L’Iran bloque l’application de messagerie “Signal”, l’alternative des iraniens à WhatsApp

Le gouvernement iranien a décidé de bloquer “Signal”, une application qui permet de communiquer en toute confidentialité grâce au chiffrement des données. À partir de lundi, des utilisateurs iraniens ont commencé à signaler des problèmes de connexion à l’application, considérée par beaucoup comme le moyen de communication cryptée le plus sécurisé, depuis que WhatsApp a publié plus tôt ce mois-ci, sa nouvelle politique de confidentialité qui consiste à analyser plus en profondeur les données collectées.

Devenue la messagerie la plus téléchargée en Iran, les responsable de l’application Signal ont déclaré dans un tweet qu’ils “s’emploieraient à contourner la censure iranienne”. Ils ont ajouté : “Le peuple iranien mérite une vie privée. Nous n’avons pas abandonné.”

Le 14 janvier, Signal a été retiré de Cafe Bazaar, la version iranienne de Google Play, et de Myket, une autre boutique locale d’applications. Les iraniens qui ont tenté le téléchargement ont été accueillis par le message suivant : “Nous vous remercions de comprendre nos limites”.

L’application a été classée par un comité de filtrage chargé d’identifier du “contenu criminel”. Ce comité est dirigé par le procureur général du pays et composé de représentants de la justice, du département de la Communication, des forces de l’ordre, du Parlement et du ministère de l’Éducation. Cependant, la justice a cherché mardi à se distancier de cette décision.

Le porte-parole Gholamhossein Esmaeili a déclaré que sous le nouveau chef Ebrahim Raisi en place depuis 2019, la justice n’a “bloqué aucun média, site d’actualités, ou service de messagerie et n’a pas l’intention de bloquer le cyberespace ni aucun réseau social”.

Pourtant, ce n’est pas la première fois que Signal est visé par les autorités iraniennes. L’application a plusiuers fois été bloquée entre 2016 et 2017, mais à l’époque, elle ne disposait pas d’une base d’utilisateurs très importante. A chaque fois, le service de messagerie a été débloqué sans problème et sans aucune explication officielle fournie par les autorités.

Selon Mahsa Alimardani, chercheuse sur Internet à l’organisation britannique de défense des droits de l’Homme ARTICLE19, Signal a été utilisé lors des manifestations iraniennes de fin 2017 et début 2018, dans le but de maintenir des communications sécurisées. “Signal a toujours été présenté comme l’application incontournable des dissidents et activistes souhaitant échapper à la surveillance de l’État, en particulier des États-Unis et de ses fortes capacités de surveillance”, a-t-elle déclaré à Al Jazeera. “Avant cette migration des utilisateurs mécontents des récents changements de la politique de confidentialité de WhatsApp, Signal était déjà un outil du quotidien dans la société civile”.

Signal rejoint donc un grand nombre d’applications de premier plan, bloquées par les autorités iraniennes, notamment Telegram, Twitter, Facebook et YouTube. WhatsApp et Instagram restent les seules plateformes étrangères de médias sociaux toujours autorisées en Iran. De ce fait, les utilisateurs soupçonnent le gouvernement iranien d’avoir accès à leurs données sur WhatsApp.

Alimardani a déclaré que les mêmes rumeurs avaient circulé au sujet de Telegram avant son blocage. “Il n’y a aucun fondement factuel à cette rumeur car il est très peu probable que les autorités iraniennes aient la capacité de contourner les barrières de sécurité de Facebook, ou que Facebook collabore avec l’Iran pour partager des données”, a-t-elle déclaré.

Il reste à s’interroger sur l’efficacité de ces interdictions. Les iraniens ont derrière eux des années d’expérience dans le traitement des restrictions sur Internet, imposées non seulement par les autorités iraniennes mais également par des entreprises internationales en raison de sanctions contre l’Iran. Ils se sont largement familiarisés avec les outils de contournement et beaucoup utilisent des réseaux privés virtuels (VPN) qui servent à masquer l’adresse IP des utilisateurs pour accéder à des contenus bloqués, y compris des réseaux sociaux. Telegram, interdit depuis près de deux ans, est encore utilisé par des millions d’iraniens.

Le blocage de Signal a cependant ravivé la crainte des iraniens de subir à l’avenir davantage de restrictions de leur liberté sur Internet.

Le ministère iranien de l’information et des communications a tenté à plusieurs reprises de se distancier du blocage des médias sociaux, affirmant qu’il n’avait pas le pouvoir de prendre ces décisions.

Lorsque les autorités avaient coupé l’accès à Internet dans tout l’Iran pendant près d’une semaine lors des manifestations de novembre 2019, le ministre des télécommunication Mohammad Javad Azari Jahromi, avait déclaré qu’il n’y était pour rien dans cette décision. Il ne s’est toujours pas exprimé concernant le blocage de Signal. La semaine dernière, la justice a porté plainte contre lui pour avoir prétendument refusé de bloquer Instagram et de restreindre d’autres réseaux sociaux, mais il a rapidement été libéré sous caution. Le ministère de la justice a toutefois avancé d’autres raisons à la convocation de Azari Jahromi, entre autres, un groupe de 432 personnes d’Ahwaz qui auraient utilisé le cyberespace lors d’une attaque en septembre 2018.

Amir Rashidi, chercheur sur la sécurité Internet et les droits numériques, affirme que le ministère est presque entièrement responsable de la mise en œuvre technique des blocages d’Internet en Iran. Il explique que lorsqu’un utilisateur iranien souhaite utiliser Internet mondial, sa commande est d’abord acheminée vers son fournisseur d’accès local, puis vers la Telecommunication Infrastructure Company, affiliée au ministère, qui est la passerelle. Selon Rashidi, c’est la popularité de Signal qui a mené à sa perte.

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