Les Frères musulmans, le ciment de la relation entre le Qatar et la Turquie

Le 2 juillet 2020, le président turc Recep Tayyip Erdogan s’est rendu au Qatar dans le cadre du renforcement des relations entre les deux pays, pour gérer de nombreuses questions liées aux Proche-Orient et jeter les bases de leur coopération dans le but de réaliser leurs intérêts mutuels. Cette visite reflète un nouveau tournant dans des relations ayant connu un grand développement depuis que le Qatar a permis à la Turquie d’avoir une présence politique, militaire et économique à Doha après la crise du Golfe, grâce à son soutien aux groupes extrémistes et à son ingérence dans les affaires internes des pays arabes. Cette visite a été la première du président turc Erdogan à l’extérieur de son pays depuis le début de l’épidémie Covid-19, cinq mois plus tôt.

Cette visite dévoile peut-être un peu la nature des rapports entre les deux pays. Le point commun entre toutes les visites d’Erdogan au Qatar et les visites de Tamim en Turquie, réside dans le fait qu’elles évoluent toutes à l’ombre des crises que traversent les deux parties, principalement la Turquie qui fait actuellement face à une série de crises économiques et politiques à l’intérieur comme à l’extérieur.

La crise économique et politique turque a été la question dominante des pourparlers. Un certain nombre d’accords et de mémorandums d’accords ont été signés, dont des amendements à l’accord sur les échanges bilatéraux de devises (riyal qatari – lire turque) entre la banque centrale du Qatar et la Banque centrale de la Turquie.

Dans le même contexte, les deux parties ont signé un protocole d’accord entre la Qatar Financial Center Authority et le Bureau des finances de la présidence turque, un autre accord sur le développement de la coopération industrielle et technologique, et encore un autre entre l’Agence qatarie pour la promotion des investissements et le Bureau des investissements de la présidence turque. Et pour ce qui est des projets, il a été convenu entre les deux parties de créer un laboratoire pour faciliter les échanges commerciaux et renforcer la protection des consommateurs.

Il est à noter que depuis décembre 2014, les deux pays ont convenu de créer un haut comité de coopération stratégique qui comprend un certain nombre de ministères et d’institutions privées dans le but de renforcer la coopération, ce qui a été clairement démontré lorsque le Qatar a injecté 15 milliards de dollars pour aider la Turquie à faire face à la baisse de la Lire à cause des sanctions économiques imposées à Ankara par les États-Unis, suite à l’affaire du pasteur américain Andrew Bronson.

Les questions régionales ont occupé un axe central dans le cercle des discussions, d’autant plus que les deux parties partagent les mêmes points de vue sur la plupart des dossiers liés aux pays arabes, particulièrement ceux de la Syrie et de la Lybie qui ont contribué à renforcer leur coopération économique, politique et militaire. Une collaboration dont la fréquence s’est accentuée après la crise du Golfe.

Le Qatar joue un rôle clé dans la stratégie régionale de la Turquie. Il est le catalyseur du soutien aux politiques turques. Les opinions politiques partagées par les deux pays ont permis à la Turquie d’établir une base militaire à Doha et d’y envoyer ses soldats conformément à l’accord signé en 2014, mis en œuvre à la suite de la crise du Golfe en 2017.

Il faut noter ici que cette visite a fait suite à de nouveaux développements dans la région. Plus particulièrement en ce qui concerne la crise libyenne, dans laquelle la Turquie est directement impliquée en soutenant le gouvernement de l’Union nationale et ses milices armées qui assurent une extension de la politique turque dans la région. Ankara tente de renforcer sa présence dans le dossier libyen grâce au soutien et à la coopération du Qatar.

Les crises internes et externes qui fragilisent la Turquie et l’impopularité du Parti de la justice et du développement au pouvoir ont mené Erdogan a solliciter les fonds qataris pour sauver sa politique du déclin. Ses motivations peuvent être résumées comme suit :

1) Obtenir de l’aide pour faire face à la baisse de la valeur de la monnaie turque, à la hausse du taux de chômage, à la forte inflation et à la baisse de la réserve monétaire des devises étrangères.

2) Rechercher un soutien financier et militaire pour les milices turques envoyées en Libye, d’autant plus que cette visite a coïncidé avec celle du ministre turc de la Défense Hulusi Akar à Tripoli, pour soutenir militairement le gouvernement d’accord national.

3) La Turquie et le Qatar ayant tendance à fournir une couverture politique et militaire au gouvernement de réconciliation dominé par les Frères musulmans et leurs branches, certains rapports indiquent que le Qatar s’est engagé à assumer les coûts de l’intervention militaire turque en Libye. Cette visite nous renvoie aussi à l’accord des deux pays de garantir des fonds pour la poursuite du travail des milices armées et des mercenaires envoyés de Syrie pour lutter contre l’armée nationale libyenne. La visite du ministre turc de la Défense en Lybie et sa rencontre avec le gouvernement de l’Union nationale ne peuvent pas à priori être tout a fait étrangères aux accords turco-qataris.

En plus de la collaboration politique, économique et militaire, il existe une congruence idéologique dans le soutien du Qatar à la Turquie, et cet élément est représenté par les Frères musulmans. Ce groupe représente le pivot idéologique et le régulateur de la relation entre les deux pays. la Turquie et le Qatar investissent dans ce groupe pour menacer la sécurité et la stabilité des pays arabes et renforcer leur influence régionale.

Tant que la Turquie peut compter sur le soutien politique et financier du Qatar, la région du Proche-Orient va probablement connaitre une aggravation de ses conflits en cours, surtout ceux dans lesquels la Turquie est directement impliquée comme la crise libyenne. Les pays arabes tentent de leur côté d’adopter certains mécanismes pour contrer les interventions de la Turquie, notamment suite à son intervention dans la région du nord de l’Irak. Le rapprochement turco-qatari pourrait entrainer une augmentation de l’isolement régional auquel les deux pays sont confrontés depuis la crise du Golfe, provoquée par le soutien de Doha aux groupes terroristes et par son ingérence dans les affaires des pays arabes, causant insécurité et instabilité. Par ailleurs, cette visite vise à garantir la poursuite de la politique régionale de la Turquie.

En conclusion, les relations turco-qataries sont intimement liées en raison de nombreux facteurs politiques, économiques, militaires et idéologiques. Ensemble, ces facteurs représentent les piliers de la poursuite de leurs réalisations.

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