouri, directeur du “Global engagment” à l’université américaine de Beyrouth, l’administration Biden pourrait faire la différence au Moyen-Orient… Mais seulement si elle respecte quatre principes dans l’élaboration de sa politique étrangère à l’égard de la région.

Les vannes des conseils non sollicités en terme de politique étrangère sont désormais grandes ouvertes pour l’administration Biden. Certaines personnes sensées présentent des suggestions utiles. Cependant, la plupart des conseils proviennent d’anciens responsables du gouvernement américain ayant pris part à la création du bourbier qu’ils proposent maintenant de résoudre de manière audacieuse. Leurs prescriptions politiques reflètent souvent un grave défaut de compréhension des questions internationales, donnant la priorité aux intérêts des lobbies nationaux et étrangers et restreignant les possibilités pour les États-Unis d’adopter une diplomatie efficace.

Rami Khouri préfère rester en dehors du jeu des conseils politiques et se contenter de mettre en évidence quelques principes qui pourraient s’avérer utiles pour renforcer la politique étrangère de toute grande puissance de façon durable. Cela s’applique principalement aux gouvernements dont les politiques agressives au Moyen-Orient, faites de militarisme, de menaces et de sanctions, se sont avérées contre-productives et dangereuses.

Gardant à l’esprit l’histoire de la domination des puissances coloniales américaines et européennes sur la région, il suggère quatre principes qui permettraient à la politique étrangère américaine de faire la différence et de résoudre certaines des crises auxquelles la région est confrontée.

La règle du droit international

La politique étrangère à l’égard de la région doit respecter l’état de droit international. Les puissances étrangères créent leurs propres règles selon la manière dont elles agissent dans la région. Elles ont tendance à ignorer le droit et les normes internationales quand cela leur convient parce qu’elles estiment que le pouvoir prime sur les règles et qu’elles ont plus de pouvoir que les États du Moyen-Orient.

Cela s’applique aux assauts militaires, comme les guerres en Irak, au Yémen, en Libye et en Syrie. C’est également valable lorsque des principes tels que la liberté d’expression, les droits individuels, la non-prolifération nucléaire, la justice internationale et le droit à la lutte anticoloniale doivent être respectés. Aujourd’hui, par exemple, le monde entier suit de près les procédures de la Cour pénale internationale concernant les allégations de crimes de guerre en Israël et en Palestine pour voir si les normes juridiques internationales et les mécanismes de responsabilité sont appliqués de la même manière aux Arabes et aux Israéliens.

La violation arbitraire des lois et règles internationales par les puissances étrangères a créé un trop grand nombre de crises dont souffre actuellement le Moyen-Orient. Pour les alléger, l’état de droit international doit être respecté.

Égalité des droits pour les Arabes et les Israéliens

Au cours du siècle dernier, en terme de politique étrangère occidentale dans la région, les droits israéliens ont pris le dessus sur les droits palestiniens. La duplicité criminelle, la tromperie et le colonialisme égoïste de la Grande-Bretagne de 1915-1948 ont préparé le terrain pour un siècle cruel ou les puissances occidentales acceptent systématiquement les requêtes israéliennes aux dépens des droits palestiniens. Cela a permis au projet israélien d’asseoir un contrôle total sur la Palestine, malgré le fait qu’au début du siècle, les palestiniens possédaient et occupaient 93% des terres.

Si ce principe continue de façonner la politique américaine et d’autres politiques étrangères dans la région, nous ne pouvons que nous attendre à un ressentiment populaire continu et à une résistance contre les puissances étrangères et les dirigeants arabes complices.

Il est temps que l’Occident comprenne qu’il n’est pas nécessaire de poursuivre cette politique biaisée car les pays arabes ont tous clairement et à plusieurs reprises exprimé leur volonté de coexister dans la paix et l’égalité avec un Israël à majorité juive. La porte vers un accord de paix permanent est ouverte, si seulement toutes les parties considéraient les arabes et les israéliens comme égaux.

Tendre une main, pas une carotte

Le militarisme, les sanctions et les menaces sont devenus les instruments systématiques de l’élaboration des politiques à l’égard du Moyen-Orient, tandis que le dialogue, la diplomatie et le compromis sont souvent restés en veilleuse. En raison de son énorme puissance militaire, Washington a tendance à se servir du militarisme comme instrument politique principal.

Mais les pertes humaines élevées et les échecs militaires des guerres en Afghanistan, en Irak, en Syrie, au Yémen, en Libye et en Somalie, ainsi que la “guerre mondiale contre le terrorisme”, ont démontré à quel point la force brute peut être inefficace pour résoudre les conflits. Les assauts, menaces et sanctions militaires ont semé le chaos et l’instabilité dans la région et ont aggravé et prolongé ses innombrables crises.

En revanche, les négociations fructueuses qui ont abouti à l’accord sur le nucléaire iranien sous l’administration Obama nous rappellent à quel point une diplomatie sérieuse et un respect mutuel peuvent être efficaces pour résoudre les différends et apaiser les tensions régionales.

Les droits et les besoins des citoyens

Pendant trop longtemps, la politique étrangère occidentale à l’égard de la région a ignoré les droits, les besoins et les sentiments des citoyens ordinaires du Moyen-Orient. Au lieu de cela, elle a uniquement engagé les élites, les enrichissant et servant leurs intérêts clientélistes étroits.

Si les citoyens arabes sont traités comme des personnes invisibles qui n’ont ni voix ni légitimité, il ne devrait pas être surprenant que ces mêmes centaines de millions d’hommes et de femmes soutiennent et participent aux soulèvements dans la région pour expulser leurs élites dirigeantes.

Les événements des deux dernières décennies confirment que la majorité des citoyens qui s’appauvrissent davantage, devenant plus vulnérables, marginalisés et impuissants, se retournent finalement contre leurs dirigeants qui sont responsables de leur sort. La rupture entre les citoyens et la plupart des gouvernements arabes est un phénomène récent, post-1980, et le fossé ne cesse de se creuser.

Cela a effrayé certains dirigeants arabes qui tendent désormais une main pacifique vers Israël, espérant obtenir la protection et le soutien américains. Les puissances étrangères qui traitent avec des dirigeants arabes corrompus et inefficaces et promeuvent la normalisation des relations israélo-arabes avant que les Palestiniens ne garantissent leurs droits nuisent au bien-être et piétinent la dignité de centaines de millions de citoyens arabes. C’est une recette sûre vers le désastre.

Si l’administration Biden veut laisser une empreinte positive dans l’histoire de cette région, elle devrait tirer les leçons des échecs passés et refonder la politique étrangère américaine pour affirmer le droit, la diplomatie, le respect et l’égalité. Ces principes définissent les fondements de la vie et de la démocratie américaines. Ils devraient également façonner sa politique étrangère envers le Moyen-Orient et le reste du monde.

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