Que sont devenus les dirigeants afghans vaincus par les talibans ?

Mardi, les talibans ont formé leur premier gouvernement intérimaire depuis leur retour au pouvoir à Kaboul, un gouvernement qui n’inclut aucune personnalité de l’ancien régime, contrairement à leur promesse de former un gouvernement inclusif, et à l’impression données par les rencontres de ces dernières semaines entre des dirigeants talibans et des figures politiques afghanes de premier plan ayant joué un rôle important au cours des vingt dernières années. Si le gouvernement fraichement annoncé est exclusivement taliban, quel est le sort de ses opposants vaincus ?

Achraf Ghani

Le départ de l’ancien président Ashraf Ghani de la capitale afghane à la mi-août a fait office d’annonce officielle de la chute de son gouvernement et de la victoire des talibans. Achraf Ghani a précipitamment quitté Kaboul lorsque les talibans sont arrivés à la périphérie de la ville, craignant probablement de subir le même sort que l’ancien président afghan Najibullah, assassiné par les combattants après la prise de Kaboul en 1996. Najibullah était à l’époque sous la protection des Nations Unies et résidait à son siège dans la capitale afghane, mais “l’immunité diplomatique” du siège de l’ONU n’a rien pu pour lui, les talibans l’ont extirpé du siège de l’Organisation et l’ont pendu sur une place publique de la capitale.

Najibullah était un communiste proche de l’ex-Union soviétique. Quant à Ashraf Ghani, il était soutenu par les américains avant qu’ils ne l’abandonnent, le laissent seul face aux talibans. Il a précipitamment pris la fuite avant de donner une chance aux combattants de le capturer. Il est monté à bord d’un avion qui aurait atterri au Tadjikistan avant de s’envoler vers les Émirats arabes Unis qui lui ont permis de séjourner dans le pays pour des raisons humanitaires.

Karzaï, Abdullah et Hekmatyar

L’ancien président Hamid Karzai et l’ancien vice-président et président du Conseil suprême pour la réconciliation nationale Abdullah Abdullah, font partie des personnalités politiques qui n’ont pas quitté Kaboul après le retour des talibans. Les deux hommes ont tenu de nombreuses réunions avec de hauts dirigeants du mouvement qui se sont engagés à assurer leur sécurité. Abdullah Abdullah réside actuellement à Kaboul dans la maison de Karzai. Le mouvement a nié les allégations selon lesquelles ils sont assignés à résidence, affirmant qu’ils sont surveillés pour leur protection. Ils ne semblent effectivement pas soumis à des procédures restreignant leur liberté car ils participent régulièrement à diverses réunions et activités, et communiquent avec des responsables de plusieurs pays. D’ailleurs, ils prônent le dialogue avec les talibans depuis des années, et ont été en contact avec les dirigeants du mouvement à Doha.

Une troisième personnalité est restée à Kaboul malgré sa forte hostilité à l’égard des talibans : Gulbuddin Hekmatyar. Le leader historique du Parti islamique n’a pas cherché à échapper à ses anciens ennemis, probablement épuisé par une vie entière de lutte. Hekmatyar a combattu l’armée soviétique tout au long des années 1980. Il a ensuite combattu le régime communiste laissé par les Russes à Kaboul. Après la chute de ce gouvernement en 1992, le pachtoune Hekmatyar a mené une guerre sanglante pour le contrôle de Kaboul contre son grand rival, Ahmed Shah Massoud.

Lorsque le mouvement Taliban est apparu au milieu des années 1990 et a tenté de s’emparer de Kaboul, Hekmatyar s’est allié à Massoud pour arrêter sa progression, une mission à laquelle ils ont tous deux échoué. Les deux hommes se sont ensuite réfugiés dans le nord du pays et, avec d’autres partis, ils ont formé l’Alliance du Nord qui a demeuré inébranlable jusqu’en 2001, lorsque les américains l’ont utilisée pour renverser le régime des talibans. Mais le rôle de Hekmatyar ne s’est pas arrêté là. Il s’est d’abord enfui en Iran, puis est retourné dans ses anciens bastions de l’est de l’Afghanistan pour combattre les américains. Seulement, son parti était en train de se déliter et il n’a pas pu reproduire avec les américains ses victoires passées contre les soviétiques, d’autant que la bannière de la “résistance” était largement passée aux mains du Réseau Haqqani, la branche talibane du sud-est du pays. Après des négociations de paix avec le gouvernement afghan, Hekmatyar a décidé de s’installer à Kaboul, d’arrêter sa guerre contre les américains et de rejoindre le nouveau régime. Il s’est présenté aux élections présidentielles mais n’a pas gagné. Il fait désormais partie des personnalités avec lesquelles les talibans s’entretiennent à Kaboul et vit sous leur autorité.

Le Lion d’Herat

Muhammad Ismail Khan était l’un des opposants historiques des talibans dans l’ouest du pays. Cet ancien officier de l’armée afghane a mené un combat acharné contre les russes et les communistes dans les années 1980, ce qui lui a valu le surnom de “Lion d’Herat”, son fief situé à la frontière avec l’Iran. Mais les années 1990 ont apporté avec elles un adversaire différent, représenté par les talibans qui l’ont vaincu et poussé à fuir en Iran. Il est revenu en Afghanistan et a tenté de lancer une insurrection contre le mouvement, mais il a été capturé et transféré au bastion des talibans à Kandahar, où il a passé des années en prison, mais il a réussi à s’échapper avant l’invasion américaine en 2001. Après la chute du régime taliban, le Lion d’Herat a rejoint le nouveau régime à Kaboul et a occupé plusieurs postes ministériels.

Lorsque les talibans ont entamé leur nouvelle avancée pour reprendre le pouvoir à la lumière du retrait américain cette année, Khan a rassemblé ses partisans à Herat pour empêcher la ville de tomber entre les mains des combattants, mais il a échoué dans sa mission et les talibans l’ont arrêté. Contre toute attente, ces derniers ne l’ont pas exécuté mais l’ont autorisé à faire une déclaration dans laquelle il a appelé les citoyens à coopérer avec le mouvement, et appelé le mouvement à bien traiter les gens. Après cela, le “Vieux Lion” a refait ses valises et est reparti en Iran. Il vit actuellement dans la ville de Mashhad, suppose t-on.

Atta Muhammad Nour et Abdul Rashid Dostum

Atta Muhammad Nour et Abdul Rashid Dostum figuraient parmi les hommes politiques les plus aptes à jouer un rôle pour contrecarrer les talibans, notamment dans leurs bastions historiques du nord du pays. Atta Noor a été capable de conduire les tadjiks à affronter les talibans comme il l’avait fait auparavant, et Dostum en a fait autant avec ses compatriotes ouzbeks. Les deux hommes ont rapidement mobilisé leurs partisans à Balkh et Jawzjan, aux frontières avec l’Ouzbékistan et le Turkménistan, mais l’attaque éclair des talibans a été plus rapide. Les défenses des ouzbeks se sont rapidement effondrées à Jowzjan et les combattants talibans sont entrés dans la somptueuse maison de Dostum. Certains d’entre eux se sont vantés de s’être emparés de ses uniformes militaires dont certains sont ornés des médailles “Marshal” décernées par le gouvernement afghan déchu. La situation n’était guère meilleure dans le Balkh voisin où Dostum s’était réfugié. Sa capitale, Mazar-i-Sharif, est tombée presque sans résistance entre les mains des talibans. Peu de temps avant sa chute, Atta Muhammad Nour et Dostum se sont enfuis par l’autoroute jusqu’à la frontière avec l’Ouzbékistan. Ils ont affirmé avoir pris la fuite après avoir découvert un complot visant à les livrer aux talibans.

De temps en temps, Nour Atta fait des déclarations sur la situation dans son pays. Quant à Dostum qui souffre de problèmes de santé, il demeure silencieux, et la direction de son parti politique est passée à son fils. Il a été signalé récemment qu’ils se préparaient à fournir une assistance afin de soulager la pression sur les tadjiks assiégés dans la vallée du Panjshir, mais jusque-là, rien ne s’est produit. Il n’est pas exclu que Dostum s’installe en Turquie ou il a déjà vécu de nombreuses années et avec qui il entretient d’étroites relations. Il a d’ailleurs prénommé son fils “Mustafa Kemal” d’après le célèbre premier président de la république de Turquie, Mustafa Kemal Atatürk.

Ahmed Massoud

Ahmed Masoud n’était pas membre du précédent gouvernement afghan. Il a dirigé un parti composé majoritairement d’anciens partisans de son défunt père, Ahmed Shah Massoud, assassiné par al-Qaïda la veille des attentats du 11 septembre 2001. Avec la chute de Kaboul à la mi-août, Ahmed Massoud s’est installé dans la forteresse de son père dans la vallée du Panjshir. De nombreux anciens responsables du régime l’ont rejoint, parmi eux, le vice-président Ashraf Ghani, le ministre afghan de la Défense Bismillah Mohammadi et des centaines d’officiers et de soldats.
Les talibans ont tenté de négocier avec eux et de les persuader de déposer les armes, mais les deux parties n’ont pas réussi à parvenir à un accord et les talibans ont lancé une attaque massive sur la vallée escarpée du Panjshir. Après des jours de combats, le mouvement a pris le contrôle de la vallée et ses opposants ont fui vers les montagnes, ces forteresses naturelles qui ont humilié les russes dans les années 1980, et qui sont à l’origine de la légende du “Lion du Panjshir” (surnom de Ahmed Shah Massoud), que son fils tente de reproduire aujourd’hui face à un autre adversaire : les talibans.

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