Le #metoo égyptien, révolution féminine et retour de bâton

Il y a dix ans, un vent de liberté et d’espoir avait soufflé sur les nations arabes. Dix ans après les printemps arabes, les révoltes populaires ont cédé la place au désenchantement collectif.

En Égypte, quelques retombées de la révolution subsistent néanmoins. Parmi elle, une timide libération de la parole des femmes. Discrète et encore craintive, elle se fait entendre sur les réseaux sociaux et les cours de justice, elle s’élève à coup de petites victoires.

Des dénonciations publiques de harcèlement et d’abus sexuels ont conduit certains à surnommer cette révolte féminine le #metoo égyptien. D’autres soutiennent que le mouvement n’est pas récent et ne doit pas son existence à la mouvance médiatique occidentale du mouvement #metoo. Selon certaines féministes, il est le résultat de la montée lente et progressive d’une révolte qui a pris racine il y a très longtemps dans la société égyptienne. C’est notamment l’avis de Mozn Hassan, fondatrice de “Nazra”, une ONG de défense des droits des femmes. “En Égypte, le mouvement pour les droits des femmes se lit sur des décennies, la lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles a une longue histoire”, pense t-elle, sans toutefois nier que le mouvement n’est pas totalement insensible aux mouvances féministes internationales dont celle de #metoo, apparue aux Etats-Unis en 2017 à la suite de l’affaire Harvey Weinstein.

Selon l’ONU, le mouvement #metoo a entrainé la plus importante vague de dénonciations que l’Égypte ait jamais connu, avec des répercussions décisives sur la justice du pays. Beaucoup d’ancienne affaires ont refait surface. Le compte Instagram “Assault Police” (Police du harcèlement) créé en juillet 2020, a notamment reçu d’innombrables témoignages de viols et de harcèlements, des dizaine concernant la très médiatisée affaire de l’ex étudiant de la prestigieuse université américaine du Caire, Ahmed Bassem Zaki, accusé preuves à l’appui, de toute sortes d’abus sexuels. Parmi les plaignantes se trouvaient même des mineurs. Ahmed Bassem Zaki a été condamné mardi 29 décembre, soit six moi après le lancement du programme “Assault Police” sur Instagram, à trois ans de prison ferme. Le jeune homme de 29 ans entend faire appel, mais il est accusé dans un autre procès qui a eu lieu courant janvier 2021, de faits de harcèlement sur trois jeunes filles mineures.

C’est en novembre dernier que le retour du bâton antiféministe s’est fait sentir, lorsque la justice a mis des victimes et des témoins sur le banc des accusés, dans l’affaire d’un viol commis par de puissants hommes d’affaires. Le procureur chargé de cette affaire a fait arrêter en plein milieu de la nuit et avec brutalité, 6 témoins et proches de la victime, 3 hommes et 3 femmes qui ont directement été conduits en cellule au lieu d’être auditionnés. Accusés de débauche et d’immoralité, les femmes ont été maltraitées et insultées, les hommes ont subi des examens anaux pour prouver leur homosexualité. Leur crime avait été de soutenir la plainte de la femme qui a été droguée et violée par de riches hommes d’affaires cairotes en 2014. Pourtant, tout portait à croire que le vent avait tourné en faveur des victimes, les noms et les photos des violeurs avaient massivement été diffusés sur la toile et cinq d’entre eux avaient été arrêtés au début de l’enquête. Seulement, ces suspects sont puissants et surtout proches du pouvoir.

Un tiers des égyptiennes affirment avoir été victimes de violences sexuelles selon un rapport de l’ONU. “99 % d’entre elles ont souffert de harcèlement sexuel au moins une fois dans leur vie”, selon Yasmin Omar, juriste au Tahrir Institute for Middle East Policy basé à Washington. Pendant ce temps, la tache laborieuse des activistes d’associations pour les droits des femmes est régulièrement entravée par les autorités. Quelques efforts sont néanmoins à noter : En 2018, les autorités ont mis en place le 15 115, un numéro pour les femmes victimes de violence, mais la hotline s’est avérée inefficace et les procédures administratives décourageantes.

Face à une police égyptienne peu réactive et à une mentalité ambiante qui condamne la femme de facto, c’est donc vers les réseaux sociaux que les égyptiennes se sont tournées pour se défendre, l’anonymat aidant, car c’est bien ce qui explique cette soudaine levée d’omerta. C’est de ce fait au niveau des mentalités que le travail doit commencer, et c’est surtout d’une campagne de sensibilisation massive que l’Egypte et d’autres pays musulmans ont besoin pour améliorer la condition féminine.

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