Sainte Sophie ou l’enjeu satanique !

Par Kamel Abderrahmani

De sainte Sophie, pour ironiser, à Lalla[1] Safia[2], un long chemin, un parcours balisé de guerre et de paix, de haine et de cohabitation. D’une basilique témoignant de la chrétienté de Constantinople à une mosquée signant la domination musulmane, puis musée marquant l’instauration de la laïcité en Turquie avant de redevenir mosquée sous l’ère de Erdogan s’autoproclamant l’Émir des croyants, le Calife comme aimait l’appeler le gourou islamiste et le chef spirituel des frères musulmans Al-Qaradoui.

Depuis le règne de Kamel Mustapha Atatürk, Sainte Sophie jouissait de statut de musée, un lieu où moult cultures et religions se rencontraient ; un lieu très visité par les gens de toute la planète et de différentes confessions. Autrement dit, Sainte-Sophie avant ce 11/07/2020 – une autre date marquant l’histoire de ce temple – était  un lieu où la possibilité d’une coexistence entre les religions pouvait se manifester ainsi que la tolérance dont l’islam – celui éloigné de la politique – pouvait faire preuve. Ou comme  a écrit Ioan Sauca, membre de l’Église orthodoxe roumaine, à Erdogan : « c’était là une belle preuve de l’attachement de la Turquie à la laïcité  et de son désir de laisser derrière elle les conflits du passé », et j’ajouterai pour instaurer l’universalité des valeurs humaines.

Cette manœuvre a aussi une dimension politique interne et externe. Interne, ayant perdu Istanbul – passée à l’opposition lors des dernières municipales – et ayant en tête comme objectif les élections de 2023, Erdogan ou le Calife du XXIe siècle s’assure ainsi les bonnes grâces d’un électorat fondamentaliste religieux et nostalgique de l’ère Ottoman. Externe, symboliquement, l’affaire de la basilique Sainte-Sophie est un nouveau message clair de l’islam politique à l’Occident : dominer et soumettre, toutes autres fois que la leur ! Autrement dit, Erdogan est en train de sonder jusqu’où il peut aller dans la provocation et baliser son aire ! Se taire devant ses manœuvres est une forme d’abdication, « c’est signifier à la face du monde qu’il est libre de faire ce que bon lui semble. » 

Le monde occidental ne semble pas saisir les fondements de cette décision. Le journal Le Monde a commenté naïvement dans l’article : Transformation de Sainte-Sophie en mosquée : «…une reconversion de Sainte-Sophie en mosquée n’empêchera pas les touristes de toutes les croyances de s’y rendre – ils sont nombreux à visiter chaque jour la Mosquée bleue voisine » ! C’est comme si Sainte-Sophie était un simple musée sans histoire ou que le fondamentalisme islamique incarné par Erdogan s’arrêtait là !

 D’ailleurs le journal Turque « Hurriyet »[3] avait relaté que le « Sultan » a demandé au ministère de la Culture et du Tourisme et à la présidence des Affaires religieuses de préparer la basilique pour la première prière qui aura lieu le vendredi 24 juillet. Dans les parties de la mosquée dédiées à la prière, un système d’éclairage sera placé sur le sol afin de cacher les mosaïques et les fresques chrétiennes. Il est également à l’ordre du jour que les mosaïques et les fresques soient fermées avec un mécanisme de rideau pendant les heures de prière. 

Cette mesure revient à mettre en évidence le caractère dangereux de l’instrumentalisation de la religion qui, d’une façon ou d’une autre, crée des tensions et prépare le terrain à des conflits identitaires que l’on peut éviter. Autrement dit, dans le contexte où l’islam politique domine, la paix s’envole et avec elle la fraternité et le respect des autres religions. Pour sa part, Ibrahim Negm[4], conseil du Grand Mufti d’Égypte, a considéré la décision du président turc Recep Tayyip Erdogan de transformer le site historique de Sainte-Sophie à Istanbul comme un « jeu politique dangereux ». En outre, cette mesure, donne une mauvaise image de l’islam et des musulmans – déjà bien ternie –, et que chaque fois que l’islamisme arrive au pouvoir dans un État démocratique et laïque, il déclarera la guerre aux civilisations, aux cultures et aux autres religions.

En prenant son temps, un temps de silence entre chaque fragment de phrase, Sa Sainteté, le Pape François a déclaré lors de l’Angelus du 12 juillet: « Il pensiero va a Istanbul, penso Santa Sofia e sono molto addolorato », des propos traduits par les journaux français par : « Ma pensée va à Istanbul, je pense à Sainte-Sophie et je suis très “affligé” (addolorato). » Ce mot « addolorato » traduit : affligé (AFP), meurtri (iMédia), peiné (Le Parisien), bouleversé (France24). Tous ces mots expriment certainement des nuances ou pourraient être un euphémisme, mais font tous partie du champ lexical de la douleur « dolore » et « de tristesse, de regret mêlé d’indignation ». Un sentiment que je partage en toute sincérité car, avec ce jeu perfide de surenchère de religiosité, de telles décisions ne feront qu’avorter la paix entre croyants des différentes religions dans ce bas monde.


[1] Lalla est un titre honorifique et signe de distinction donné aux femmes importantes ou issues de grandes familles chez les Berbères en Afrique du Nord

[2] Safiya bint Houyay (صفية بنت حيي) est née vers 610 à Yathrib (devenue ensuite Médine), et décédée entre 661 et 670. Elle s’est convertie à l’Islam et elle fut la onzième épouse de Mohamed en l’an 7 de l’hégire.

[3] https://www.hurriyet.com.tr/gundem/86-yil-sonra-ayasofyada-ilk-ibadet-boyle-olacak-41562218

[4] https://arabic.rt.com/world/1133419-%D8%A3%D9%88%D9%84-%D8%AA%D8%B9%D9%84%D9%8A%D9%82-%D9%85%D8%B5%D8%B1-%D9%82%D8%B1%D8%A7%D8%B1-%D8%A3%D8%B1%D8%AF%D9%88%D8%BA%D8%A7%D9%86-%D8%AA%D8%AD%D9%88%D9%8A%D9%84-%D8%A2%D9%8A%D8%A7-%D8%B5%D9%88%D9%81%D8%A7-%D9%84%D9%85%D8%B3%D8%AC%D8%AF/

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