Retour de Daech au Liban à l’ombre des crises politiques et sociales

Daech… ce simple mot suffit à évoquer des mécanismes complexes, à justifier des activités impensables et à nous rappeler l’incapacité des autorités à traiter la tragédie dont elles sont responsables, comme c’est le cas au Liban.

Le retour à la vie de l’organisation s’est matérialisé à travers les récents attentats à la bombe sur la place Tayaran à Bagdad, et l’annonce par les autorités sur place de la mort de Yasser Al-Issawi, l’adjoint au calife dans la capitale. La reprise des attaques dans le désert syrien de Deir Ezzor est un autre élément qui en incite beaucoup à parier sur le retour de l’Etat islamique sur la scène, trois ans après l’annonce de son élimination et la destruction de sa capitale, Raqqa, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Le retour de l’EI en Irak et en Syrie s’explique par plusieurs facteurs, notamment par les processus stagnants des politiques de ces pays qui n’ont enregistré aucun progrès notable ces dernières années. L’organisation telle qu’on l’a connue tout au long de son histoire, n’hésite pas à servir de passerelle à tous ceux qui souhaitent atteindre un objectif quel qu’il soit : servir le régime iranien qui s’apprête à reprendre les négociations avec Washington et se montrer comme la force stable d’une région hors de contrôle, exprimer la détresse sunnite causée par l’emprise des milices chiites en Irak, faire pression sur les “Forces démocratiques syriennes” dans le nord-est de la Syrie… autant de raisons valables ou non pour expliquer à ce stade le regain d’énergie de l’organisation criminelle.

Mais pourquoi, comme dans les situations susmentionnées, l’Etat islamique ne serait-il pas convié sur la scène libanaise pour fournir ses services à tous ceux qui les demandent? La présence physique, si l’on peut dire, de l’organisation au Liban, est une question à laquelle il est compliqué de répondre vu la multiplicité des parties à qui profite la menace de l’EI et qui s’appuient sur les antécédents irakiens et syriens pour la maintenir.

Il est également difficile de comparer le contexte dans lequel l’Etat islamique est apparu pour la première fois au Liban avec celui de la guerre en Syrie. Cependant, le retour théâtral de Daech sur la scène libanaise s’est produit après les manifestations et les troubles de Tripoli, la capitale et la ville la plus pauvre du nord du Liban. L’Etat libanais est en plein effondrement, la pauvreté et le chômage augmentent sensiblement, et la communauté sunnite au nom de laquelle l’organisation dit vouloir établir un “Califat” est devenue la communauté la plus faible, la plus pauvre, et la plus exposée de la politique libanaise.

La première fois que le nom de l’organisation a été évoqué au Liban après l’opération “Fajr al-Jarud” en 2017, il a été entouré d’une propagande généralisée des médias officiels, selon laquelle l’organisation avait été militairement éliminée. Au mois d’août passé, trois gardes de la municipalité du village libanais de Kaftoun dans le district nord de Koura ont été abattus par des inconnus, dont certains ont été arrêtés et abattus par les services de sécurité. Comme dans les pays dépourvus de médias indépendants, cette affaire a disparu des radars publics sans résoudre le mystère de l’identité des auteurs et celle de leurs motivations. Il y a quelques jours, les mêmes dispositifs annonçaient l’arrestation de 18 Libanais et Syriens dans la ville d’Arsal dans la Bekaa, qui a été le théâtre de violents affrontements ces dernières années entre “Daesh” et “Al-Nusra” d’une part, et l’armée libanaise d’autre part. Les détenus sont accusés d’appartenir à l’organisation et de posséder des armes militaires.

Le directeur de la sécurité publique, Abbas Ibrahim, n’exclut pas le retour de l’organisation terroriste au Liban par la grande porte. Il a indiqué dans une interview télévisée qu’il s’emploierait à empêcher ce scénario.

Par conséquent, il semblerait utile à ce qui reste des institutions de l’Etat libanais, de déraciner cet épouvantail indépendamment de la réalité du danger qu’il représente ou de son appartenance au monde des mythes. Au lieu de focaliser sur ce qui s’est passé à Tripoli la semaine dernière d’un point de vue politique, il est plus urgent d’élever le niveau des “hauts fonctionnaires”, d’établir une gestion rigoureuse et un État digne de ce nom, dans lequel les médias officiels ne procèdent pas à des déclarations aux “sources faibles”, qui ne peuvent être ni confirmées ni démenties sur la base d’un enquête professionnelle sérieuse.

D’un point de vue politique, ce ne serait pas une grande révélation d’affirmer que Daech et ses sectes accompagneront les libanais comme ils accompagnent tous les peuples rongés par une crise politico-sociale. Le traitement contre Daech pourrait s’avérer moins coûteux si au lieu de brandir la carte des démons, on les anéantissait dans l’œuf en s’intéressant à la source des problèmes calamiteux qui ont soumis le Liban à une crise permanente.

Related articles

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here